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Solidarités dans la nature, unité de la nature

Publié le 30 septembre 2003

La nature est le théâtre d’un jeu d’interactions aux ramifications complexes, qui assure le maintien d’un certain équilibre entre les différents éléments du vivant. L’étude de ce type de relation au niveau d’un microcosme particulier donne une idée saisissante de la richesse des relations qui régissent le macrocosme. Et réveille notre conscience écologique.

« L’écologie, en tant que science, nous enseigne le jeu subtil des énergies qui font notre terre, mais aussi l’univers. La définition même de l' »écologie » est fort peu connue parce qu’on on ne la lit jamais nulle part. Ce mot a été inventé, en 1867, par un scientifique allemand, Eken, qui avait senti l’existence entre les êtres vivants et la terre d’inter-relations très subtiles -peu connues encore à son époque. Il a ainsi défini l’écologie comme étant « La somme de toutes les relations amicales ou antagonistes d’un animal ou d’une plante avec son milieu, inorganique ou organique, y compris avec tous les êtres vivants « . Et il ajoute « C’est au fond, l’ensemble de toutes les relations complexes considérées par Darwin comme les conditions de la lutte pour la vie ». L’ouvrage de Darwin paru sept ans plus tôt -De l’origine des espèces par la sélection naturelle- démontrait, en résumé, que dans la vie, c’est toujours le plus fort qui gagne. Et cette idée, au cours de ce siècle, a complètement imprégné les sciences naturelles, la philosophie et l’écologie.

A l’Institut Européen d’Écologie, nous avons beaucoup réfléchi sur les fondements philosophiques de l’écologie. Nous avons élaboré une synthèse -fruit de dix ans de travail- qui aboutit à deux conclusions.La première est la redécouverte, avec les moyens de la science moderne, de ce que disaient déjà les Chinois, il y a quatre mille ans: le macrocosme, la terre, et la terre incluse dans le cosmos tout entier, est le fidèle reflet du microcosme, c’est-à-dire de l’homme et de son cerveau. Si cette approche parait trop anthropocentrique, il est possible d’inverser la proposition et d’affirmer que l’homme et son cerveau sont le reflet de la création toute entière, de l’univers tout entier et en particulier de la terre.
[…]

Un organisme peut être aussi bien biologique que social et il n’existe pas de différence fondamentale entre les lois qui régissent les strates du monde vivant, à tous les niveaux de hiérarchie et à tous les niveaux de structure.

LES TROIS LOIS DE LA NATURE

La deuxième conclusion des études de l’Institut Européen d’Ecologie, c’est que l’ensemble du monde vivant, de la plus petite bactérie jusqu’à l’homme et à des sociétés extrêmement complexes comme les nôtres, est régi par les mêmes lois. Ces lois ne peuvent être exprimées par des définitions simples et cartésiennes, mais par des couples de concepts dialectiquement associés, ou opposés. Certains exemples pourront paraître évidents. Pourtant, leur approfondissement amène à découvrir un panorama complètement nouveau sur ce qu’est la vie.

Ainsi la loi unité-diversité, deux concepts qui s’opposent, peut être illustrée par une question naïve: qu’y-a-t-il de commun entre un éléphant, une petite algue microscopique et un coquelicot? Rien. Et pourtant tout. Tout est commun, car les trois sont régis par les mêmes lois. Tous trois ont besoin de se nourrir et sont en compétition entre eux. Ils ont besoin d’éléments minéraux pour exister, ont des échanges gazeux, généralement respiratoires ou photosynthétiques. Jusqu’au code génétique de leur ADN, qui, à quelques rarissimes exceptions près, est le même.

Tout est commun. Il n’y a qu’une seule vie. Si elle nous apparaît sous des formes très différentes, au fond, c’est la vie et la vie seule. Une deuxième loi dit que les relations entre les êtres vivants sont fondées sur la compétition et sur la coopération, les deux coexistant toujours. Nous vivons, chaque jour, des situations qui nous amènent à lutter -sous peine de mort- et dans le même temps à être solidaires. C’est le couple de l’égoïsme et de l’altruisme.

