Articles – Le Monde du Yoga https://lemondeduyoga.org Un site de la FNEY & de l'UNY Wed, 06 Mar 2024 13:31:40 +0000 fr-FR hourly 1 Liban: un espace de paix en temps de guerre https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/liban-espace-de-paix-temps-de-guerre/ Mon, 27 Apr 2020 12:02:50 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/?post_type=la-vie-du-yoga&p=17352 Fragments de vie sur une terre brûlé « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard hautain, Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent. Non, je me tiens en paix et en silence ; Comme un petit enfant contre sa mère, Comme un petit enfant, telle est mon […]

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Fragments de vie sur une terre brûlé

« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard hautain,

Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de prodiges qui me dépassent.

Non, je me tiens en paix et en silence ;

Comme un petit enfant contre sa mère,

Comme un petit enfant, telle est mon âme en moi. »

Psaume 131, 1-2.

KAN YA MA KAN… C’était il y a longtemps, c’était hier, et peut-être encore demain…

C’était le temps des bombes, d’autres auraient parlé de fleurs, mais pour notre génération, les bouquets dont il s’agissait sentaient la poudre, la peur, et bien d’autres choses encore…

Je me souviens…

Une voiture filant à toute allure dans la nuit, vers la maternité, à travers les barrages et sous le sifflement des bombes… Le retour du bébé dans les bras de sa mère, accueillis par des regards d’enfants apeurés qu’on apercevait à travers la lueur des bougies dans un abri de sacs de sables et de parpaings.

Enfants, nous avions été bercés par des comptines et des histoires de contes de fées… Nous n’avions pas les données pour survivre à tant d’atrocités et d’horreurs… Heureusement l’apprentissage a été rapide, on apprend vite, on appelle cela l’instinct de survie.

Nos enfants, comme berceuse, ont eu droit aux chants militaires diffusés toute la journée par la radio, aux bruits des obus, reconnaissant d’instinct leur départ et leur arrivée. Comme mots d’enfant, un vocabulaire précoce, courant et riche : noms de chars, léopard, M.113, M.60, missiles et mortiers, lance-roquettes, R.P.6, Bazooka… Anti-char guides : Milan, Entac… Artillerie : Howittzer 155 et 240 Mn et orgues de Staline…

Nos montagnes, nos prairies, nos cèdres se réveillaient sur des détonations d’obus et avaient pour semence des bombes à fragmentation et au phosphore… La nuit dans nos villes, quartiers et ruelles était rythmée par les balles des francs-tireurs et leurs kalachnikovs. La voix des hommes agonisant sur le pavé résonnait, et résonne encore et encore…

Puis, un certain silence, qu’on appelle « cessez-le-feu »… C’était presque magique. Des moments intenses de vie où les femmes et les hommes s’activaient et où la vie enfin reprenait ses droits. Des images me reviennent : des retrouvailles au soleil autour de la fontaine d’un village de montagne. Des femmes entourées de bidons et de bouteilles, échangeant des recettes, des remèdes transmis de mère en fille depuis des générations. La solidarité, la générosité et la compassion régnaient alors. Un certain humour aussi, des regards et des sourires, oui beaucoup de sourires et de complicité. Puis venait bien sûr le troc à la libanaise : bougies, allumettes, piles, tout s’échangeait, c’était précieux, c’étaient nos trésors de guerre…

Oui, c’était bien ma vie, cette traversée au creux d’une vallée très obscure, dans un ghetto englouti dans une noire tristesse, sous l’occupation, où morts et handicaps, voitures piégées, deuils et désespoir étaient le quotidien. L’expression d’une vie vraiment vécue. Dans cette tragédie, ce qui importait, c’était le partage et, dans ce partage, la communion. Avec les membres de ma famille, l’éducation des enfants, mes amis et voisins, les refugiés, l’enseignement des enfants de l’institut des malentendants, le foyer des jeunes filles handicapées… Chaque matin était un défi, chaque soir un triomphe.

Je me souviens encore… L’accès de la rue menant à l’université était condamnée, c’était une ligne, un mur de démarcation, pour cause de tireur embusqué. Nous entrions au campus par un petit sentier sablonneux, et c’est ce même chemin que nous dévalions en catastrophe, en sens inverse, lorsque le canon tonnait plus que de coutume. En arrivant au bout de l’allée, le regard levé vers le ciel, je souriais et rendait grâce.

 

Le yoga : éloge d’une patiente aventure où tout est grâce

Hier encore, je me voyais tel un fragment frémissant sans rythme dans la sphère de la vie.

Aujourd’hui, je sais que je suis la sphère et que toute la vie se meut en moi en fragments

Rythmés.

Les enfants du prophète, textes inédits G.K. Gibran, éd. Al Baurak.

Vivre suppose que l’on soit suffisamment protégé dans un milieu sécurisant. Mais quand la menace de mort est permanente, un rapport pathologique au temps s’installe. C’est l’immédiat qui prend le relais de tous les besoins, c’est l’impératif de survie… La vie devient un ici et maintenant. Le harcèlement des besoins vitaux place l’individu dans une grande solitude : résoudre les problèmes de l’eau, de l’électricité, le fuel, le pain, les médicaments, etc., va requérir beaucoup d’énergies et les épuiser.

En effet, quand on manque de tout et que les énergies vitales sont confrontées sans relâche au manque existentiel, le retentissement sur l’équilibre psychologique est indéniable et constitue la prédiction de développement de problèmes comme la dépression, la nervosité, l’oubli, la perte de repères, les allergies, les douleurs musculaires, les diarrhées, les maux de tête, les insomnies… Enfin, c’est la kyrielle des somatisations qui s’installent…

Mais voilà, dans ce sentiment d’être hors la vie, hors du temps et de l’espace, une rencontre avec le yoga a été possible. Sur le tapis comme territoire, une vraie odyssée s’est inscrite, telle celle de Sindibad, ou tel le voyage d’Aladin, sur son tapis volant. Au fil des ans, l’apprentissage de cette discipline a été une traversée initiatique. Une invitation à regarder la vie en face, à n’avoir pas peur de sa peur, à ne pas désespérer de son désespoir. Dans l’épreuve, le yoga a été comme une semence sur une terre brûlée, dont les graines, yama (conduite envers les autres), niyama (conduite envers soi-même), prânâyâma (techniques de respiration), âsana (postures), pratyâhâra (le retrait des sens)… ont fait jaillir les fruits de l’humilité et de la compassion. Les ashtanga (les huit membres), par leur pratique, donnent à la vie une dimension nouvelle, une qualité et une liberté d’être.

L’engagement au yoga ouvre une espace de réflexion intense : comment faire silence ? Écouter en soi le retentissement de ce mot, son murmure. Comment nous appuyer sur l’expérience du monde sensible, pour nous ouvrir à l’essentiel et ainsi retrouver en soi un espace de communion avec le soi profond pour atteindre l’unité et la cohérence de son être et de sa personne ?

En yoga, la pratique du travail postural permet de décoder le langage du corps et ses émotions. De retrouver l’équilibre et de vivre sa verticalité dans toute sa symbolique. Sentir ses appuis, sa tonicité, reconstruire l’image du corps et ses perceptions, et ainsi se mettre debout, digne et libre. Dans la statique, pouvoir être son propre témoin, vivre l’harmonie intérieure, canaliser ses énergies pour explorer la dimension cosmique du corps et du souffle, chemin qui nous ouvre la voie du divin.

Dans ce parcours, jalonné de rencontres et de formations, une courageuse reconstruction s’est établie autour du théâtre, de la danse, de la psychophonie, du personnage clown… Mais surtout, dans le cadre de la Fédération Nationale des Enseignants de Yoga de Paris, un accompagnement exceptionnel transmis par un passeur des temps modernes, M. Patrick Tomatis, qui par son écoute, sa bienveillance et sa pédagogie, a permis de maintenir le cap au-delà des traumatismes, de dénouer les nœuds et, lentement, de trouver une issue au désir de vivre, de penser, de créer et d’aimer.

Oui, sur cette terre martyre, le yoga est bien un appel à la vie qui habite l’être dans son intimité profonde, une voie qui permet d’explorer le détachement et la non-violence, d’éloigner peur, tristesse et désolation.

… Ils sont venus, ils sont tous là, les uns et les autres sur leur tapis, pour vivre l’instant présent, se ressourcer et repartir dignement vers leur destin…

Peut-être que la sagesse est tout simplement une affaire de patience,

Et la guérison une question de temps.

Et tout ce qui vous fut jamais donné de bon est à vous pour toujours.

Rachel Naomi Remen, M.D., Kitchen Table Wisdom, The Berkeley Publishing Group, N.Y., 1996.

 

Oser sa vie

Quand on aborde le yoga dans ses multiples formes vastes et complexes, une histoire passionnante s’inscrit dans notre vie, et on comprend en l’approfondissant qu’on est prédestiné à comprendre par sa propre vocation, par sa propre orientation culturelle et celle du moment historique auquel on appartient, l’image qu’on s’est créée, un horizon spirituel, une conscience de pensée mythique, une structure de symboles ainsi qu’une maturité mystique.

Mircea Eliade, Le yoga, Immortalité et Liberté, éd. Payot, Paris, 1975.

 La sagesse, pour qu’elle puisse se développer et se déployer, devrait trouver une base solide, sur une exigence qui se pose à nous, dans des résolutions quotidiennes.

Une quotidienneté peut-elle se vivre sur fond de guerre ? La sagesse en temps de crise, c’est de ne pas se dérober aux premières peurs et doutes. C’est aussi ne jamais renoncer à donner son cours de yoga et surtout s’engager moralement vis-à-vis des personnes qui viennent au cours et s’installent sur le tapis de yoga en confiance.

