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Amour courtois, amour divin : présence du coeur dans le Lancelot-Graal

par Eliane Mittelman | Publié le 19 avril 2005

Dans le Lancelot-Graal, le cœur parfaitement pur de Galaad est l’objectif que tout homme doit chercher à atteindre. Pour cela c’est Lancelot, chevalier au grand cœur mais à l’imperfection bien humaine qui doit nous inspirer dans son dévouement infaillible et total à la quête du Graal, objet d’amour et de joie.

« De par son appartenance à la chevalerie, Lancelot, son héros, est amené tout naturellement au don complet de lui-même : à sa dame, à son roi, à Dieu. Mais c’est parce qu’il a du « coeur » (le mot revient en véritable leitmotiv et seules quelques occurrences en seront citées) qu’il a choisi d’être chevalier et qu’il sera le meilleur de tous.

Dès la description physique de Lancelot, le ton est donné:

« On ne trouvait rien à reprendre à sa personne, toutefois ceux qui le voyaient prétendaient que, s’il eût été un peu moins fourni de la poitrine, il aurait gagné en charme et en séduction. Ce fut la reine Guenièvre qui, plus tard, tint surtout des propos à ce sujet : elle dit que Dieu ne lui avait pas donné une poitrine forte et musclée à l’excès, mais tout juste faite pour son coeur, si grand qu’il aurait éclaté, s’il n’avait eu une demeure à sa taille où reposer ». »

UN ROMAN DE LA QUETE

« Ainsi la mystérieuse « Dame du Lac », Ninienne, aimée jadis de Merlin qui lui apprit l’art de la magie. Elle recueille Lancelot jeune enfant à la mort de son père (c’est presque un enlèvement), et l’éduque avec une tendresse et une délicatesse qui ne seront pas étrangères aux qualités de coeur que celui-ci manifestera plus tard. Au moment où elle considère son éducation comme achevée, et avant de le conduire à Arthur qui va l’armer chevalier, elle lui expose un très long « code d’honneur » de la chevalerie auquel il devra désormais se conformer, discours dans lequel le coeur « net et pur » est exalté comme la première des vertus, et condition sine qua non de l’accès à la chevalerie. »

QUETE ET DESIR

« Toutes les forces du chevalier – et ce n’est pas un hasard s’il en est tellement pourvu – sont tendues vers un idéal de dépassement de lui-même au service de valeurs spirituelles hiérarchisées.

Au sommet de cette hiérarchie, Dieu et l’Eglise : « Apprenez que le chevalier doit être le seigneur du peuple et le soldat de Dieu, puisque son devoir est de protéger, défendre et soutenir la Sainte Eglise », enseigne la Dame du Lac à Lancelot.
Puis un roi et un royaume à défendre : le roi Arthur et le royaume de Logres, que les Chevaliers de la Table ronde doivent libérer des enchantements qui le mettent en péril. Des liens affectifs très forts attachent le roi Arthur à ses chevaliers, et les larmes coulent en abondance lors du départ pour la quête.

Enfin la « dame », et c’est la composante « courtoise » de ces valeurs pour lesquelles le chevalier passe son temps à oublier sa personne. »

« Le chevalier n’est rien, le chevalier n’existe pas sans la quête. Le chevalier n’est rien sans la chevalerie, et la chevalerie est l’engagement de tout l’être, physique, moral, spirituel, dans la (con)quête permanente de soi-même au-travers d’idéaux régis par des lois strictes.

Ce triple engagement est de l’ordre du devoir, non du désir et encore moins du plaisir volage. La sexualité est maîtrisée par la règle de la fidélité absolue à la dame ; quant à la quête « spirituelle », elle est carrément interdite au chevalier sexuellement impur, ce qui limite considérablement le nombre des élus (au bout du compte, un seul, Galaad). »

« Le déterminisme est encore plus net, plus effrayant presque, pour les personnages principaux de la quête, Lancelot et Galaad. Comme pour certains héros du théâtre tragique grec, aucune marge de liberté ne leur est laissée, aucune place pour un choix personnel. Le hasard non plus n’a rien à voir dans leur engagement. Ils n’ont pas « eu envie », un beau jour, de partir conquérir le Graal (ce qui devrait faire réfléchir tous ceux qui se réclament de cette quête, à quelque courant spirituel qu’ils se rattachent). Dès avant leur naissance, ils étaient élus pour cette tâche, et aucune occasion n’est perdue de rappeler la glorieuse généalogie qui les y prédestinait.

