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Mémoire et hiérarchie des espèces

Publié le 19 avril 2005

Les paliers qualitatifs successifs de capacité d’apprentissage et de mémoire sont fonction de la complexité des espèces. Ils sont compatibles entre eux et se complètent. Cependant l’Homme, qui fait partie de la même catégorie que les vertébrés à sang chaud, ne se démarque d’eux que quantitativement.

I – L’EVOLUTION DES CAPACITÉS DE MEMOIRE ET L’EVOLUTION DES ESPECES

Pour pouvoir comparer entre elles les aptitudes d’apprentissage et de mémoire des différents animaux, il faut disposer d’une base de comparaison permettant de mesurer les capacités respectives d’animaux aussi variés que l’unicellulaire, le ver de terre, l’abeille, le rat ou le chimpanzé. Nous emprunterons à Médioni et Robert une telle base de comparaison, constituée d’une grille de cinq catégories applicables à tous les animaux quels qu’ils soient. Ces cinq catégories sont:

– l’habituation; – la tendance à l’alternance; – le conditionnement classique ou pavlovien; – le conditionnement opérant ou skinnerien; – l’apprentissage de détour.

L’habituation (ou accoutumance) est un processus par lequel une stimulation répétée perd son effet. Par exemple, le réveille-matin qui nous réveillait finit, à la longue, par devenir inefficace. Cela suppose que, sous une forme ou sous une autre, notre cerveau ait mémorisé les caractères d’une telle stimulation. La tendance à l’alternance est le fait qu’un animal – ou un homme – qui a choisi plusieurs fois de suite le premier terme d’une alternative tend à choisir le second. Ainsi un ver qui a tourné plusieurs fois à gauche dans un labyrinthe en T aura tendance à tourner à droite la fois suivante. Ou bien un homme qui se trouve devant un buffet rempli exclusivement de parts de tartes aux pommes et de parts de tartes aux fraises, s’il a pris préalablement trois parts de tarte aux pommes aura plutôt tendance, la fois suivante, à choisir une part de tarte aux fraises ! Cette tendance à l’alternance suppose évidemment la mémoire du premier terme de l’alternative. Enfin l’apprentissage de détour de locomotion est la faculté qu’a un animal d’atteindre son but en s’en éloignant provisoirement. Un tel apprentissage implique une représentation de l’espace dans le cerveau de l’animal, représentation qui seule peut lui permettre de prévoir le bénéfice qu’il peut tirer de cet éloignement provisoire du but qu’il vise à atteindre.

II. ANIMAUX A SANG FROID ET ANIMAUX A SANG CHAUD

Chez les vertébrés finalement, groupe auquel appartient l’espèce humaine, on trouve bien entendu toutes les catégories de notre grille : habituation, alternance, conditionnement classique, conditionnement instrumental et apprentissage de détour. Anatomiquement le groupe des vertébrés est un groupe très homogène. Les différents sous-groupes qui le constituent (poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères) offrent une parenté certaine par leur colonne vertébrale, les deux paires de membres ou leur tête porteuse d’organes visuels. Sur le plan du psychisme, on peut cependant se demander s’il n’est pas possible de trouver une coupure à l’intérieur même du groupe des vertébrés. On peut la trouver, mais alors il faut, à nos cinq catégories précédentes, ajouter une sixième qui traduit un niveau de mémoire encore plus élaboré. C’est ce qu’a fait l’Américain Bitterman en proposant une catégorie appelée économie d’essais en réversion.

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, imaginons que, dans un labyrinthe en T, nous ayons appris à un ver de terre à tourner à gauche. Supposons qu’un tel apprentissage ait été possible après cent essais successifs. Si, après ces cent essais, nous inversons la consigne et demandons à l’animal de choisir la droite ( tâche de réversion), il aura beaucoup de difficulté à le faire. L’apprentissage de la première tâche rend plus difficile celui de la tâche de réversion, pour laquelle l’animal fait davantage d’essais.