Une troisième loi constate l’existence de phases d’équilibre et de phases de crise qui alternent, comme la paix et la guerre, ou la santé et la maladie. Ces trois lois sont les trois clés qui vont nous permettre, à présent, de regarder la vie sous tous ses jours et tous ses aspects.
[…]

Que disaient les penseurs et les philosophes avant le XIX’ siècle? Ils insistaient beaucoup sur les liens qui unissent les êtres dans la nature. Ils recherchaient la sympathie, l’harmonie et la cohérence. Marc Aurèle, auteur latin et empereur de Rome écrivait ceci: « Représente-toi sans cesse le monde comme un être unique et une âme unique; considère comment tout contribue à la cause de tout et de quelle manière les choses sont tissées et enroulées ensemble ». Ainsi, il y a mille huit cents ans, déjà, cet homme avait ressenti le besoin d’exprimer la cohérence profonde de la vie et de l’univers. Beaucoup plus tard, au XVII’ siècle, Pascal, dans ses Pensées, se fait l’écho d’une même idée: « Toutes choses étant à la fois une cause et une fin, toutes s’entretenant par un lien naturel insensible, qui lie les plus éloignées et les plus différentes les unes aux autres, je tiens pour impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître les parties ».

Un exemple illustrera ce propos un peu austère de Pascal. C’est l’histoire du bourdon et de la marine anglaise, que Darwin se plaisait à raconter pour mettre en évidence l’imbrication de tout en tout. Darwin disait que les trèfles ne sont fécondés que par les bourdons car, les fleurs étant très fermées, pour les ouvrir, il faut taper fort. Or, le bourdon étant le plus fort, il tape le plus fort, emmène le pollen et féconde les trèfles -toujours la sélection naturelle. Il est alors évident que là où les bourdons sont nombreux, le trèfle sera abondant. Mais, parfois, des mulots mangent les nids des bourdons. En conséquence, si les mulots sont en grand nombre, les bourdons sont rares, donne le trèfle aussi. Il note alors que les mulots sont les ennemis du trèfle. Heureusement, dit le colonel Newman, un ami de Darwin, que les chats mangent les mulots. Ainsi, les mulots disparaissant, les bourdons sont abondants et le trèfle aussi. Si le trèfle est abondant, il pourra être pâturé par beaucoup d’animaux, notamment par des boeufs qui donneront beaucoup de viande. Autrement dit, plus il y a de chats, plus il y a de viande. Que fait l’Angleterre victorienne au siècle dernier de sa viande? Du corned beef qu’elle empile dans les vaisseaux de sa Gracieuse Majesté, la reine Victoria. De sorte que la présence de nombreux chats permet l’existence d’une marine anglaise extrêmement puissante. D’autant plus que les marins partis, leurs femmes ont besoin de chats à la maison pour se distraire. Ce sont les vieilles filles anglaises qui prennent le mieux soin des chats… d’où, pour finir, cette idée qui apparaît alors comme évidente: c’est le nombre important de vieilles filles anglaises qui fait le prestige de la marine de sa majesté la reine Victoria… Cette histoire, bien que divertissante, nous rappelle l’absolue nécessité de prendre d’immenses précautions écologiques avant de réaliser tout grand projet, sous peine de provoquer des dégâts aux conséquences parfois imprévisibles.

A la Renaissance, le grand Paracelse plaidait déjà pour l’expression parfaite de cette harmonie générale de la nature. Il disait: « L’univers est un. Son origine, c’est l’éternelle unité. C’est un vaste organisme dans lequel les choses naturelles s’harmonisent et sympathisent réciproquement ». Harmonie. Sympathie. Et pourtant, pendant ce temps, les hommes de la fin du Moyen-âge, n’étant pas meilleurs que nous, se faisaient la guerre. L’histoire garde le souvenir de leurs innombrables querelles. Toutefois l’harmonie restait le but, les querelles n’en étant que les ratages.

