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Le Mandala, le rêve et l’ange

par Marina Margherita | Publié le 21 juin 2005

Tout comme l’ange est l’intermédiaire entre les hommes et Dieu ou comme le psychanalyste peut être l’intermédiaire entre un autiste et le monde extérieur, certains rêves seraient les images-écran du Soi (Jung) et le seul moyen de sentir sa présence sans risquer la folie.

« Les rêves sont une source d’images et de mises en scènes symboliques qui font apparaître l’inventivité et l’originalité de celle ou celui qui rêve en même temps que la richesse de l’inconscient. Le refoulé ne constitue qu’une partie de la matière du rêve ; l’autre semble provenir d’un « lieu commun » en soi, souvent non expérimenté, qui ne demande pourtant qu’à se faire connaître. Les rêves qui proviennent de ce lieu commun se signalent par l’impossibilité de les interpréter de manière satisfaisante tout autant pour le thérapeute que pour le rêveur. Les images symboliques qui les composent sont trop synthétiques et trop abstraites pour être interprétées : Ils instaurent le silence. C’est une réflexion sur leur ininterprétabilité que nous souhaitons partager ici. »

« Pourtant (les) images géométriques (de ces rêves) hantent les cavernes de la préhistoire où elles sont le plus souvent attribuées à des interventions chamaniques ; elles apparaissent également dans les peintures sacrées de toutes les religions, dans les architectures du monde entier, ou bien encore dans les dessins de tous les jeunes enfants avant qu’ils aient atteint l’âge de la figuration, quelle que soit leur race ou leur culture. »

« Partout où ces images apparaissent, que ce soit dans les fresques, les icônes ou la structure des bâtiments religieux, elles révèlent la dimension ésotérique et mystique des religions qui les utilisent. Comme les rêves, les religions font appel à toutes sortes de symboles végétaux ou animaux, mais dès qu’elles expriment l’universalité et l’intemporalité, ou la globalité homme-univers, ce sont des carrés, des cercles et des triangles équilatéraux qui apparaissent. Pour n’emprunter d’exemples qu’à la seule chrétienté : l’hostie est circulaire, Dieu est trinitaire, la Jérusalem céleste un cube d’or. »

« Aussi il ne semble pas possible d’interpréter un mandala ou toute autre image centrée qui se présente à la conscience à travers le rêve. Mais ce qui nous questionne, en plus de leur ininterprétabilité, et peut même nous émerveiller, c’est que ces images puissent être produites de manière inattendue et par n’importe qui. Elles semblent indiquer au psychanalyste une sorte d’alchimie inconsciente, une réorganisation des diverses instances psychiques chez l’auteur du rêve en quête de réunification. Jung a nommé ces images centrées, images du « soi ». Si le soi se laisse deviner, n’est-ce pas pour informer le moi de sa présence? »

« L’apparition d’une figure centrée dans un rêve serait-elle l’annonce d’une présence inexprimable du « Soi » tout aussi insaisissable que le souffle d’air annoncé par la clochette ? Annonce d’une réalité que le « Moi » ne parvient pas à saisir, peut-être parce qu’il est trop sollicité par le monde extérieur, ou trop occupé à se défendre d’un environnement trop présent. Le « Moi » ne parviendrait donc pas à saisir l’immatérialité du « Soi ». L’image centrée serait alors, en quelque sorte, avons-nous pensé, le signe annonciateur de l’insaisissable présence d’une absence qui ne pourrait être perçue que dans le silence. »

« C’est surtout entre les sixième et treizième siècles qu’on a représenté des anges, aussi bien dans la religion chrétienne que musulmane, bouddhique ou hindouiste. Et là où il n’y avait pas d’anges, il y avait des esprits. Après une longue absence d’anges, entre la fin de la Renaissance et aujourd’hui, ils semblent apparaître à nouveau. Ils envahissent la littérature ! Que représentent-ils dans la psyché individuelle et collective ? Pourquoi les hommes font-ils appel à nouveau à l’image de l’ange ? Quelque chose serait-il en train de changer collectivement ? Qu’annonce son retour? »

