Le Monde du Yoga

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La dynamique du retournement

Publié le 07 février 2004

Le centre vital de tout homme est toujours en lui, inévitable. Faire le vide, c’est donc le remettre à sa place, afin de pouvoir en faire abstraction, afin d’éliminer tout déplacement qui pourrait nous le rendre sensible. Alors il devient possible de faire l’expérience de la Vacuité, premier indice du retournement.

A première vue, à voir les choses globalement et sans trop approfondir, il semble que la pratique du yoga introduise le débutant sur un chemin linéaire, une sorte d’escalier; Il sait qu’il entre sur un terrain d’exercice, il est conscient de tout œ qu’il doit améliorer, il est plein d’espoir. Il s’apprête à cheminer de marche en marche, de progrès en progrès vers un assainissement de sa condition physique, d’un même pas vers la lumière de la sagesse. On lui a dit que le secret de la réussite d’un pareil projet réside dans une assiduité courageuse il acquiesce et se met en route.

I – LE SAMADHI

Mais la vie de yogi est austère et beaucoup se découragent en chemin. Certains se contentent de pratiquer « en roue libre ». Un bon nombre cependant persévèrent et deviennent des pratiquants confirmés, leur regard reste tourné sans faiblir dans la direction du « samadhi ». Quelle est l’image évoquée par ce mot? Le samadhi s’apparente sans doute à un rêve lointain, à quelque lumineux bonheur difficilement accessible. Ils se rassurent en pensant que la sagesse, on le leur a dit et ils le savent, c’est de ne pas être trop pressé d’atteindre ce rêve car l’avidité fait tout manquer. Il semble un peu étrange qu’en Inde, certains yogi annoncent si facilement qu’ils sont en samadhi, mais c’est sans doute parce qu’ils sont hindous. Pour nous autres Occidentaux, l’escalier qui mène au samadhi paraît devoir rester escarpé et interminable…

Jusqu’au jour où un trait de lumière se fait de façon inattendue: le samadhi est toujours déjà là. On ne grimpe pas à sa conquête, on se retourne pour le recevoir. Voyons cela d’un peu plus près.

II – LE ROYAUME DE DIEU

Jésus, si l’on en croit les Evangiles, n’a jamais parlé de, samadhi. Il attachait une importance primordiale à ce que nous fassions tout notre possible pour nous établir dans la lumière, dans la vérité et dans l’amour. Mais pour désigner cet état, il a choisi l’expression « entrer dans le Royaume de Dieu ». Car tels étaient les mots pour le dire qu’il recevait dans sa tradition juive.

Il est possible qu’une conscience chrétienne naïve envisage cette entrée dans le Royaume sous l’aspect d’un escalier (ou d’une montagne) à gravir, comme l’adepte dont je viens de parler envisage son parcours dans le yoga. Tous deux s’y sentent encouragés par la dynamique scolaire: l’évolution d’un enfant pourrait-elle être pensée autrement qu’en termes de progression linéaire? Or ce point de vue s’avère maladroit, même s’il n’est pas complètement faux. Jésus n’a jamais présenté l’entrée dans e Royaume comme le résultat d’une Ascension, elle n’est pas la récompense du labeur d’une discipline obstinée, elle n’est pas un prix de vertu réservé aux intelligents ou aux costauds. Mais il est vrai que ceux qui ont reçu des qualités de cette nature se doivent de les faire fructifier.

Le « ticket d’entrée » dans le Royaume, d’après l’ensei-gnement de Jésus, c’est la conversion, le retournement.

Ill – « CONVERTISSEZ-VOUS »

Nous autres, chrétiens d’Occident, sommes habitués à envisager ce qui nous arrive selon le déroulement du temps, sous l’angle de la succession de nos événements. Lorsque nous voulons prendre la mesure de nos progressions, nous les observons étape par étape. C’est ainsi que le mot « conversion » évoque spontanément un instant singulier, une irruption qui marque le seuil d’un temps nouveau. Paul Claudel, Charles de Foucauld, André Frossard et bien d’autres ont raconté la leur. L’événement qui a changé leur vie n’a jamais eu besoin de se reproduire pour eux, il était suffisamment fort pour vivre en eux, ineffaçable, et n’être jamais remis en cause par eux.

Les récits de pareilles conversions nous enchantent et nous ne nous lassons pas de rêver sur la beauté de pareils instants… qui, hélas, n’arrivent qu’aux autres! Ce qui fait que, pour la plupart d’entre nous, l’appel à la conversion reste du domaine des pieuses intentions, à moins que, comme pour le samadhi, nous nous contentions benoîtement de ne pas être trop pressés. Cette patience est l’une de nos vertus, pensons–nous.

Oui, mais le retournement que Jésus cherche à produire, en tout homme de bonne volonté qui l’écoute, ne peut attendre. Jésus ne nie pas l’importance de l’événement frappant qui déclenche la mise en route, le début de la conversion. Mais c’est un retournement inlassable qu’il souhaite ardemment voir se produire, une marche de tous les instants, une conversion de toute la vie et une vie toute de conversion. « Je suis venu allumer un feu sur la terre, et je suis impatient jusqu’à ce qu’il brûle! » II ne saurait s’agir d’un bref feu de paille. Tant que nous en restons à découper notre existence en petites étapes successives, il nous est difficile de saisir le sens profond de cet appel.[…]

Les moines zen accrochent à leurs cloisons des calligraphies de cercles, tout simples, nus. C’est pour eux un emblème hautement significatif. Durckheim lui-même en a calligraphié beaucoup. Il aimait donner parfois l’un d’eux à telle ou telle personne qui venait le voir. Ce geste n’était pas léger, bien qu’il n’ait contenu aucune vantardise. C’était un signe de connivence entre deux personnes en route vers l’Essentiel.

Pour Dürckheim en effet, le cercle enclôt un « centre vide » et ce vide symbolise le centre mystérieux qui anime chaque homme. Ce n’est pas en accumulant des mérites ou des connaissances que nous parvenons à la santé d’une part et au développement spirituel d’autre part. C’est en lâchant du lest, en nous débarrassant de nos ombres, en lâchant prise pour laisser peu à peu transparaître ce centre inconnaissable, cette source mystérieuse de la vie et de l’esprit qui habite au fond de notre être. C’est-à-dire en nous orientant à contre-courant de la dynamique héritée de notre enfance soit à contre-courant de l’avidité qui nous permet de découvrir le monde et de nous l’approprier. Cette avidité traîne malheureusement avec elle un besoin d’accumulation et produit nécessairement un encombrement qui nous empâte dans la chair. Soit à contre-courant de la dépréciation de soi et du manque de confiance qui habitent aussi l’enfance et l’adolescence. Et ce manque de confiance entraîne une fermeture sur soi et des germes de morbidité.

Revue Française de Yoga, n°8, « Postures de rotation », 1993, pp. 201-214.

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