Cette expérience, ce vécu, a pris toute sa dimension en juillet 2006 quand, à l’aube, nous sommes réveillés par des bombardements de l’aviation qui pilonnent les ponts, les infra-structures, les centrales électriques…

Cela faisait un moment que la vie s’était installée dans une certaine normalité… Mais voilà, nos repères éclataient à nouveau. Les gens ont fui vers les montagnes, chez des parents ou des amis, dans les écoles et les monastères… L’insécurité, l’angoisse et la peur ont refait surface, mais aussi beaucoup de colère devant tant d’injustice. Rapidement, les réflexes de survie se sont installés. La vie s’est à nouveau réorganisée dans un rythme différent, les longues files d’attente, les pénuries.

De partout, les adeptes du yoga appelaient, voulant absolument continuer les cours. Quelle responsabilité ! Comment accompagner toutes ces personnes, organiser un cours, suivre une certaine pédagogie, prendre du recul par rapport au quotidien si pénible ? Moi-même vivant au cœur même de cette situation.

Je recevais des coups de fil et des messages de mes amis et collègues de l’école de Paris, ainsi que de mon enseignant, qui s’inquiétaient et disaient tous leur sympathie et compassion.

Je ne pouvais ignorer toute l’ampleur de cette demande de rester dans l’essentiel, au sein même de la vie, du Soi absolu, de l’ATMAN.

Et voilà comment les cours ont repris en soirée. Ils étaient présents, nombreux, ces hommes et femmes de bonne volonté. Des jeunes avec leurs amis, des femmes enceintes. Ils étaient venus à pied, à vélo, en auto-stop. Des retrouvailles chaleureuses et pleines d’émotions. Ils étaient heureux d’avoir osé braver le sort. D’être là, tout simplement.

Je ne saurais décrire l’intensité du moment où, en silence, on s’installait pour vivre en yoga. Assise sur mon tapis, j’étais portée par toutes ces années d’apprentissage, d’assiduité dans la pratique, de lectures.

En préliminaire, il nous était impossible de nous allonger au sol, alors nous travaillions debout les respirations. La maîtrise du souffle, et l’amplitude respiratoire nous permettant de débloquer nos tensions psychiques, et notre fatigue s’estompait. Puis venaient les enchaînements en équilibre pour retrouver un peu de quiétude, d’apaisement et de concentration. Pour renforcer notre détermination, la fermeté et la stabilité, je proposais la posture de force, des postures de guetteurs, la posture du coq et des cuisses. Je les invitais à prendre des postures d’extensions éminemment et puissamment libératrices :

En assouplissant le haut du dos, en ouvrant les aines, en favorisant l’épanouissement de la cage thoracique et la tonicité abdominale, elles permettent un déconditionnement (de notre être social, de notre mode de pensées, de nos comportements).

Patrick Tomatis, Revue française de yoga n° 6, p. 97.

Pour faciliter la prise de conscience des tours et détours de la pensée, on pratiquait les torsions, mouvements en spirale qui stimulent l’introspection, le mental se trouvant ainsi dans une nouvelle étape de réflexion et de conscience, un passage vers l’autre rive, un autre état d’être. Souvent nous prenions la tortue ou le fœtus lié, nous sentant ainsi enfin disponibles pour la répétition des mantras SO HAM et AUM… et enfin, pour terminer, prendre la liberté de s’allonger sur le tapis pour prolonger cet état subtil de la détente et de l’abandon.

J’étais souvent tentée d’allonger la séance, de presque les retenir. Mais là aussi, je faisais l’apprentissage du « lâcher prise », laisser faire, laisser partir…

J’ai levé un pan de voile sur ce vécu ensemble dans un temps de crise. Tissant des liens bénis avec les uns et les autres, actrice de ma vie, dans un état de communion profond que je garde précieusement comme cadeau de la vie.

Revue Française de Yoga, n° 43, « Sagesses par temps de crise », janvier 2011 pp. 67-73

 

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Nous sommes tous des exilés du rêve https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/nous-sommes-tous-des-exiles-du-reve/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/nous-sommes-tous-des-exiles-du-reve/ Dès lors qu’un texte est lu, il est passé au filtre de l’histoire personnelle de son lecteur; autrement dit, il est l’objet d’une interprétation. Il en va de même lorsque l’on cherche à se remémorer ses rêves. L’homme tente alors l’impossible : réunir le « je » diurne avec le « je » nocturne.

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Ma lecture d’un texte, par exemple d’un poème, est déjà interprétation, en ce sens que les mots que je lis me renvoient à mon histoire, c’est mon histoire qui les lit, c’est elle qui donne sens au texte.

Le seul titre du poème de Baudelaire : Invitation au voyage ne me renvoie qu’à mes propres voyages, d’autant qu’il précède le poème et ne peut donc à ce moment de ma lecture m’évoquer que le nimbe d’allégresse, de désir, de fatigue ou de désespoir qui auréole pour moi le mot VOYAGE.

Après une première lecture du poème, le titre m’offrira par anticipation mon idée de la « splendeur orientale » du décor. Ma lecture sera « orientée » vers le voyage baudelairien, mais même ma deux ou trois centième lecture (et même si je finis par connaître le poème par coeur) m’invitera encore à un voyage en moi-même, car tout le poème, parce qu’il est poème, par la vertu de ma lecture « symbolique » et de son interprétation, sera devenu voyage en moi-même. Interprétation – annexion: le poème sera devenu mien, mais il m’aura transformée, transformant mon « fantasme » du voyage.

Le souvenir de mon rêve est déjà interprétation. Il est déjà choix, correction, approximation. Dépassons Valéry. Il est déjà « lecture », et, par la lecture, investissement. J’investis mon rêve, le souvenir de mon rêve, de toutes les évocations que les images et les émotions qu’il m’a permis de « vivre » éveillent, ou réveillent en moi.

L’interprétation commence bien là, dans le jeu dialectique du souvenir et de l’oubli, du désir et de l’angoisse, de l’horreur et de l’émerveillement qui se répondent du sommeil à la veille et de la veille au sommeil. Dans cet « accompagnement » que j’offre à mon rêve, en le faisant tout simplement revivre dans ma tête. Par le souvenir, j’introduis le temps. Je fais que « j’ai rêvé » et je donne existence au rêve en tant que rêve. Est-ce le récit du rêve, ou le simple « souvenir » du rêve que le fait entrer dans l’« humain »? Les animaux se « souviennent »-ils de leurs rêves ? Se souviennent-ils de tout cela, qui est irrémédiablement perdu, qui ne vit plus que dans l’espoir, si fragile, qu’on a de s’en souvenir ? Je fais cet effort, parfois démesuré, même si le rêve ne m’a pas donné de particulière satisfaction. C’est émouvant le « souvenir » du rêve, la gratuité de la démarche, perdue d’avance si l’on se place du point de vue de la possession. Et pourtant oui, c’est bien cela que je cherche, à « posséder » mon rêve, à l’inviter à faire partie de moi-même, parce qu’il ne peut en être autrement. J’ai rêvé. Où est le je qui a rêvé ? Quel est-il ? Je ne peux l’imaginer à ce point étranger que son sort m’indiffère. Me souvenir de mon rêve, c’est mon seul espoir d’établir un lien entre le je du jour et le je de la nuit, entre le je des forces obscures incontrôlées et le je de la claire perception de la veille. Comment apprivoiser les premières si la seconde ne peut les connaître ? Et le souvenir est ici désespérément seule voie de connaissance. On pense aux exilés, aux patries interdites qui ne vivent que dans les traces éperdues du souvenir. Eperdues, de peur d’être perdues.

Nous sommes tous des exilés du rêve.

J’aime retourner l’expression « faire un rêve » et dire que les rêves nous font plus que nous ne les « faisons ». Un rêve me fait. « Ça » fait un rêve (pas je), mais le rêve fait je. Par les voies que nous avons dites. Par le souvenir. Par l’effort pour être « mémoire », le même effort que font tant de peuples dits sauvages pour revivre les premiers « temps » où le temps n’existait pas. Le temps de ce que nous appelons le mythe, et de ce que certains d’entre eux nomment le « rêve » : le dream-time. Le temps du rêve qu’ils ont peur -que j’ai peur- d’oublier. Le souvenir du temps où ils étaient UN, du temps qui les fait UN, rien que par le souvenir. Le temps de la Création. Le temps où je suis né(e). Le temps où pour la première fois j’ai rêvé. Qui osera se pencher, qui un jour osera imaginer le premier rêve du bébé ? A quoi rêve-t-il, lui qui a si peu de passé, à qui ses rêves « échappent », puisqu’il n’a pratiquement pas de phases d’éveil pour en assurer le souvenir? Le « dream-time » : Bébé rêve, bébé passe la moitié du temps de son sommeil à rêver, et ne s’en souvient plus ! Quel gâchis ! Vertus du « processus primaire » ! Et pourtant, cela ne l’empêche pas d’être UN. Nostalgie de l’enfance, et de l’enfance de l’humanité, rêve innocent du premier homme, que je n’imaginais pas être… la femme (car on a vu les complications entraînées par le rêve d’Adam !), mais le rêve de rester UN (pas deux). C’est ce rêve, héréditaire, qu’ont encore quelques « sauvages » d’Australie et d’ailleurs (du moins je l’espère), qui sauve, sans doute, l’humanité de la totale « séparation » ! Rêve de rester un avec eux-mêmes, archétype de l’archétype, car il ne connaît pas même la différenciation du souvenir qui crée l’image, et qui est la première différenciation. Mon rêve n’est pas une image, pas plus que pour les quelques « sauvages » dont je parle le dream-time n’est une image: il est leur vie, comme mon rêve est ma vie… quand je le vis. L’exil commence au souvenir, quand je commence à me souvenir, je m’aperçois que je suis exilé(e), et nous sommes tous des exilés du rêve, car nous avons tous des souvenirs de rêves et nous essayons tous d’en avoir plus, comme cela, pour nous-mêmes, même si ce n’est pas pour les conduire à l’interprète, par nostalgie. On aura compris quelle nostalgie, quelle force de nostalgie nous pousse à cet acte de « mémoire » impossible, et pourquoi l’homme court ainsi après son rêve : tout simplement pour essayer de faire UN avec lui-même, désobéissance essentielle, tâche prométhéenne qu’il aime à retenter chaque jour après chaque nuit, métaphore de sa grande et profonde interne séparation, de l’abyssus sur lequel il tente contre tout de s’ériger.

