Le Monde du Yoga

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Le yoga, de la souffrance à l’équilibre

par Eveline Grieder | Publié le 23 septembre 2003

Le yoga a deux objectifs fondamentaux : d’une part, l’équilibre de « chitta », qui relève du domaine psychologique, d’autre part le contrôle des influx énergétiques, qui relève du domaine physique. La réalisation de ces deux objectifs fait passer l’homme de l’état de souffrance, « vyadhi », à celui d’équilibre, « samadhi ».

« L’intégration

Vyâsa, le célèbre commentateur de Patanjali, définit le Yoga comme samâdhi. Le Yoga est considéré là comme étant le but du chemin de connaissance.

Trois étymologies sont acceptées pour le terme samâdhi:
– Saman-a-dhi: placer en équilibre
– Samyak-a-dhi: placer judicieusement
– Sam-a-dhi: placer ensemble
Cette périphrase est souvent traduite par « intégration ». Le samâdhi est donc l’état suprême d’intégration physico-mentale qu’un être humain est susceptible d’atteindre, et qui est une puissante expérience spirituelle. Pour qu’il y ait intégration, il est nécessaire de considérer un ensemble composé de parties en équilibre les unes avec les autres, parce qu’agencées de façon juste.

Le Yoga, dans cette perspective d’intégration, cherche à équilibrer la personnalité à partir de ses différentes composantes, qui vont du psychique au spirituel en passant par le nerveux, l’émotionnel, le mental, le relationnel; et que les Upanishads ont généralement conçu comme les pancha kosha, la théorie des cinq corps:
– Annamayakosha, le corps de la nourriture (corps physique, cellules, organes)
– Prânamayakosha, le corps de l’énergie (activité nerveuse et vitale, fluides, circulation)
Manomayakosha, le corps mental (émotions, activité mentale automatique, sens)
– Vijnânamayakosha, le corps de la réflexion (activité mentale rationnelle, compréhension, intelligence)
– Anandamayakosha, le corps de la béatitude (sentiment pur d’être à sa place).

Au-delà se trouve le Soi, Purusha, qui est au centre de ces cinq couches, mais n’appartient pas à la matière : il est au-delà de toute expérience physique, mentale, émotionnelle.

C’est cette personnalité, ce puzzle, cette composition à cinq niveaux, qui doit être intégrée à elle-même, aux autres, à son environnement, pour vivre en harmonie, en équilibre. Or, elle est le plus souvent désintégrée, manque d’harmonie, de santé, elle est malade. Ce concept est appelé vyadhi (vya = disperser, dhi = placer), être en désordre, être dérangé, strict opposé de Sama/dhi. Quand on sait que vyadhi, la maladie, le mal-être est le premier antaraya, ou obstacle, sur la voie de la réalisation, on voit l’immensité de la tâche à accomplir pour aller de vyadhi à samâdhi.

La conscience

Dans ce désir de faire passer la totalité de la personne de la souffrance à l’équilibre, du mal–être à l’intégration, qui dirige le mouvement? La tradition yoguique désigne « chitta », le sujet pensant, la conscience de l’individu, comme responsable de la voie à ouvrir, de la quête du Graal.

Parallèlement à l’opposition vyadhi/sama-dhi, chitta passe de vya-thitta à sama hitta, c’est-à-dire de la condition dispersée à la condition équilibrée […].

Ce passage de la « condition dispersée » à la « condition équilibrée » se fait en traversant l’étape vishrânti, le calme intérieur, étape déterminante pour le cheminement, car alors chitta passe de l’intérêt pour les choses extérieures à l’intérêt pour son propre fonctionnement.
[…]

L’état perturbé de la conscience

En général, le chitta est, nous l’avons vu, soumis à des forces perturbatrices dues à la difficulté de gérer cette situation particulière de l’humain, face à son milieu, qui fait de lui un être à la fois réceptif et réfléchi. Cet état perturbé est le résultat d’un certain nombre d’attitudes corporelles et mentales, de cristallisations psychosomatiques, appelées aussi les obstacles, antaraya, qui gênent considérablement l’évolution spirituelle en empêchant l’attention d’aller vers l’intérieur: pratyak chetanâ. Celle-ci reste alors toujours en surface et le chitta ne peut en aucun cas apprendre à se connaître. Pourtant, c’est à partir de ce constat, et avec cette difficulté initiale, que l’aspirant commence son chemin.
[…]

Il est intéressant de noter que les symptômes de l’état perturbé de chitta, s’expriment selon des termes opposés. Il y a duhkha, la souffrance morale, purement mentale, puis daurmanasya et anjamejayatva, la dépression et la nervosité, qui concernent deux réponses psycho-corporelles globales en stricte opposition l’une avec l’autre, et enfin svasprasvas, le désordre de l’inspir et de l’expir, c’est-à-dire le déséquilibre respiratoire, purement corporel.