Proposons maintenant une tâche à un enfant. Dans une salle pleine d’objets, on a placé deux tasses renversées et sous l’une d’elle, la tasse de gauche, un bonbon. L’enfant doit chercher le bonbon ; il soulève au hasard les deux tasses et le trouve. Supposons qu’il ait mis trois essais pour apprendre que le bonbon est toujours sous la tasse de gauche. Nous inversons la consigne et mettons le bonbon sous la tasse de droite. Un seul essai supplémentaire suffira à l’enfant pour comprendre que ce qui était auparavant à gauche est maintenant à droite. Il fera une économie d’essais lors de la tâche de réversion.

Comme précédemment l’apprentissage de détour était le signe d’une carte spatiale dans le cerveau de l’animal et traduisait donc une plus grande performance du cerveau, l’économie d’essais en réversion est le signe que l’animal est capable de retrouver une règle cognitive et de la transférer de la première situation à la seconde. Il s’agit d’une performance encore meilleure du cerveau.

III. PLACE DE LA MÉMOIRE HUMAINE PAR RAPPORT AUX MÉMOIRES ANIMALES

L’ensemble des résultats que nous venons de présenter nous permet de mieux situer la mémoire des vertébrés dits supérieurs, auxquels nous appartenons. Ils suggèrent l’existence d’une certaine hiérarchie dans les capacités d’apprentissage des différents groupes de la série animale. Il ne s’agit pas d’une hiérarchie « quantitative », concernant le nombre des éléments appris par un animal donné (il est évident que les animaux dits supérieurs apprennent plus que les animaux dits inférieurs), mais d’une hiérarchie « qualitative » : certains types d’apprentissage n’émergeraient que passé un certain stade de l’évolution des espèces. Ainsi le conditionnement n’émergerait qu’avec les vers

l’apprentissage de détour ne serait possible qu’avec les céphalopodes et les vertébrés ; la maîtrise des tâches de réversion n’émergerait qu’avec les vertébrés à sang chaud.

Dans tous les cas, l’émergence de capacités d’apprentissage plus performantes, n’aboutirait pas à remplacer les capacités précédentes, mais à les compléter : les vers, capables de conditionnements, sont toujours capables d’habituation. Les vertébrés à sang chaud, capables d’économie d’essais en réversion, sont toujours capables d’habituation, d’alternance, de conditionnements ou d’apprentissage de détour. Les paliers qualitatifs successifs n’éliminent pas les capacités plus simples d’apprentissage, mais les complètent avec des aptitudes plus développées. De la même manière que notre corps est la résultante d’une collection d’organes apparus chez nos ancêtres au fur et à mesure de l’évolution des espèces, nos capacités d’apprentissage et notre mémoire semblent la résultante de capacités différentes, hétérogènes, apparues chez nos ancêtres au fur et à mesure de l’évolution. Il reste qu’une telle présentation, du fait du peu d’études dont nous disposons sur cette question, demeure hypothétique et que d’autres travaux sont nécessaires pour la confirmer.

Quant aux capacités d’apprentissage et de mémoire de l’homme, si elles ne semblent pas se démarquer qualitativement de celles des vertébrés supérieurs, et notamment de ses proches parents comme le chimpanzé ou le gorille, elles se démarquent sans doute quantitativement. En relation avec le fait qu’il manipule des codes complexes comme les langages, l’homme a des capacités d’apprentissage et de mémoire quantitativement très grandes. Cela aboutit à un mode d’être culturel et scientifique pour notre espèce, qui n’a pas d’équivalent chez les autres animaux. Mais ceci est une autre histoire, et nos capacités de mémoire, elles, ne diffèrent pas fondamentalement de celles de nos ancêtres et de nos cousins.

Revue Française de Yoga, N°11, « La mémoire. », janvier 1995, pp.19-22.

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