Les « consciencieux » feront interpréter leurs rêves, en un acte de conjuration contre l’oubli d’eux-mêmes, de leur patrie. Et non contre l’exil. Contre l’exil, il est trop tard, de toute façon.

Nous ne rêverons jamais plus au présent.

Revue Française de Yoga, n° 17, « Rêver », janvier 1998, pp. 289-292

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Le repas et le sacrifice https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/le-repas-et-le-sacrifice/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/le-repas-et-le-sacrifice/ Les pratiques sacrificielles permettent de faire le lien entre le monde des dieux et le monde des hommes, ce dont témoigne le mythe de Prométhée. Cette polarité entre séparation et fusion, qui suppose une certaine violence, se retrouve au niveau individuel pour aboutir à la construction du surmoi.

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SACRIFIER

Séparer/relier : la médiation sacrificielle

Le partage de la réalité entre un ordre naturel et un ordre surnaturel semble être la condition même d’existence de la religion. (…) Mais au-delà de cette division, les médiations introduites par la pensée symbolique, les mythes et les rites tissent une unité du réel sur laquelle les hommes ont fondé leurs diverses identités culturelles. C’est dans cette polarité séparation/relation que se situe l’action de sacrifier, c’est-à-dire de faire du sacré, de rendre sacré quelque chose qui était profane. Nous avons l’habitude de penser que le sacrifice est un acte sanglant, impliquant la mise à mort, parfois même la torture de la victime; et quand nous essayons de l’analyser, nous faisons référence à des systèmes métaphysiques, abstraits. En un sens, nous avons raison: le problème de la violence est inhérent au sacrifice (…).

Je partirai, là encore, de ce que nous apporte la psychanalyse. Nous étions dans la pulsion orale comme expérience première. Freud avait distingué deux étapes pour en saisir la dynamique et les transformations chez l’adulte : avant la rivalité oedipienne, où elle est sous le signe de l’identification à l’objet, c’est-à-dire au sein, sous le signe de la non-différenciation ; après la crise oedipienne, pendant laquelle l’intériorisation de l’instance paternelle, de ce que représente le père, produit ce que Freud appelle le surmoi. Même si les psychanalystes aujourd’hui ne voient plus les choses dans cette disposition diachronique, divers éléments sont à retenir pour notre propos. Disons pour résumer que, grâce à l’intériorisation de la fonction paternelle, que nous pouvons définir comme « loi et parole », le moi infantile sacrifie sa toute-puissance, accepte la séparation, accepte de ne pas être la totalité, mais qu’en face de lui se posent des êtres distincts, différents. C’est donc ce moment psychologique qui détient la clé de la constitution d’une identité capable d’accepter une altérité : on peut dire que, dans cette hypothèse, ce moment est en quelque sorte fondateur des valeurs de la religion. Ce sacrifice du moi laisse en effet se construire à l’intérieur de la psyché une instance transcendante, sublimante, éthique, le « sur-moi ». C’est donc en sacrifiant sa position spontanée de totalité que le moi découvre de l’autre : tel est le point, considérablement remanié, que j’aimerais faire ressortir de l’anthropologie freudienne, et qui fonde psychologiquement l’un des éléments les plus forts de la religion. Ce sacrifice est d’abord senti comme une amputation, une violence: on parle aussi bien de crise oedipienne que de crise sacrificielle ; c’est que, sans doute, la violence est inhérente à la séparation.

Quittant, en apparence, le terrain de la psychanalyse, reportons-nous au mythe grec de Prométhée, qui reste très vivace dans nos inconscients occidentaux. On sait que Prométhée est un héros civilisateur qui a volé le feu confisqué par Zeus afin que les humains ne puissent en profiter. Ici le feu est symbole global de culture: sans feu, impossible de sacrifier et de faire la cuisine ! Ce qu’on oublie généralement, c’est que Zeus n’a pas confisqué le feu sans raison, mais à titre de punition répondant à une tromperie délibérée. Hésiode raconte l’aventure dans la Théogonie (507-616) : le Titan Prométhée, rival et complice du maître de l’Olympe, le convie à choisir sa part du boeuf qu’il a sacrifié selon les règles qui sont celles du culte grec et qu’il est censé avoir inventées en cette occasion. Zeus prend naturellement ce qui lui paraît le plus appétissant, mais qui ne se révèle finalement qu’os sans chair sous la graisse et la peau rôtie, tandis qu’échoit à son partenaire, et donc à l’humanité qu’il représente dans cette affaire, la viande consistante. Tromperie, le découpage frauduleux est parfaitement véridique sur le plan symbolique: la chair, putrescible, est nourriture humaine, tandis que les os calcinés et parfumés d’aromates répandent un fumet qui alimentera les dieux: « De là vient que, sur la terre, la race des hommes brûle pour les Immortels les os blancs sur les autels qui exhalent le parfum de l’encens » (556-557).

Le mythe énonce un changement d’époque qui se marque de deux façons : d’une part, Zeus instaure son règne sous le signe de Thémis, la Loi, signant la fin de l’ère antérieure des Titans et des monstres ; d’autre part, les hommes qui vivaient plus ou moins avec les dieux dans un état de relative indifférenciation vont désormais être séparés d’eux par une claire différence de statut. Cette rupture, le sacrifice de Prométhée la symbolise par la différence alimentaire: c’est elle qui marque l’écart, mais elle affirme en même temps la prétention à faire venir et revenir les dieux pour un repas dont ils sont les invités et dont ils ont besoin. Le sacrifice, tout en mettant chaque sphère, humaine et divine, à sa place, reconstruit partiellement et de manière répétitive la convivialité originelle.

Prométhée lui-même est un personnage médiateur; il a un « rôle ambigu d’allié hostile, de complice rival, d’enchaîné libéré, de puni pardonné, de rebelle réconcilié et intégré » (J. P. Vernant). En lui, c’est la divinité du conflit, Eris, qui travaille l’humanité : le conflit est inhérent à la condition humaine, c’est fondamentalement pourquoi il y a violence dans le sacrifice, mais en même temps Eris est constamment jugulée par les rites des hommes et par la Loi de Zeus. Jean-Pierre Vernant vient à remarquer que le châtiment de Prométhée souligne encore sa nature médiatrice. Le foie est en effet considéré, dans la divination grecque, comme le lieu d’une médiation entre les hommes et les dieux, et par Platon comme le siège de l’âme inférieure où pourtant peut se projeter l’intellect supérieur.

Pour que la médiation sacrificielle soit possible, il faut donc une victime consentante. C’est une fiction bien connue des cultes anciens, aussi bien grecs qu’indiens, que l’animal doit hocher la tête avant d’être mis à mort, à seule fin que la faute de l’avoir sacrifié ne retombe pas sur les sacrificateurs et plus largement sur les hommes. Certains cultes africains (comme le sacrifice du pangolin chez les Lele, rite célèbre parmi les Africanistes) font montre du même souci. Nous retrouvons cette idée fondamentale que le sacrifice est une violence ; n’allons pas jusqu’à considérer, comme René Girard, que tout l’édifice de la religion est une construction substitutive et refoulante de la violence originelle des êtres humains entre eux. Je crois que c’est singulièrement exagérer les choses et faire fausse route dans bien des exemples qu’il donne. Il n’en reste pas moins que le sacrifice évolue, dans les cultures où l’éthique s’élabore progressivement, vers l’idée de sacrifice de soi, librement consenti et conscient.

(…)

Revue Française de Yoga, n° 25, « Manger, jeûner, sacrifier », janvier 2002, pp. 191-201

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Rêver aux rivages du Rhin https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/rever-aux-rivages-du-rhin/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/rever-aux-rivages-du-rhin/ L’Allemagne romantique fait du rêve le miroir de la véritable nature humaine. Bien éloigné des torpeurs du sommeil, le rêve romantique constitue le cœur de l’existence. La traduction poétique de cette conception est parfaitement illustrée par les travaux de Caroline de Gunderode.

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Il existe un texte fondateur du dialogue de l’Allemagne romantique et du rêve. Il figure dans un roman de Karl-Philipp Moritz, qui raconte les errances lyriques du jeune Andreas Hartknopf dans les terres mouvantes du souvenir. Obsédé par des réminiscences qui le renvoient aux paysages obscurs de l’enfance, il finit par découvrir dans le lointain de la mémoire le mot qui va livrer le sens de sa propre énigme. Il s’agit du mot « puits » qui le renvoie à son origine puisqu’on raconte volontiers aux petits que là réside la source de notre avènement au monde. Dès lors pour Andreas « chaque fois qu’il entendait prononcer les mots puits ou source naissait en son âme cette singulière séparation que nous éprouvons d’ordinaire lorsque nous nous rappelons quelque objet de notre enfance la plus reculée ». Mais le seul nom de puits a une autre résonance parce qu’il est comme le signe à partir duquel les vies antérieures vont peu à peu venir à la lumière. Et c’est dans l’approfondissement de cette image privilégiée que par le rêve nous parviendrons à saisir l’ensemble de notre destinée, là où semble se dévoiler la nature singulière de notre propre mystère.