C’est parce que sa mère est descendante de « l’illustre lignée du roi David » que Lancelot doit sauver la Bretagne (…). »

UN COEUR PUR: GALAAD

« Heureusement, l’imagination ne manque pas au romancier qui, pour que continue l’histoire, donne à Lancelot un fils dont la perfection morale permettra qu’il prolonge – et mène à son terme – l’oeuvre de son père. »

« « Parce que ce plat fut au gré de toutes bonnes gens, on l’appelle le Saint Graal ». Autrement dit parce qu’il est objet d’amour, et objet d’amour pour les prud’hommes, ce qui confirme le sens de la quête. »

« On doit en effet se souvenir ici que la quête de Galaad est toute passive. Si, grâce à son père Lancelot dont il a hérité toutes les qualités, Galaad est d’abord un parfait chevalier terrestre, il n »accomplit » à proprement parler rien dans le domaine spirituel. Il paraît, s’essaye aux différentes épreuves et les réussit, en toute simplicité, et au grand étonnement de chacun, lui le premier. Cette innocence, cette absence de détermination à « conquérir » quoi que ce soit l’accompagnent lors de toutes ses aventures. D’autre part, alors que les tentations charnelles s’accumulent sur la route de tous les autres chevaliers, finissant par tous les perdre (même Perceval et Bohort, qui pourtant percevront avec lui une partie du « mystère »), Galaad n’en subit aucune. A aucun moment de l’ouvrage, et contrairement à son père, il n’a de lutte à fournir : tout ce qui est de l’ordre du divin échappe à l’exploit pour tenir de la grâce pure. »

UN HEROS ROMANESQUE: LANCELOT

« D’un côté Lancelot, haut en couleur, riche de contradictions, d’un courage et d’une générosité exemplaires, attire l’admiration et la sympathie par son engagement dans la vie « terrestre » : son amour, ses exploits, les dangers qu’il court. Ses faiblesses, sa vérité humaine touchent profondément le lecteur. Celui-ci ne reste pas insensible au déchirement de ce personnage conscient de son imperfection, malgré les qualités qu’il manifeste quotidiennement dans ses aventures, et même si ses amours avec la reine sont vécues sans vraie culpabilité. Cette imperfection lui est rappelée à de nombreuses reprises au cours du roman, et ce, bien qu’il participe abondamment au « merveilleux » présent en permanence dans l’oeuvre, et qu’il ait le pouvoir de rompre certains enchantements (comme celui de la Douloureuse Garde). Lancelot est donc bien à l’image de l’homme déchu (mais aussi en quelque sorte grandi) par le péché, dans lequel tout chrétien du temps pouvait se reconnaître. Nul doute que le coeur de celui-ci ne batte davantage pour lui que pour Galaad. Nul doute que de ce point de vue Lancelot soit le héros du livre. Et nul hasard dans le fait que ce soit son nom qui soit resté attaché au cycle. »

« Tout, dans ce personnage, est convenu, artificiel. Dès sa conception (racontée plus haut), il échappe à toute crédibilité romanesque – et en un sens cette conception si arbitraire « colle » à merveille à l’ombre qu’il sera. »

« Accomplissement et annihilation du personnage, dont on comprend soudain la raison du peu d’épaisseur : il n’avait été conçu que pour connaître – et nous faire savoir qu’existe – la joie. »

LECTURES DU LANCELOTGRAAL

« La joie, source de communion avec le monde, d’ouverture à l’autre, de générosité, d’amour, à quelque degré qu’on la vive… source dont la source même est mystère, et qui en reste un dans la Quête, car Galaad ne peut que constater son impuissance à décrire ce qu’il y a dans le vase (impossible bien sûr de décrire l’ineffable avec les mots quotidiens, mais la tentation pour chacun reste grande). »

Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.201-205.

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