L’opposition entre dépression et nervosité vient du fait que la personnalité est soumise toute entière à la logique des contraires énergétiques, rajas et lamas, l’activité et la passivité, comme nous l’avons déjà vu. Ainsi, selon son tempérament, plutôt marqué par le guna rajas, actif, ouvert sur l’extérieur, ou par le guna lamas, caractérisé par la passivité et le repli sur soi-même, la personne aura tendance à développer la nervosité ou la dépression, et dans les deux cas, elle en aura des effets mentaux (souffrance morale) et physiologiques (déséquilibre respiratoire).

Nous sommes là au coeur de ce que l’on appelle aujourd’hui la psychosomatique, c’est-à-dire des constants va-et-vient entre la sphère physiologique, émotionnelle et mentale, dont on sait qu’ils sont dûs aux enchevêtrements hormonaux, nerveux et organiques qui interagissent constamment les uns sur les autres dans le cerveau, les voies nerveuses et sanguines.
[…]

Le Yoga nous fait cheminer à travers une profonde rencontre entre les différents niveaux de notre existence, nos « couches » (kosha): le corps, l’énergie, l’émotionnel, le mental, pour accéder à la rencontre avec la simple évidence d’exister, lorsque les quatre premières couches sont équilibrées, intégrées. Cette expérience crée un puissant sentiment de plénitude et de bonheur, ânanda. C’est le signe que l’on se tient dans la dernière couche, ânandamaya kosha. Quand on réalise cela dans le calme prolongé du mental, une connaissance intime des choses nous envahit, car alors tout notre être est perçu tel quel, avec un grand regard silencieux. On est alors tout près de l’être absolu, le Soi, Purusha, qui réside au centre de ces enveloppes, mais qui ne se révèle complètement que lorsqu’on a fini de nettoyer sa demeure psycho physique.

Ce cheminement de l’extérieur vers l’intérieur, où le chitta apprend à se détacher de ses identifications est, nous l’avons vu, un profond facteur d’équilibre, car le déblocage des énergies corporelles intervient sur l’énergie nerveuse, émotionnelle et mentale. […]

Cependant, cette meilleure santé physique, nerveuse et mentale, établie par les nettoyages (gatta shuddi et prâna shuddi) que les cinq premiers anga du yoga (bahiranga) permettent de réaliser, sera toujours à remettre à l’épreuve des événements. En effet, les différentes sphères ou couches (kosha) continueront à subir leurs tensions mutuelles tant que toutes les autres impressions inconscientes n’auront pas été éliminées par le feu de la méditation (chitta shuddi).

D’autre part, même si le hayha yoga proclame une longévité illimitée, les grands yogi finissent quand même par souffrir dans leur corps et mourir. […]

En ce qui concerne les âsana, il est certain que ceux-ci agissent en profondeur sur le corps et le système nerveux.[…]

Cependant, il est certain que l’effet de la pratique sur le corps et le psychisme est tout à fait aléatoire. Il dépend de l’expérience subjective et de l’histoire du pratiquant, ainsi que de son attitude mentale pendant la pratique. C’est ainsi que j’ai fréquemment observé des « temps de réaction » physiques ou psychologiques tout à fait variables chez mes élèves, certains étonnamment courts, d’autres longs… La pratique du Yoga peut tout aussi bien se révéler une véritable « révolution » dans la vie d’un individu qu’un échec total. La motivation joue souvent un grand rôle, mais d’autres facteurs beaucoup plus indéfinissables peuvent produire ou bloquer une dynamique d’évolution.

Il parait donc tout-à-fait impossible de prétendre « guérir » tel trouble précis, corporel ou psychique. Le professeur de yoga propose un éventail de techniques qui pourront agir sur la personne selon des voies qu’il ne peut guère contrôler. Un travail se fait, un certain résultat se fera sentir, mais comment, pourquoi, dans quelle mesure? Cela reste, à mon sens, le plus grand des mystères. Sans doute, il se passera quelque chose, car les mécanismes psycho-physiologiques seront mis en mouvement et tendront à se reconditionner. Mais il serait prétentieux et malhonnête d’assurer une guérison. […]

Il convient donc de garder une grande prudence en ce qui concerne l’aspect « thérapeutique » du Yoga, car on ne peut en aucun cas présumer de son effet sur une personne donnée. Il semble qu’il vaille mieux parler du Yoga comme d’un « régulateur psycho-corporel ». ”

Revue Française de Yoga, n°3, « De la santé au salut », janvier 1991, pp. 166-184.

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