« Pourquoi l’apparition si inattendue d’un ange qui annonce la venue de l’Esprit faisait-elle irruption dans notre champ de conscience juste au moment où nous constations l’impossibilité d’expliquer des images du « Soi » ? Peut-être parce que ces images géométriques centrées (nommées « mandala » par Jung) seraient des images-limites au-delà desquelles il n’y aurait plus de représentations possibles. Elles seraient donc, non pas des images du « Soi », mais des images-écran du Soi. Autrement dit elles évoqueraient le Soi tout en le masquant… Elles seraient en quelque sorte l’indication de l’absence d’une présence, images qui, par contre, aideraient, dans le cadre de la méditation tantrique, le méditant à réaliser le « Soi ». »

« Il est écrit dans le Coran que 70 000 voiles masquent la face de Dieu, et que pour la sauvegarde du fidèle ils ne peuvent être retirés qu’un à un. Cela ne veut-il pas dire que pour que soit sauvegardé le « Moi », le « Soi » doit être masqué ? N’est-ce pas ce que signifie l’expérience spirituelle de saint Paul sur le chemin de Damas: le Christ lui apparut sous la forme d’un disque de feu qui le jeta à terre. L’icône de la Transfiguration représente les apôtres terrifiés et renversés à la vue du Christ transfiguré. Aussi le « Soi » serait inaccessible au « Moi » sans intermédiaire… et l’ange serait alors la représentation d’une instance psychique inconsciente pourtant perçue par le sujet qui assurerait un lien entre « Soi » et « Moi ». »

« (Les enfants autistes) sembleraient avoir la connaissance sans avoir les moyens d’en faire part. Récemment, une neurologue australienne a inventé une communication non affectée, résultat de ses observations et de son intuition fulgurante. Par sa méthode, elle prouve, de manière inexplicable, que l’enfant posséderait de manière innée la connaissance ; et avec la connaissance aucun besoin de savoir. C’est ce qu’ont toujours proclamé les paroles et les écrits des mystiques. »

« Ni fou, ni mystique, l’autiste, comme le bébé, serait dans un monde « unitaire », originel, qu’il leur faudrait quitter pour venir parmi nous, ce que réussit le plus souvent le bébé, mais que ne parvient pas à réaliser l’autiste. Le Moi, si insaisissable soit-il, n’est pas brûlé par le rayonnement du Soi chez le mystique, mais il l’est chez celui qui devient fou ; il n’est pas encore formé chez le nouveau-né qui utilise celui de sa mère pendant que s’élabore le sien ; il semble n’avoir pu se former qu’à peine chez l’autiste qui reste un Soi à l’état presque pur.

Le Soi n’est pas le propre de l’homme : l’animal comme la plante sont des manifestations du « Soi » universel. Mais il faudrait être François d’Assise pour pouvoir communiquer de « Soi » à « Soi » avec les oiseaux. Séraphim de Sarov avec les ours, ou saint Jérôme avec un lion, ou encore un tout petit enfant. Au xive siècle, les moines du désert, défendus par Grégoire Palamas avaient des pratiques bien particulières pour réaliser l’Unité : les brouteurs mangeaient l’herbe comme le font les chèvres, les « dendristes » cherchaient a ne faire qu’un avec l’arbre dans lequel ils se réfugiaient à vie. Ces « fous en Dieu » cherchaient à réaliser un état sans différence en tentant de s’identifier à leurs frères animaux ou à leurs sours plantes.

Cette digression sur l’autisme et la mystique ne nous éloigne pas de notre sujet : elle nous permettra peut-être de sentir un peu mieux encore ce qui se joue dans l’impossibilité que l’on rencontre d’exprimer le contenu de certains rêves qui hantent nos nuits. »

Revue Française de Yoga, N°17, « Rêver. », janvier 1998, pp.293-302.

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