Le rêve tel qu’on en suit le rayonnement chez les romantiques d’outre Rhin n’a guère de lien avec les obscurs méandres du sommeil. Il est plutôt attention extrême aux mouvements secrets de l’âme, il est une surconscience nourrie de toutes les lumières de la conscience active ; il est ainsi plongée dans le plus profond de notre existence ; il est retour à notre condition paradisiaque d’avant l’exil selon ce qu’en dit Ludwig Tieck.

« Peut-être a-t-on raison de dire que nous sommes tous des anges en exil qui, indignes de leur félicité, révoltés contre l’amour, furent replongés dans un état apparenté à la mort, que nous appelons notre vie. Nous grandissons et notre enfance est un rêve qui se tisse en nous-mêmes, une nuée rose précédant les premières ardeurs du soleil matinal ». Mais bien au-delà de l’enfance, cet étrange tissage se poursuit et le rêve est le reflet de cette aventure du dedans qui pour certains êtres représente le véritable accomplissement d’une existence vouée à un souci unique : chercher, dans la fidélité au rêve, la fidélité à son propre destin.

(…)

La vie comme expression suprême de la poésie, ou la poésie comme révélation ultime de la vie, tel est bien le sens de ces deux destins féminins, deux destins intimement parallèles, jusqu’au jour du moins où Caroline Von Gunderode, abandonnant à Bettina Brentano les incertitudes terrestres, choisit d’aller voir ce qu’il en était de l’éternité. Ephémère amitié, dont le parcours peut paraître dérisoire, cinq années à peine de 1801 à 1806, mais cinq années particulièrement symboliques puisque ces deux jeunes filles vont constituer le coeur de cette communauté autour de laquelle vont graviter la plupart des poètes et des philosophes de l’Allemagne romantique.

(…)

Le grand poème que Caroline Von Gunderode nommera Fragment apocalyptique et dont nous ne savons à quel moment il fut écrit représente le voyage singulier de la jeune fille à travers les images capitales du texte sacré, mais ce sont des images complètement métamorphosées par les mouvances profondes de l’âme. Caroline retrace selon son besoin son expédition dans le vaste bouleversement de la création que raconte l’Apocalypse en relatant l’effondrement de l’empire infernal et l’avènement du royaume millénaire. Pour reprendre le langage d’Otto Walter, le texte se déploie tout entier entre deux états du coeur : le fascinant et le terrifiant. Pour éloignée qu’elle fût du christianisme orthodoxe, Caroline n’ignorait rien de tout ce que la tradition médiévale avait exalté de la fusion sans frontière avec l’oeuvre divine, tel cet hymne chanté aux portes gothiques:

Oh, pouvoir se noyer
Dans l’océan primaire et fondamental de la divinité
Afin d’être par là entièrement libéré
De tout souci, de toute angoisse, de toute peine.

Fascination et terreur constituent les visages de l’Apocalypse. Mais au-delà de cette imagerie nourrie des grandes hantises de la Méditerranée antique, Caroline déchiffre dans le texte le double de son propre périple : échapper au diable, c’est-à-dire à l’angoisse et à la séparation, afin d’accéder à ce statut de femme vêtue de soleil qui est le visage même de la révélation. Là tout s’organise autour de l’eau et du feu.

Caroline s’instaure en témoin du vaste affrontement des éléments, affrontement dont naîtront les formes multiples de la vie. L’eau des commencements est ce lieu indifférencié où sont contenus tous les germes du futur. Mais cette eau première est comme notre être lui-même : calme dans son apparence et agitée dans sa profondeur. A quelle eau participons-nous : à l’eau paisible de la surface, ou à l’eau angoissée des abîmes?

L’histoire de la création commence avec le soleil levant, vers lequel Caroline est tournée, avec l’apparition du feu dont la tâche est de vivifier et d’ordonner les premiers visages de la vie. Mais le soleil est aussi celui qui fonde la couleur, qui transforme l’élément liquide en une palette qui, du noir au blanc, dessine toutes les variations de l’esprit. Et Caroline est ici hantée par le rouge, couleur de l’aurore, couleur du sang, mais aussi flamme de l’incendie où le coeur se consume. Et au milieu de ce bouleversement, commence un étrange dialogue avec le temps. Dans quel temps vivons-nous en effet ? Celui du quotidien à travers lequel nous éprouvons l’apparence des choses et des êtres, ou celui du rêve qui nous conduit vers une autre réalité, comme le dit Steffens: « Quiconque a pris garde à ses propres rêves a fait cette expérience qu’un monde particulier du songe se déroule à côté du monde réel. Qui n’a vu, à l’état de veille, des hommes ou des paysages, qui n’a vécu des aventures qu’il lui semblait avoir connues jadis ? Qui ne se sent transporté en rêve dans des situations et des contrées qu’il ne reconnaît que d’après ses rêves ? » Et ces rêves-là, souvent fort éloignés dans le temps, s’accompagnent d’une sensation toute particulière, d’un bien-être profond ; c’est comme si nous nous sentions exceptionnellement libérés de toutes les gênes de la veille.

Mais le sommeil que décrit Caroline Von Gunderode évoque un dialogue d’une autre nature ; le rêve y est comme une aspiration à une autre demeure de connaissance, ce que décrit Heinrich Schubert, un contemporain de Caroline, lorsqu’il dit: « Un souffle puissant entraîne l’âme jusqu’à la rive du monde de l’esprit. Jusqu’aux pays des songes et un doux sommeil convie les membres de son ombre protectrice. Il faut bien voir que le même tréfonds sacré qui, à l’heure de l’enthousiasme, soulève l’âme au-dessus d’elle-même et du corps périssable, est en même temps ce puissant appel qui, sous le nom de mort, arrache l’âme au corps. Il faut y prendre garde : il y a un enthousiasme qui tire l’âme vers les sommets et un autre mouvement, apparenté à l’enthousiasme, qui entraîne l’homme à l’abîme ».

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Revue Française de Yoga, n° 17, « Rêver », janvier 1998, pp. 269-287

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Quelques réflexions sur la transmission individuelle https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/quelques-reflexions-sur-la-transmission-individuelle/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/quelques-reflexions-sur-la-transmission-individuelle/ L’acquisition d’un savoir tire profit d’un questionnement, comme en témoignent de nombreux textes traditionnels indiens. La formation des enseignants de yoga s’inscrit dans cette perspective et peut s’appuyer sur une relation pédagogique individualisée, dans laquelle la transmission fait l’essence du savoir.

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La tradition

La relation pédagogique entre l’enseignant et l’élève apparaît au centre de la plupart des anciens livres du yoga. Bien qu’aujourd’hui, dans un contexte très différent, il soit délicat d’interpréter les anciennes écritures, on peut cependant constater dans nombre de textes de la tradition, la place prépondérante occupée par la relation didactique individuelle. Dans cette situation distincte, la prise de parole de l’élève, et particulièrement son questionnement, apparaît comme le germe fondamental de l’initiation à la connaissance. Les exemples abondent tant qu’il serait possible d’y voir uniquement un genre littéraire.

En outre les diverses lectures symboliques sous-jacentes ne doivent pas être oubliées. Il est néanmoins raisonnable de suggérer que cette mise en situation d’une transmission individuelle entre le professeur et l’élève représente un idéal dans la pédagogie de l’expérience du yoga.

Parmi les textes les plus célèbres, rappelons quatre exemples où, à chaque fois, le questionnement de « l’élève » va susciter l’exposé de l’enseignement.

Dans la Bhagavad Gîtâ, Arjuna, général en proie au désarroi, interroge son cocher, qui au fur et à mesure du dialogue se révèlera être le dieu Krishna, lui montrant la voie à suivre. Tout au long du texte, le débat est relancé par les questions appropriées d’ Arjuna, jusqu’à l’approfondissement final.

Dans la Taittirîya Upanishad, le jeune Bhrigu reçoit l’enseignement de son père Varuna, grâce aux questions qu’il lui pose.

Dans la Gheranda Samhitâ (texte du Hatha-Yoga), Chandakapali, membre d’une communauté mystique apparentée aux Nâths, se rend individuellement à la cabane du Maître Gheranda et l’interroge afin de recevoir son enseignement.

Dans le Yogayâjnavalkyam, la situation évoquée est très intéressante, il s’agit d’un enseignement individuel au sein d’un groupe. En effet, le maître Yajnavalkya est présenté face à une assemblée de « sages et de puissants ». Au milieu de ce groupe, une jeune femme, Gargî, s’avance et l’interroge. Les réponses de Yajnavalkya vont développer la totalité de l’enseignement du yoga, elles seront sûrement édifiantes pour toute l’assemblée, mais elles ne s’adressent qu’à une seule personne, la jeune Gargî, qui continue de l’interroger.

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La pédagogie

En dehors de la difficile référence aux textes qui ne peuvent être des justificatifs (notamment à cause de la multiplicité des interprétations), le cours individuel de formation est une situation didactique avantageuse pour des raisons évidentes.

En premier lieu, il favorise précisément la prise de parole de l’élève. Celle-ci est essentielle. L’enseignement se vivifie du questionnement de l’élève qui devrait être la base de la construction pédagogique. Par conséquent, le professeur, avant d’enseigner, en cours individuel comme en cours de groupe, devrait écouter son ou ses élèves et s’ingénier afin de créer les conditions qui suscitent l’interrogation orale, notamment en créant un climat de confiance et de respect réciproque. Un professeur de yoga qui donne des cours trop magistraux risque fort de ne pas être dans la transmission ; il se raconte.

Dans la même perspective, l’enseignant a vocation à être un miroir pour l’élève. Il ne devrait pas se montrer ou démontrer excessivement mais plutôt ouvrir une perspective qui permettra à l’autre d’être autonome, de se reconnaître.

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Par ailleurs, le cours individuel de formation, adjoint aux cours de groupe, permet naturellement une observation plus précise des difficultés du pratiquant. Il permet un ajustement de la pédagogie au niveau des questions exposées. En conséquence, il favorise une approche plus appropriée, respectueuse du rythme auquel l’élève est apte à assimiler les différentes connaissances techniques et philosophiques.

Lignée

L’élève et l’enseignant s’insèrent mutuellement dans une longue chaîne (parampara) de la transmission du yoga, dont le contexte évolue actuellement.

Née en Inde il y a plusieurs dizaines de siècles, en se diffusant en Occident cette discipline change de milieu économique et culturel. Tout en étant respectueux des sources indiennes, les pédagogues de nos écoles cherchent à relever le défi de la transposition du yoga dans nos cités. L’évolution des cours de formation professionnelle qui en découle concourt ainsi à la naissance d’une « tradition européenne du yoga ». Elle s’attache à conserver l’essence spirituelle du yoga tout en s’exprimant avec une pédagogie adaptée à nos schémas mentaux. Ce yoga européen sera sûrement amené avec le temps à se différencier pédagogiquement du yoga indien, et aussi peut-être du yoga américain.

Ces dernières années nous voyons en Occident la tendance à créer des courants de yoga: yoga de l’énergie, yoga de Nil Hahoutoff, yoga de Madras, yoga d’Iyengar, etc., etc. Cette orientation est sujette à réflexion. Il est normal que se rassemblent sous une même bannière des professeurs issus d’une même sensibilité du yoga, à des fins d’échanges et d’organisation interne. En revanche, il est étrange d’entendre des personnes se déclarer individuellement élève d’un courant, yoga, qu’il soit de l’énergie ou autre. Avant tout, n’est-on pas l’élève d’un professeur, plus que de la vague notion de « courant de yoga »?

Le cours individuel se situe à l’opposé de cette orientation, il permet de préciser la lignée de transmission et la responsabilité qu’elle comporte de part et d’autre. Surtout, il permet de dispenser à l’élève plus précisément les notions de respect et de liberté, le respect des autres, de leurs différences, mais aussi celui de l’enseignement reçu. Chaque enseignement provient d’une expérience vivante dont l’efficacité a été vérifiée et continue de l’être dans une longue chaîne de professeurs à élèves. Cette expérience partagée constitue un cadre de sauvegarde de l’authenticité dans la transmission du yoga.

Cependant ce cadre ne doit pas devenir rigide, l’élève doit être libre d’interpréter, d’adapter l’enseignement sans le trahir.

L’élève ne doit pas imiter son professeur, ne pas devenir un clone ou un perroquet. Il doit retraduire, avec sa personnalité et son vécu spécifique, l’enseignement qu’il a reçu, tout en préservant l’essentiel.

Nous trouvons là un paradoxe que les yogis apprécient: être à la fois fidèle à sa perception et fidèle à la lignée générale de l’enseignement acquis.

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Revue Française de Yoga, n° 31, « Transmettre », janvier 2005, pp. 143-148

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Relation pédagogique dans l’enseignement du chant https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/la-relation-pedagogique-dans-lenseignement-du-chant/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/la-relation-pedagogique-dans-lenseignement-du-chant/ La réalisation de l’objectif que se fixent l’élève et le professeur peut emprunter des chemins différents mais il semble que la démarche la plus enrichissante soit celle qui consiste à partir de l’élève. Cela suppose certaines qualités pédagogiques de l’enseignant, et notamment la capacité de se remettre en cause.

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DEUX DÉMARCHES, DEUX VISIONS DE LA RELATION

Je voudrais donc évoquer deux grandes démarches pédagogiques, que j’ai vécues personnellement, et qui se fixent toutes deux ce même objectif, mais en utilisant deux chemins opposés.

La première, la plus classique, tente de modeler cette forme à atteindre grâce à une écoute extérieure (celle du professeur, qui a priori en connaît les constituants). L’élève sera donc guidé dans son travail par l’oreille du professeur (théoriquement fiable, mais pas garantie !). Le professeur, pour ce faire, aura su, bien sûr préalablement, établir une relation de confiance avec son élève, mais celui-ci doit suivre ses indications aveuglément et ne pourra juger du bien-fondé de la démarche du professeur que quand le travail aura suffisamment avancé, et apporté des changements notables. Pendant tout ce temps où l’élève doit changer ses repères, il est totalement dépendant quant au choix du but et du chemin à atteindre, qui est fixé exclusivement par le professeur. Ce dernier tente, selon ses propres critères, d’établir réglage, contrôle et mise en place (mais toujours par son écoute extérieure de l’élève) d’un mécanisme qui lui « paraît » adéquat, d’une machine bien huilée, et si possible fiable.

Mais l’élève n’a, dans ce cas, aucune autonomie dans son travail individuel en l’absence du professeur, puisqu’au départ, il n’a plus ses propres repères, et qu’il doit, (petit à petit, car cela va prendre beaucoup de temps !) s’organiser, s’adapter de l’intérieur pour essayer de donner satisfaction aux demandes extérieures du professeur, en essayant de gérer, le plus souvent très inconsciemment, toutes les difficultés intérieures qu’il rencontre, et qui ne sont que trop rarement prises en compte. Ce chemin demande une grande maturité, qui n’est malheureusement pas le lot de la majorité des élèves, et de plus il est jalonné par de nombreux risques d’écueils et d’erreurs.

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Et puis il y a une autre démarche pédagogique, qui part de l’élève. Le premier travail du professeur est alors d’apprendre à percevoir l’élève tel qu’il est le jour de la rencontre, de comprendre son mode de fonctionnement, puis de l’aider à développer ce qu’il est, son être profond, de l’aider à découvrir et dénouer les différents blocages qui le freinent ou même lui interdisent un geste qu’il désire, qu’il ressent juste dans son corps, mais qu’il n’arrive pas à laisser advenir. Le professeur devra prendre le temps d’écouter la posture de l’élève, sa verticalité, son centre de gravité, sa respiration, son rythme intérieur, son état émotionnel. Puis, grâce à sa maîtrise personnelle de la matière enseignée et pratiquée, et grâce à ce respect du fonctionnement interne complexe de l’élève, quel qu’il soit, il essayera de lui permettre de dépasser les entraves des difficultés techniques rencontrées, pour qu’il puisse s’exprimer dans toute sa vérité et sa profondeur personnelle (vraie, reliée directement à lui-même), au travers de la forme imposée par l’art qu’il veut servir. Et alors, vivant de l’intérieur des formes d’expressions différentes de sa propre sensibilité, l’élève s’enrichira à leur contact, tout au long de son travail.

N’oublions jamais les raisons qui amènent quelqu’un chez un professeur. L’élève vient rarement parce qu’il a envie de « faire des exercices », ou de se construire une technique. Ce qui a motivé sa démarche, c’est l’espoir de pouvoir un jour vivre en lui-même les émotions qu’il a ressenti en écoutant un chanteur, etc. Et pour y arriver, il est parfois prêt à tous les sacrifices. En tant que professeur nous ne devons pas abuser de cette confiance qui nous est faite, et ne pas détourner cette demande de son vrai but.

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QUALITÉS PÉDAGOGIQUES NÉCESSAIRES POUR DEVENIR UN BON PROFESSEUR

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C’est le professeur, qui a la connaissance, qui doit s’adapter au niveau de compréhension de l’élève et à son fonctionnement, et pas l’inverse. D’ailleurs sa vérité n’est pas forcément celle de l’élève ! Parfois, les propositions de travail du professeur son justes, mais l’élève n’est pas prêt à suivre ce chemin aujourd’hui. Alors, quel mal y a-t-il à chercher et proposer un autre chemin? L’important n’est pas le chemin lui-même, mais le but à atteindre. Repensons à l’expression : « Tous les chemins mènent à Rome »

C’est là qu’une riche imagination sera un grand atout pour un professeur. De toutes façons, il faut toujours accepter de se remettre en cause. C’est une grande qualité pour un professeur, et un gage de progrès.

La souplesse imposée par cette remise en cause permanente au contact de l’autre (professeur ou élève) est la base d’une vraie force qui ne peut que s’amplifier. Une rigidité d’opinion n’est que le signe de la peur de découvrir que ce que l’on sait n’est pas totalement exact et qu’il risque donc d’être remis en question par d’autres. Nous craignons d’affaiblir notre image, mais en fait nous nous isolons ainsi sur une île de plus en plus déserte, moribonde, et désaffectée par ceux qui recherchent une vérité vivante. Je vous le redis : la vie avance, évolue, bouge, et si on reste sur ses acquis, on recule, on se sclérose.

Or, oser confronter nos convictions, voire nos certitudes, est un moyen fantastique de continuer à s’enrichir, de découvrir d’autres schémas ou des superpositions de plusieurs schémas connus, d’autres manières de dire, de vivre ce que nous ne connaissons que partiellement, et aussi de confirmer pour nous-mêmes nos affirmations, ce que nous croyons vrai : en un mot de progresser. Car cela ne nous empêche pas au contraire de fixer certaines de nos certitudes, mais de plus en plus en connaissance de cause, et avec de plus en plus de possibilités d’argumentations.

Ne nous privons pas de la recherche permanente de la vérité (elle est insondable). « Plus je progresse dans la connaissance, plus je me rends compte que je ne sais rien ». Alors, étudions et respectons la logique des choses (fonctionnements biologiques, physiologiques, physiques, mécaniques, psychologiques). Cet apprentissage est très enrichissant puisqu’il nous entraîne vers la découverte de la Vie (la terre et ses lois, l’homme et les relations sociales,… ). On comprend alors dans le concret de nos expériences que nous (humains) nous sommes un micro-cosmos, que nous pouvons tout rencontrer en nous (phylogenèse, ontogenèse, et bien sûr notre propre petite histoire). C’est une démarche absolument passionnante et sans fin.

