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L’Islam en Inde jusqu’en 1947. Esquisse historique.

par Denis Matringe | Publié le 31 mai 2005

Les Musulmans, présents en Inde pratiquement depuis que l’Islam existe, et donc relativement bien intégrés aux Hindous jusqu’au XIXème siècle, ont eu des réactions diverses face à la colonisation : les traditionalistes ont rejeté la présence britannique en se repliant sur eux-mêmes, alors que les modernistes en ont profité.

I. LES MUSULMANS EN INDE, DES ORIGINES AU XIX SIÈCLE

Les débuts

« L’arrivée des Musulmans en Inde se fit en plusieurs vagues et pour des raisons variées. Les premiers venus furent des commerçants arabes qui, peu après la mort du Prophète en 632, s’établirent sur les côtes occidentale puis orientale. Au xe siècle, on trouve de tels marchands non seulement dans les principaux ports de l’Inde, mais aussi dans les plus grandes villes du Deccan et des plaines du Nord.

Des Arabes venus par la mer menèrent, à partir de la seconde moitié du vue siècle, des incursions militaires qui culminèrent avec la soumission du Sind en 711. »

Islam et politique au temps du Sultanat de Delhi et de l’Empire moghol

« A certains égards, la domination musulmane sur l’Inde médiévale s’exerça bien conformément aux idéaux orthodoxes de l’islam. Les ‘ulamâ ‘ sunnites considéraient que la fonction essentielle d’un souverain musulman était d’assurer le règne de la loi islamique (sharî’a) et de lever une capitation (fiziya) sur les infidèles. Soucieux d’affirmer la légitimité religieuse de leur pouvoir, les premiers sultans de Delhi se proclamaient sur leurs monnaies lieutenants du Calife. Concernant la jiziya, la levée d’impôts sur les revenus de la terre parmi une population hindoue pouvait en tenir lieu. Enfin, sultans de Delhi et empereurs moghols payaient divers spécialistes religieux.

Mais l’empereur moghol Akbar (m. 1605) engagea une politique de tolérance, qui fut suivie par ses deux premiers successeurs, Jahângîr (m. 1627) et Shâh Jahân (m. 1658). Pour se concilier les Hindous, il épousa une princesse râjput sans exiger sa conversion, abolit formellement l’impôt islamique sur les infidèles et plaça, dans l’administration fiscale, des Musulmans sous les ordres d’Hindous qui avaient sa confiance. »

Le soufisme

« La construction de mosquées et l’enseignement des ‘ulamâ ‘ ne pouvait suffire aux Musulmans du sultanat de Delhi, dont le nombre se grossissait d’assimilés venus de l’hindouisme. A tous, le soufisme pouvait offrir un mode de direction spirituelle et de dévotion plus accessible.

Tel qu’il se développa aux premiers temps du Sultanat, le soufisme était originaire du Khurasan. Les soufis se regroupaient dans des confréries organisées autour de couvents dirigés par un cheykh qui initiait les novices, nommait des députés (xalffia) et désignait un successeur. Le cheykh était avant tout un guide spirituel et un intercesseur auprès de Dieu. On lui attribuait volontiers de grands pouvoirs, ainsi qu’une influence heureuse et sanctificatrice. Cette baraka s’étendait sur un réseau de centres dont le territoire formait sa juridiction spirituelle (vilâya). »

II. LES RