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La médecine sacrée à Sumer

par Marguerite Kardos Enderlin | Publié le 23 septembre 2003

Les vestiges de la civilisation sumérienne témoignent de l’existence en son sein d’une médecine particulièrement développée. Non seulement, parce qu’elle touchait à des domaines très divers, allant jusqu’à certains actes chirurgicaux, mais aussi parce qu’elle embrassait le psychique et le physique dans un seul et même souci thérapeutique.

« Doucement, comme pour dévider un cocon de soie, nous commençons à dégager, depuis à peine cent vingt ans, la tradition sumérienne, six fois millénaire.Tablettes d’argile couvertes d’écriture cunéiforme, statues, bijoux, objets innombrables, temples et bibliothèques s’ouvrent comme des fleurs dans le désert de Syrie, en Mésopotamie ancienne, découvertes par des archéologues: Layard, Smith, Sayce, de Sarzec, et déchiffrées par des linguistes: Hinck, Rawlinson, Oppert, Lenormann. Cette langue agglutinante, monosyllabique, idéographique et la première connue sur notre planète fut florissante entre 3800 et 800 avant notre ère puis dispersée à travers la Perse jusqu’au plateau iranien de Zagros, les Parthes, le Caucase, l’Asie Centrale, elle féconda toutes ces civilisations.

Ainsi la tablette la plus ancienne que nous connaissons de Sumer date de 3500 ans avant J.C. Elle a été découverte à Uruk, l’une des cités-états qui composaient Sumer avec Eridu, El Obeid, Ur (patrie d’Abraham ?), Lagash et Nippur. Cette tablette porte des signes concernant la vie (une main, un temple, des arbres et des signes qui sont peut-être des chiffres). Elle pourrait être un aide-mémoire de médecin.

Nous savons très peu de choses sur l’origine de ce peuple. Venait-il d’Asie centrale? De la mer? Etait-il là depuis toujours? On sait seulement que les Sumériens étaient de type brachycéphale, pommettes saillantes, petits, trapus, les épaules larges, les cheveux foncés.

Peuple sédentaire, cultivateur et bâtisseur de villes, il nous a laissé quelques vestiges de son environnement et les fouilles faites à Uruk ont mis à jour une cité fortifiée -l’enceinte longue de 9,5 km, hérissée de tours semi circulaires, englobe une surface de 5 km carrés- bâtie de maisons en briques crues, séparées par des canaux de circulation et d’irrigation.

Cette civilisation était régie par une théocratie composée d’un roi-prêtre secondé par un clergé puissant. Un système social et, pourrait-on dire, socialiste avait été élaboré: ceux qui pouvaient travailler travaillaient également pour ceux qui ne le pouvaient pas; les maisons communiquant les unes avec les autres créaient une communauté de solidarité.

L’étude des tablettes sumériennes révèle également que cette société culturellement et techniquement très « avancée » disposait d’une connaissance médicale très vaste et élaborée. Le médecin sumérien savait soulager son patient d’un grand nombre de désordres physiques-.Il était également chirurgien, herboriste, masseur et globalement « naturopathe ». Sa réputation dépassait largement les frontières de la Mésopotamie, et des documents prouvent qu’il voyageait dans tout le Proche Orient, en Grèce, un Inde en Afghanistan et jusqu’en Chine.

UNE MEDECINE SACREE

Pour les Sumériens, la médecine faisait partie de la religion, de la science et de l’art: on voit tout de suite à quel point elle devait être différente de la médecine que nous connaissons aujourd’hui. Elle était d’abord religieuse, puisqu’elle reliait corps physique et corps spirituel, tentant toujours de reconstituer l’homme dans sa globalité, dans son unité. Les médecins sumériens savaient que Dieu est un et que l’homme parfait (HUR.SAG.KALAM.MA) doit constamment rétablir cette unicité en lui.

A Sumer, la maladie est un moyen naturel pour inciter l’homme à se dépasser, à briser les résistances de son ego dans une quête d’immortalité spirituelle. Nous en avons un exemple avec l’épopée du plus ancien roi d’Uruk, Gilgamesh, parti à la recherche de la plante d’immortalité. [Dès] qu’il la trouva, un serpent la dévora. Le signe sumérien qui désigne le serpent est le même signe qui désigne la vie constamment renouvelée; la femme, symbole de ce renouvellement, est aussi celle qui dispense les soins.

La guérison en soi n’est pas le but premier qui préoccupe le médecin. Celui-ci, thérapeute et prêtre, agit afin d’aider son patient à trouver la Vie (c’est-à-dire la santé) à travers les épreuves: ce sont des crises curatives qui préparent à des renaissances. D’ailleurs, à Sumer, il n’y a pas de mot pour nommer la maladie, celle-ci n’est pour eux qu’un enténèbrement, c’est-à-dire une absence de lumière divine.
[…]

Comme thaumaturge, le médecin-prêtre sait accompagner la descente aux enfers de son patient et l’aide à en remonter. N’oublions pas que le dieu des médecins s’appelle NIN.A.ZU, lequel est le mari d’ERESH.KI.GAL, la reine des enfers. Cette position particulière lui permet donc d’évoluer du ciel en enfer et d’enfer au ciel, par deux fois sept niveaux de conscience: symbole, une fois encore, de vie-mort-vie. Dans le nom NIN.A.ZU, nous retrouvons NIN, le féminin éternel, A, l’eau, ZU, la connaissance. Le fils de NIN.A.ZU et d’ERESH.KI.GAL porte le nom de NIN.GISH.ZID.DA, ange gardien des médecins, invoqué dans de nombreux textes. Avec lui va apparaître, pour la première fois, le double serpent de vie qui constitue aujourd’hui encore le caducée, l’emblème des médecins. Enfin pour compléter, l’épouse de NIN.GISH.ZID.DA est GESHTIN.AN.NA (celle qui donne l’eau de Vie), c’est à elle que seront dédiées toutes les statues aux « vases jaillissants du coeur », symboles de la vie résurrectionnelle.

FONCTION SOIGNANTE ET CREATRICE DU FEMININ

Comme nous venons de le voir, le Féminin joue un rôle fondamental dans cette médecine sacrée. Ne confondons pas le Féminin, créateur et éveilleur du divin dans l’homme, « activateur du coeur » et du « secret du coeur » qui « fait éclater la gloire » avec la femme dans l’acception du terme. Le féminin ne s’oppose pas au masculin, il contient et réunit les deux aspects récepteur et émetteur. Dès la plus haute époque sumérienne on distingue les deux forces: La femme est représentée par son sexe, prononcé MI. De même l’homme, prononcé NITA. L’antériorité, la préséance du féminin éternel est indiquée par un sexe féminin voilé, prononcé NIN. Ce n’est pas une personne, c’est une énergie, une réalité profonde, symbolisée par des figures féminines dont la beauté est perçue comme une présence du de divin créant l’amour dans l’homme, éveillant en lui le désir de la pénétration métaphysique. Remarquons que des la plus ancienne époque sumérienne, même les noms des divinités masculines sont précédés par l’idéogramme NIN, qui signifie Féminin. […] Et les idéogrammes MI (femme) et NIN (féminin) sont abondamment employés dans textes concernant les soins de l’âme et du corps où interviennent la miséricorde, la pitié, la tendresse du coeur, le secret.

Une des fonctions essentielles du Féminin est de soigner. Selon les Sumériens, la maladie est un moyen salutaire pour inciter l’homme à se transcender dans une quête d’immortalité toujours renouvelée. La femme, symbole de ce renouvellement, est celle qui dispense les soins. Thérapeute et prêtresse, elle agit afin d’aider son patient à trouver la Vie (c’est-à-dire la santé) à travers les épreuves – crises curatives-, qui préparent à des renaissances.
[…]”

Revue Française de Yoga, n°3, « De la santé au salut », janvier 1991, pp. 13-22.

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