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Revue Française de Yoga, n° 31, « Transmettre », janvier 2005, pp. 153-180

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De l’assise profane à l’assise sacrée : l’assise comme symbole https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/de-lassise-profane-a-lassise-sacree-lassise-comme-symbole/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/de-lassise-profane-a-lassise-sacree-lassise-comme-symbole/ Au trône dans sa dimension terrestre est toujours associée une certaine autorité, qu’elle soit politique, sociale ou spirituelle. Dans sa dimension céleste, le trône symbolise l’accueil que fait l’Homme au divin en son cœur, ce qui se retrouve dans l’assise bouddhique, bien éloignée du symbolisme du discobole grec.

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LE TRÔNE TERRESTRE

Dans le monde dit « profane », le siège est souvent un signe d’autorité : très spécialement le trône sur lequel le roi ou son représentant édictent les lois, en assurent l’exécution et rendent la justice. Ce siège royal représente alors les trois pouvoirs du politique: législatif, exécutif et judiciaire, indissociablement unifiés dans la personne du roi. Il en a reçu la mission divine lors du sacre solennel conféré par le pouvoir spirituel : pape ou évêque en Occident.

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Plus près de nous, le Saint Siège, le trône de Pierre, est signe et support de l’autorité reçue du Christ par Saint Pierre puis les papes ses successeurs, autorités spirituelle et temporelle représentées dans l’iconographie chrétienne par les deux clefs d’or et d’argent. « Je te remets les clefs du Royaume des cieux. Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux » (St Matthieu, XVI, 19).

D’une façon plus générale, recevoir assis (ou sur un siège surélevé) un interlocuteur debout (ou assis plus bas) témoigne d’une autorité assumée pour le premier et reconnue par le second. La différence de niveau ainsi affirmée, confère à la rencontre une certaine solennité qui élimine trivialité ou vulgarité, et crée un cadre propice à favoriser l’efficacité du dialogue : qu’il s’agisse du supérieur hiérarchique et de son subordonné, du professeur et de l’élève ou du maître et du disciple. La marquise de Sévigné décrit ainsi une réunion de nobles femmes : « Madame de Richelieu est assise, et puis les dames selon leurs dignités les unes assises, les autres debout ». Ainsi, l’usage du siège respecte-t-il le dharma dont une définition simple est: une place pour chaque être, et chaque être à sa place. Par contre, l’ordre juste veut que dans une séance d’analyse ou de psychothérapie en face à face, les deux sièges soient identiques et au même niveau, témoignant d’un travail mené en commun sans prééminence du thérapeute.

LE TRÔNE CÉLESTE

Quittons maintenant le monde terrestre et les rapports de prééminence et d’autorité qui régissent sa pyramide hiérarchique, pour contempler le monde céleste et ce qu’y symbolise le trône dans les textes sacrés de différentes traditions.

Dans le christianisme, le trône est le siège du Divin se manifestant dans sa gloire. Dans le Credo, le Christ est dit « siéger à la droite du Père » après sa résurrection et son ascension. Dieu le Père ou le Christ sont souvent représentés dans l’imagerie chrétienne trônant de façon solennelle. Il en est de même pour la Vierge Marie, notamment dans les sculptures d’époque romane où d’innombrables effigies sculptées ou peintes la représentent assise sur un trône et tenant sur ses genoux, de face, l’enfant Jésus : image, nous le verrons plus loin, symbolisant le psychisme humain vierge de toute représentation, et pouvant alors « concevoir du Saint Esprit » le Verbe divin : concevoir pris ici dans les deux sens du terme (engendrer et imaginer).

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Pour l’ésotérisme islamique, le trône (el Arsh) est le support de la transcendance du principe divin et symbolise la manifestation informelle – nous dirions l’ensemble des archétypes célestes qui s’incarnent dans le monde formel : « Dans le trône se trouve la représentation de tout ce que Dieu a créé sur terre et dans la mer. Aucune créature ne peut regarder sa lumière éblouissante ». Selon le soufisme, chaque chose ou être créé considéré dans sa nature primordiale est le Trône de Dieu, très spécialement le coeur du contemplatif. L’ âme humaine affranchie des émotions et des pensées terrestres et tournée vers le céleste devient le Trône de Dieu. Elle s’identifie alors à cette catégorie d’anges les plus proches de la réalité divine et que l’on nomme « les trônes » dans le christianisme. Ces « trônes » constituent avec les séraphins et les chérubins la première des trois triades de créatures angéliques, et symbolisent en fait cette capacité de l’âme de devenir pure réceptivité au numen divin. Un des noms donnés à Allah dans le Coran est « le Seigneur du trône », ou « le Seigneur des cieux et de l’immense Trône, le maître du Trône ».

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L’ASSISE EN SILENCE COMME TRÔNE

La représentation du Bouddha assis en lotus nous renvoie à ce qui fonde toutes les civilisations orientales et extrême-orientales : l’investissement prioritaire de l’énergie psychique et corporelle dans la découverte de notre réalité ultime, c’est-à-dire l’entrée dans la plénitude et la béatitude d’une conscience débarrassée de ses parasites habituels que sont les pensées et les émotions, où nous pouvons éprouver « Je ne pense pas, donc je suis ».

Dans cette posture assise du Bouddha, l’immobilité totale du corps et l’extinction de toute impulsion au mouvement amènent progressivement (quelquefois brusquement) notre âme agitée et turbulente à devenir transparente à la transcendance de l’Esprit, renonçant à toute préoccupation existentielle.

Cette posture s’oppose en tous points à une autre attitude qui symbolise le moteur de tout le développement de la civilisation occidentale depuis le VIe siècle avant Jésus-Christ : celle du célèbre discobole du sculpteur grec Myron (V siècle avant Jésus-Christ).

Cette civilisation, dont le développement s’accélère de façon exponentielle du VIe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à maintenant (où sa vitesse touche à la folie), est animée par une pensée toute entière orientée et tendue vers l’explication rationnelle du monde visible. Cette pensée hypertrophiée et progressivement affranchie de toute influence spirituelle, de toute référence à une intelligence transcendante, va engendrer la science matérialiste occidentale et le monde mécanisé, laïcisé, désacralisé et finalement autodestructeur où nous vivons actuellement.

Autant l’attitude du Bouddha en méditation, stable et totalement détendue, évoque l’installation de la conscience dans la paix et la lumière intérieure sans aucun but ni désir, autant celle du discobole en déséquilibre et tendu vers la performance (celle de lancer le disque toujours plus loin sans jamais se satisfaire du résultat) suggère le besoin pathologique et mortifère de l’Occidental d’aller toujours plus avant dans le déchiffrage des lois du monde matériel pour toujours plus le dominer et l’exploiter au profit de ses instincts animaux. Ainsi, son âme (son psychisme) se trouve-t-elle toujours plus étroitement asservie aux redoutables forces de la matière qu’il prétend dominer, avec toutes les conséquences que cette fin de siècle étale sous nos yeux, année après année de façon de plus en plus évidente sans que nous n’y voyions rien.

Cette recherche jamais assouvie de la connaissance de la matière contraste de façon saisissante avec cette plongée dans le mystère de la profondeur intérieure que suggère l’image du Bouddha en lotus. Ici, l’assise méditative rend dérisoire la quête sans fin de la découverte et de l’exploit qui anime, ou plutôt possède l’âme du chercheur occidental.

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Revue Française de Yoga, n° 22, « Postures de l’assise », pp. 69-94

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La posture debout : quelle aventure ! https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/la-posture-debout-quelle-aventure/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/la-posture-debout-quelle-aventure/ L’évolution de l’espèce humaine se cristallise autour de la bipédie. Plusieurs théories s’accordent pour attribuer son origine à un changement environnemental. Les conséquences de ce redressement se traduisent physiologiquement. La posture debout, en yoga, s’inscrit dans cette perspective historique.

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Quel est l’animal qui marche à quatre pattes le matin, deux à midi, trois le soir… ? Mythique et éternelle question posée à Œdipe par la Sphinge.

Symbole même de notre évolution, elle évoque le temps, l’apprentissage, l’équilibre, la stabilité et l’impermanence. Du nourrisson à l’enfant, de l’enfant à l’adulte, de l’adulte au vieillard.

Mais qu’est-ce au juste que se tenir debout ? Depuis combien d’années nous sommes-nous redressés ? Quelles en ont été les conséquences physiques, psychologiques, spirituelles?

De fait, vaste question et grand mystère dans le sens où l’entendait le père Varillon, jésuite, qui écrivait: « Un mystère n’est pas quelque chose que l’on ne comprend pas mais quelque chose que l’on n’a jamais fini de comprendre… »

Dans ce redressement, nous nous tenons au centre même de notre évolution, témoins vivants, si j’ose dire, de cette mutation de l’espèce humaine, conscients des changements passés et à venir, inéluctables. En sachant qu’en yoga l’usage dans certaines lignées comme celle de Madras est de commencer la pratique en étant justement debout, l’envie m’est venue de faire un détour par nos ancêtres, d’aller voir du côté des spécialistes et de ce qu’ils ont à dire des différences entre le corps de l’homme préhistorique et celui de l’homme moderne. La bipédie est au centre du débat.

I. NOS PREMIERS PAS PRÉHISTORIQUES

Il semblerait, selon les dernières recherches, que nous ayons partagé avec les grands singes africains un dernier ancêtre commun, dont on cherche toujours la trace.

