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Notre corps, mémoire vivante

par Eliane-Claire Thiercelin | Publié le 09 juillet 2004

Après avoir relaté l’évolution et l’adaptation de la vie depuis ses débuts Varenka et Olivier Marc soulignent l’énorme changement que constitue pour le nouveau-né sa venue au monde extérieur après l’état liquide de la vie intra-utérine. Afin d’adoucir la transition, les auteurs préconisent diverses méthodes pour atténuer les différences entre les deux mondes.

 » […]

En découvrant son corps peu à peu, le bébé se découvre en tant que sujet. Mais c’est parce qu’il était sujet dès la conception qu’il peut l’éprouver comme tel. L’univers n’existe pas pour lui tant qu’il ne s’est pas découvert lui-même; il le crée en in temps qu’il se crée. Conçu par la nature à partir des modèles de croissance minéral, végétal, animal et humain, il est mémoire vivante de l’univers. En effet, le squelette, les systèmes circulatoires et nerveux utilisent le modèle de croissance propre au végétal. La formation des os répond à une structure propre au minéral. Le coccyx est mémoire de l’état de saurien, et nous partageons avec les batraciens et les rongeurs bon nombre de leurs caractéristiques. Si, pour chaque homme, sa préhistoire (ou sa vie prénatale) représente l’évolution de la vie sous toutes ses formes depuis l’atome originel, elle est également, depuis sa naissance, un condensé de l’histoire de l’humanité à partir de son apparition sur terre: aussi, décrire la croissance d’un individu, c’est reprendre l’évolution de la vie depuis l’atome jusqu’ nos jours en y incluant l’apparition du « phénomène humain » et de son évolution au sein de la nature. L’homme est, par chacun des atomes, par chacune des molécules qui le constituent, mémoire de la vie tout entière, sous toutes ses formes. Ainsi, tout ce que nous découvrons dans l’univers ne peut qu’être une image de nous-mêmes sous l’une ou l’autre des formes que nous avons prises.

Le milieu originel des espèces vivantes a été l’océan. Il a tenu et tient toujours lieu d’utérus aux oeufs des poissons. A quelques exceptions près d’espèces qui avaient déjà dans l’eau développé des caractéristiques terrestres (poissons, mammifères), la femelle dépose ses oeufs sur un fond marin que le mâle recouvre de sa laitance. Quand les premiers poissons ont dû s’adapter à la conquête de l’espace aérien et terrestre, il leur a fallu se transformer considérablement, ils ont dû développer un système respiratoire complexe, des pattes leur ont poussé, leur arête s’est transformée en colonne vertébrale. Les espèces ont « essayé » toutes sortes de structures pour réussir cette mutation. Les carapaces des tortues sont des structures rigides qui soutiennent une colonne vertébrale encore trop fragile pour les porter, aussi les tortues sont-elles un exemple parmi tant d’autres de structure en mutation. Les espèces mutantes subsistent et sont la mémoire vivante des efforts de la nature pour réussir une adaptation satisfaisante à leur nouveau milieu dont nous sommes l’aboutissement le plus performant.

Mais la transformation la plus délicate qu’elle a opérée pour puissent se reproduire les espèces a été sans nul doute celle des organes génitaux. Le projet de la nature a été de permettre la reproduction des espèces sans que soient oubliés ni le milieu ni le mode de reproduction initial. Sinon nous n’aurions pu être mémoire de la vie. C’est ainsi qu’au cours des millénaires les organes des femelles en s’invaginant ont permis que soit sauvegardé, en le maintenant à l’intérieur d’elles, le milieu aquatique originel propre à la reproduction. L’appareil génital féminin s’est ainsi transformé en micro-océan. Aujourd’hui les micro-photographies du corps humain nous en donnent une confirmation saisissante: elles nous font voir, pour ne donner qu’un exemple, que la trompe de Fallope ressemble à s’y méprendre à une anémone de mer et que son conduit interne est semblable à un tapis d’algues mû par des ondulations rythmées semblables à celles qui animent les fonds sous-marins. Quant à l’organe mâle, il a pris la forme d’un type originel de poisson et s’est progressivement modelé de manière à pouvoir se réintroduire dans ce milieu aquatique. Les petits enfants font preuve, dans leurs dessins, de la mémoire qu’ils ont de cette réalité physiologique en dessinant des poissons qui ressemblent à des pénis.

Grâce à cette adaptation des organes sexuels, le petit mammifère, bien que sur terre, est toujours conçu en milieu aquatique et peut ainsi ne rien oublier de son origine océanique (cf.Ferenczi, Thalassa).

Au cours de son cheminement irréversible en direction du soleil, la vie, depuis les profondeurs marines dans lesquelles elle a commencé à se développer, a dû franchir des étapes plus critiques que d’autres à nos yeux. Celle qui l’a contrainte à changer de milieu nous apparaît comme ayant été la plus complexe et la plus périlleuse jusqu’à nos jours. Celle que nous entreprenons pour changer à nouveau de milieu (passage de la terre aux cieux) le sera peut-être plus encore et demandera de nouvelles mutations que l’on sent déjà s’annoncer. Or c’est en quelques heures que le petit de l’homme opère, en naissant, le passage du monde aquatique à celui de la terre, celui-là même qui a demandé quelques milliards d’années à la vie pour y parvenir.

Cependant la nature, pour laquelle tout n’est que continuité, l’a lentement préparé en le dotant d’un équipement physiologique relayé par un appareil psychique d’une subtilité dont les hommes n’ont peut-être pas encore vraiment pris la mesure (c’est le processus de la naissance qu’ont inconsciemment reproduit les astronautes pour conquérir l’espace aérien : maintien de la pression atmosphérique, liaison par cordon, manoeuvre de retournement, etc.). Car s’ils avaient vraiment conscience de la subtilité dont fait preuve la nature pour permettre au petit humain de ne rien oublier de son passé biologique, s’ils avaient conscience de l’importance qu’il y a pour lui de n’en rien oublier, s’ils savaient que toutes les phases de la naissance sont des répétitions nécessaires de l’effort de la vie pour parvenir aux développements ultérieurs de la mémoire, de la conscience, de l’intelligence et de son aptitude à se reconnaître au monde dans sa dimension intemporelle et universelle, alors les hommes ne se permettraient peut-être pas de manipuler inconsidérément le nouveau-né et sa mère au moment le plus sacré et le plus précieux de leur histoire. Ils oublient peut-être qu’il ne s’agit pas de la seule adaptation physiologique de l’individu au monde physique, mais que sa dimension spirituelle ultérieure est enjeu précisément à ce moment privilégié de la naissance. C’est dans le premier instant avec « une autre », sa mère, que paradoxalement il n’éprouve pas encore comme autre que lui, que s’inscrit cette conscience universelle et que sa mère lui transmet son patrimoine culturel. Cette transmission par le corps, qui à ce moment-là est esprit, est vitale et n’a rien de commun avec les moyens que nous offre ensuite la raison.

[…]  »

Les chemins du corps
pp. 147-156

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