Parmi les grands hommes qui ont évoqué l’harmonie, Goethe, inspirateur des temps modernes, écrit ceci: « Voici bien des années, mon esprit s’efforçait de découvrir et d’apprendre comment la nature vit, comment elle fonctionne, et comment elle crée. La réponse, c’est l’éternelle unité qui se révèle dans la diversité ».

Ainsi, ces auteurs anciens avaient-ils déjà repéré ces trois lois que nous avons essayé de dégager et dont certains de nos contemporains pensent qu’ils les inventent aujourd’hui.
[…]

Aujourd’hui, le rapport de force a complètement changé. Nous disposons d’engins extraordinairement puissants, nous pulvérisons les nuisibles avec des produits chimiques, nous pouvons même tout pulvériser avec le nucléaire si nous le désirons. Il nous appartient, à présent, de protéger la nature, idée qui aurait paru absurde à nos grands-parents. Mais pour la protéger, il nous faut la connaître. On découvre alors que les hommes en ont fait une interprétation très différente selon les régions du monde où ils vivent. Telle herbe, que nous considérons comme nuisible, peut être appréciée dans un autre pays. L’amarante, que nous estimons être une mauvaise herbe, était adorée par les Incas qui la consommaient. Certes, les facteurs culturels ont beaucoup joué mais il est indispensable, pour y voir plus clair, de revenir à quelques notions biologiques précises, illustrées d’exemples surprenants qui témoignent du jeu subtil de la solidarité et de la compétition dans la nature.

La pâquerette, l’ail et la chicorée

Le premier exemple nous emmène sur les plateaux calcaires qui entourent Marseille. Un écologiste a étudié quelques plantes de cette région: une pâquerette, un ail sauvage et une petite chicorée sauvage. La pâquerette poussait sans problème près de la chicorée, et s’accordait aussi avec l’ail. Mais la chicorée et l’ait ne poussaient jamais ensemble. Très intrigué, notre écologiste a tenté l’expérience mais la chicorée ne démarrait pas ou dépérissait très vite. Il en conclut que l’ail était très mauvais pour la chicorée. Quand il a mis la pâquerette à côté de la chicorée, cette dernière démarrait timidement d’abord puis poussait très bien. La chicorée semblait se défendre. Il s’est alors demandé si elle imprégnait le sol d’une substance qui la protégerait de l’ail, tout en protégeant également la pâquerette. De fait, la chicorée et la pâquerette réunies poussaient très bien avec l’ail, parce que la pâquerette donnait la main à la pauvre chicorée pour l’aider à supporter la méchanceté de l’ail. Coopération, compétition. C’est le mouvement exact de la vie. En essayant avec d’autres plantes, le même expérimentateur a constaté que l’ail était souvent très nocif avec elles, d’où cette idée que l’ail est une plante toxique, sauf pour l’homme, en tant que plante alimentaire, car il semble que sa consommation diminue le risque de cancer de l’estomac et fasse baisser la tension. D’où cette autre idée -complètement stupide- que l’ail ne serait bon que pour l’homme. Arrive un autre protagoniste, un champignon, qui a justement besoin du poison que l’ail fabrique pour la chicorée. Entre la chicorée, l’ail, la pâquerette, le champignon et nous, il existe donc des solidarités et des compétitions très subtiles qui permettent à tous de fonctionner en même temps. Ainsi est la nature pas de « méchant » ail, ni de « gentille » chicorée, mais un rôle très précis, joué par chacun pour que tout cela « tienne ensemble ».
[…] ”

Revue Française de Yoga, n°15, « L’énergie en question », janvier 1997, pp. 109-124.

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