Comment ces deux lignées se sont-elles séparées?

Une des hypothèses les plus couramment admise fait état d’évènements climatiques et géologiques se produisant en Afrique entre huit et six millions d’années. Un fossé d’effondrement creuse le continent depuis le nord de l’Éthiopie jusqu’au lac Malawi, au sud. Cela a pour conséquence l’élévation des contreforts du Rift qui va faire barrière géographique. Le climat change, les pluies venues de l’ouest sont retenues par cette barrière, il pleut moins à l’est, des plantes herbeuses se développent et la savane s’installe. C’est la théorie d’Yves Coppens, connue sous le nom d’East Side Story. D’après lui c’est dans ce contexte que les homininés, notre lignée, émergent, alors que les paninés, sous famille de grands singes africains et groupe frère des homininés comprenant les chimpanzés, les bonobos et les gorilles, restent à l’ouest du Rift.

La bipédie plus élaborée est liée à ce nouvel environnement. Elle est acquise alors pour favoriser les déplacements, voir plus loin et détecter les dangers.

L’arbre est toujours là, mais les grandes forêts ne sont plus l’habitat quotidien. La marche s’impose mais, nous le verrons, la course aussi. De proie, l’homme deviendra prédateur.

Pour un autre spécialiste, Pascal Picq (paléoanthropologue maître de conférence au Collège de France) la bipédie, l’outil, la chasse sont des caractéristiques qui existent chez notre dernier ancêtre commun: « Elles apparaissent dans le monde des forêts et sont sélectionnées par la suite dans le contexte des savanes arborées. Ces aptitudes comportementales sont présentes chez des hominidés ancestraux vivant dans les forêts. L’aptitude à se redresser sur les deux jambes fait partie du répertoire locomoteur des grands singes hominoïdes depuis plus de dix millions d’années. Cette marche bipède a été sélectionnée comme une adaptation avantageuse pour la survie de l’espèce lors de ces changements d’environnement comme l’East Side Story. En fait, l’environnement ne crée rien mais sélectionne. »

(…)

Les différences et les spécificités du squelette et de la musculature de l’homme moderne, l’Homo sapiens, découlent de la bipédie permanente et spécialisée qui s’est répercutée sur la forme du pied, des membres inférieurs, du bassin, du tronc et sur la position de la tête.

« La colonne vertébrale est un peu comme un ressort à ruban, explique Dominique Gommery – chargée de recherche à l’unité de dynamique et évolution humaine du CNRS – les courbures des segments cervicaux, thoraciques et lombaires rendent la colonne plus élastique et plus résistante à la compression. » C’est indispensable pour amortir les chocs quand le talon frappe le sol.

Prenons la colonne vertébrale et distinguons les caractéristiques propres à l’humain: les vertèbres lombaires sont plus nombreuses et plus larges que chez les grands singes, et leurs apophyses transverses donnent une base solide aux muscles impliqués dans la stabilisation du tronc. Les vertèbres soudées du sacrum et du coccyx sont larges et cette partie vient s’insérer sur un bassin plus trapu. D’où une ceinture pelvienne renforcée. Mais pourquoi? Voici ce qu’en dit Christine Berge, directrice de recherche au laboratoire Etudes et adaptation des systèmes ostéo-musculaires au Muséum d’histoire naturelle: « L’ennemi numéro un d’un mode de locomotion où l’on élève son centre de gravité à presque un mètre du sol, c’est la gravité. Dès lors, le but c’est d’avoir un bassin le plus ramassé possible pour limiter les mouvements cisaillant sur les articulations. Dans la course, il est l’élément clé de la stabilisation. Sa forme qui traduit l’adaptation au poids du corps, a cependant rendu plus difficile l’accouchement qui fait s’enchaîner la rotation puis la flexion du nouveau-né. En quelque sorte, nous avons acquis la spécialisation envers et contre tout. »

(…)

Les australopithèques disparaissent à cause d’un assèchement de leur environnement autour de 2,5 millions d’années. Et nous voilà avec une multiplicité d’autres homininés, pour arriver au seuil de notre espèce d’homme moderne. Depuis trente mille ans, il ne reste plus qu’une seule espèce d’homme, installée sur la planète. Son adaptation est liée à sa culture et à ses moyens techniques. Homo sapiens est le dernier représentant de cette très longue histoire évolutive. Notre morphologie et notre squelette sont plus fins que ceux de nos ancêtres, et « nous sommes uniques parce que nous sommes seuls », écrit Pascal Picq.

Forts de cette remontée dans le temps et de cette visite de courtoisie à nos vieux parents, la posture debout, en yoga, prend toute sa dimension, et même une dimension singulière: repère dans le temps, dans l’espace, affirmation d’une présence au monde et d’une vigilance à l’instant.

Elle permet l’immobilité mais prépare et autorise la mise en mouvement, la mise en marche en confiance et conscience vers l’autre, l’inconnu. Le souffle est là… fil ténu parfois mais tenu.

Revue Française de yoga, n° 32, « Être debout, marcher », juillet 2005, pp. 29-42

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En chemin vers la parole : l’expérience védique de l’acheminement https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/en-chemin-vers-la-parole-lexperience-vedique-de-lacheminement/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/en-chemin-vers-la-parole-lexperience-vedique-de-lacheminement/ L’avènement de la création et la perpétuation de l’ordre du monde suppose une lutte constante contre le désordre, incarné notamment par Nirriti, force de destruction. L’agencement du cosmos procède de l’action conjuguée de la parole et du sacrifice. C’est aux rishi, poètes-voyants, que revient cette tâche.

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La notion de cheminement au sens védique conduit à une réflexion extrêmement actuelle sur les liens entre le caché et le manifeste, l’ordre et le désordre, le plein et le vide, notions qui sont au coeur de la conception védique du monde et de l’être humain.

Pour comprendre l’idée de cheminement dans la littérature védique, il est indispensable d’explorer les fonctions respectives de la parole et du sacrifice et de mettre en évidence leur lien avec la notion de rita, l’ordre cosmique et/ou la vérité.

OUVERTURE DE L’ESPACE ET CRÉATION DU MONDE

Selon la pensée védique, toute création exige que l’on ouvre un espace, que l’on crée une distance là où il y a resserrement. Tout acte créateur consiste, avant tout, à frayer un chemin. La création, et en particulier la création du monde, est donc fondamentalement une mise en mouvement, une impulsion originelle qui permet aux êtres et aux choses de circuler. Ainsi, la valeur suprême de la pensée védique, le rita, implique par essence l’idée d’agencement en renouvellement constant. C’est un ordre dynamique.

Le but de la création est d’extraire l’ordre (rita) à partir du domaine de l’inagencé (anrita) où règne le désordre. Plus tard, conçue également comme un autre avatar du désordre, apparaît Nirriti, force dans une certaine mesure indispensable à la création. En effet, dans l’Inde védique, ordre et désordre n’ont jamais été irréductiblement opposés et ils constituent les deux éléments inaliénables de l’univers créé. Amhas, littéralement « étroitesse », « resserrement », ce manque d’espace qui empêche l’émergence du cosmos constitue la première image védique d’un « mal » à combattre .

Pouvant désigner la vérité, le rita est aussi dans les Veda l’univers harmonisé, c’est-à-dire, l’agencement exact des forces cosmiques et sociales. Au rita s’oppose l’anrita, le mensonge, la fausseté. L’anrita, littéralement absence d’ordre, est l’univers encore inagencé. Parmi les incarnations du désordre, Nirriti est une puissance associée aux abîmes, aux gouffres, aux trous. Force terrible, elle incarne « la destruction, la néantise » (Renou) car elle introduit dans l’agencement du monde des fissures, des déchirures, qu’il faudra ensuite réparer en comblant les lacunes. Assurer par exemple la continuité du rituel ou l’enchaînement des jours et des nuits, équivaut à collaborer au bon déroulement du monde. L’existence même de l’univers dépend de l’absence de brisures. Le rita constitue un réseau de connexions qui permet de tenir ensemble les éléments qui forment le cosmos. Défaisant des liens, introduisant des ruptures dans cette trame cosmique, Nirriti s’y oppose et menace ainsi le bon déroulement des choses. C’est donc quand on sait la capter, la ménager, que Nirriti peut contribuer par ses pouvoirs à l’agencement correct du cosmos.

(…)

PAROLE-SACRIFICE: LE PIVOT DE L’UNIVERS

L’acte sacrificiel est conçu comme modèle de tout autre acte. Le sacrifice active l’ordre cosmique, le recréant à chaque instant. Sans lui, le rita serait un ordonnancement vide et statique. Le sacrifice védique n’est aucunement, comme le veulent certains exégètes, un simple rite visant l’obtention de la nourriture, des enfants, des vaches, des richesses. Il constitue l’élément nécessaire au maintien de l’ordre cosmique.

La parole et le sacrifice ont des rôles homologues car c’est grâce à eux que le monde peut continuer à exister. Ils tendent un fil entre l’ordre macrocosmique et l’ordre microcosmique, les tenant ensemble. Aussi bien la création poétique que l’activité sacrificielle se fondent sur un ordonnancement du temps et de l’espace. La parole a pour vocation d’assurer la continuité du sacrifice, et ce dernier dépend de la parole pour prospérer. « Structurée en mètres (chandas), elle [la parole] permet aux poètes (…) de mettre en mouvement le char du sacrifice, à l’aide des strophes et des mélodies » (Malamoud). Plusieurs images montrent l’intimité qui existe entre parole et sacrifice, notamment dans un célèbre récit mythologique qui narre même leur accouplement sexuel.

Si certains dieux comme les âdityas sont bien les garants de la création, c’est à la parole que revient le rôle créateur par excellence dans les Veda. La connexion entre la création et la parole se fonde sur l’acte de nommer, car donner un nom revient dans la pensée védique à donner l’existence à l’être nommé. « Nommer » c’est avant tout « appeler », car « l’appel rend ce qu’il appelle plus proche », ainsi Heidegger formule-t-il, en résonance avec la pensée védique, son intuition à propos de l’acte de nommer. Il fait advenir la « présence logée au coeur de l’absence ».

(…)

La création par la parole est l’apanage des rishi, êtres aux pouvoirs exceptionnels qui ont « vu » des vérités cachées aux yeux des hommes ordinaires. L’étymologie traditionnelle fait dériver le nom des rishi de la racine drish, « voir », car l’essence de leur tâche est celle des poètes-voyants. La Shatapatha Brahmana propose une autre étymologie: « Ils s’épuisèrent (rish) de labeur et de ferveur ascétique, c’est pourquoi ils sont appelés rishi». Ayant le désir de transmettre le contenu de leur vision aux générations futures, ils auraient composé les Veda et transmis ainsi son expérience visionnaire par leurs hymnes. La geste des rishi est donc la création d’une matière textuelle capable de donner à entendre leur vision. Les rishi sont appelés aussi poètes (kavi), car ils ont donné à leur « révélation » la forme articulée d’un langage.

La parole qu’ils recherchent est par définition cachée : elle réside dans un lieu lointain auquel ils ne parviennent qu’au terme d’un long voyage. Leur chemin constitue ainsi un véritable « acheminement vers la parole », conçu comme acte créateur et ordonnateur par excellence.

Les rishi ont conscience de ne pas habiter un « monde ordonné », un cosmós dans le sens littéral du terme, mais un monde qui est à ordonner en permanence. Ce travail d’agencement constamment renouvelé est conçu dans les Veda comme un long chemin, identifié lui-même à un sacrifice.

L’Inde est peut-être le pays qui a développé, sans interruption et pendant des millénaires, le plus grand nombre de mythes, de rites et de spéculations sur la parole. Il s’agit dans ces considérations d’une parole d’avant le langage, du Verbe créateur et sacré par excellence, mais aussi de l’étude du langage tel que les hommes le parlent. Ainsi, des disciplines comme la phonétique ou la grammaire sont devenues des voies possibles de salut en tant qu’elles sont mises au service de la compréhension et de la transmission d’une vérité contenue dans les strophes védiques (mantras).

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Revue française de yoga, n° 32, « Être debout, marcher », juillet 2005, pp. 107-117

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Quelques aspects du symbolisme de l’axe vertical https://lemondeduyoga.org/la-vie-du-yoga/quelques-aspects-du-symbolisme-de-laxe-vertical/ Wed, 27 Jun 2012 16:21:38 +0000 https://yoga-plateforme.fr/mdy/blog/la-vie-du-yoga/quelques-aspects-du-symbolisme-de-laxe-vertical/ L’homme constitue par l’intermédiaire de son corps et de sa conscience une représentation de l’axe qui relie le monde humain au monde des dieux. De même, l’échelle de Jacob illustre les états de conscience successifs qui mènent à la présence divine, symbolique reprise par l’architecture gothique.

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L’AXE VERTICAL, IMAGE UNIVERSELLE

Dans la symbolique universelle, la ligne verticale est l’image la plus simple de la relation de la terre au ciel, autrement dit du monde matériel au monde divin. Cette relation trouve son support le plus accompli chez l’être humain qui par sa nature participe à la fois de la terre et du ciel: de la terre par son corps fait de matière (annamaya kosha en langage védantique) et du ciel par sa conscience, reflet de la béatitude divine (anandamaya kosha).

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La signification de cette image archétypique de « l’axe du monde » s’éclaire si l’on accepte l’idée selon laquelle le monde où nous vivons, que nous percevons par nos cinq sens avec son espace à trois dimensions, n’est qu’un univers parmi une infinité d’autres qui constituent l’ensemble de la manifestation universelle. Ceux-ci sont totalement inaccessibles à notre entendement, mais l’échelle de Jacob décrite dans la Genèse (XXVIII, 11 à 19) en constitue un symbole très évocateur. Rappelons-en la substance; Jacob allongé sur le sol rêve: « Voici qu’une échelle était plantée en terre et que son sommet atteignait le ciel, et des anges de Dieu y montaient et descendaient. » Et Yahvé lui dit: « La terre sur laquelle tu es couché, je te la donne à toi et à ta descendance qui deviendra nombreuse comme la poussière du sol. » A la suite de ce rêve, Jacob prend une pierre, la dresse comme une colonne verticale et la consacre: « Et cette pierre dressée comme une colonne sera la maison de Dieu. »

Dans ce récit, on perçoit bien la relation qui s’établit entre verticalité et sentiment intense de la présence divine, le « Numen ». A ce sujet René Guénon écrit dans son livre Le roi du monde au chapitre 9 : « Il est très probable que chez les peuples celtiques certains menhirs avaient cette signification; et les oracles étaient rendus auprès de ces pierres comme à Delphes, ce qui s’explique aisément dès lors qu’elles étaient considérées comme la demeure de la divinité. » A la lumière du texte de la Genèse, nous pouvons comprendre comment ce symbole de l’échelle de Jacob dressée verticalement et parcourue dans les deux sens par les anges réalise une représentation symbolique de « l’Axis Mundi » ou axe traversant tous les mondes. En effet, Jacob couché horizontalement sur la terre occupe un plan, un degré de la manifestation universelle dont les barreaux de l’échelle symbolisent les autres degrés parcourus par les énergies divines figurées par les anges, et qui sont innombrables.

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L’image de l’ascension vers les états supérieurs de l’être en parcourant l’axe du monde a son équivalent dans celle de la chaîne des mondes: comme un collier dont le fil représente l’axe qui traverse tous les mondes symbolisés par les perles du collier; ce fil, sûtrâtma, c’est Âtma qui pénètre et relie entre eux tous les mondes: « Sur moi toutes choses sont enfilées comme un rang de perles sur un fil » (Bhagavad Gîtâ, VII, 7).

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La verticalité dans l’architecture

Quittons maintenant le domaine de la nature et interrogeons celui de la culture. L’art religieux traditionnel s’est appliqué à évoquer l’élan vertical dans des formes peintes, sculptées et surtout dans les architectures sacrées des temples. Chez les peuples primitifs nomades, le besoin ne se faisait pas sentir de construire des édifices sacrés puisque la nature était pour eux le lieu omniprésent de la rencontre avec le divin. L’arbre et la montagne avec leur élan ascendant symbolisaient à eux seuls l’aspiration de l’âme à retrouver sa dimension céleste. Quand se développèrent les civilisations urbaines sédentaires, apparut le besoin de construire dans la cité des édifices plus particulièrement dédiés à la rencontre du divin. Parmi ceux-ci, l’un des plus anciens et universellement répandus fut conçu selon le modèle pyramidal. On trouve la pyramide aussi bien en Egypte qu’en Orient bouddhiste (Borobudur par exemple) ou chez les peuples d’Amérique centrale comme les Aztèques ou les Mayas. Elle naît de la terre sur laquelle repose sa large base carrée et élève par étages sa pointe vers le ciel comme la réalité ultime transcendant toutes les apparences du monde sensible. Ainsi de la base au sommet « tout ce qui monte converge » selon la célèbre phrase de Teilhard de Chardin. Le dynamisme vertical qui anime ces architectures sacrées nous fait passer d’une base plus ou moins étendue à un sommet sans étendue au-delà duquel il n’y a plus que le ciel.

Dans les mosquées de l’islam, ce sont les minarets qui orientent verticalement le regard du fidèle et c’est de leur hauteur que résonne l’appel à la prière.

En Occident chrétien médiéval, le style des églises a évolué à travers deux stades principaux avant l’effondrement de cette civilisation traditionnelle sous la poussée d’un psychisme collectif devenu exclusivement rationnel. L’élan vertical – ou, pour parler comme l’Inde, sattva – fut alors étouffé par rajas et tamas, l’humanisme ayant exclu rapidement le théocentrisme médiéval.

Dès le premier stade, dit « roman », qui s’épanouit du IXe au XIIe siècle, la recherche de l’élan vertical se fait sentir dans quelques grands édifices, à Cluny ou Paray-le-Monial par exemple. Mais l’organisation de l’espace des églises romanes et les contraintes du poids des lourdes voûtes de pierre font que la statique l’emporte sur la dynamique, la pénombre sur la lumière et l’intériorité silencieuse sur le besoin d’élan vers le ciel. Ce besoin devenu plus intense au XIIe siècle va être à l’origine de la naissance d’un nouveau style architectural, le gothique, caractérisant le second stade où il va rapidement supplanter le style roman et s’imposer pour environ trois siècles.

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Cet élan « sattvique » ainsi incarné dans la pierre évoque la liberté donnée aux aspirations à une conscience « céleste » qui peut s’épanouir à l’infini comme un ciel sans nuages. Il délivre au regard contemplatif une « influence spirituelle » stimulant notre conscience endormie et réveille le sentiment de la présence divine au-delà du temps et de l’espace transfigurés. Cet ordre savant mis au service de l’élan céleste de l’âme, régi par la science traditionnelle du sens spirituel des nombres et des formes géométriques, révèle à nos yeux l’ordre invisible sous-jacent aux apparences extérieures de l’univers. Ce n’est pas le cas de la caricature que réalisent à notre époque les gigantesques tours qui se multiplient dans les mégapoles modernes des États-Unis à la Chine: vaste renouvellement en langage actuel de la tour de Babel élevée par des ignorants se prenant pour des dieux.

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Revue Française de Yoga, n° 32, « Être debout, marcher », pp. 125-147

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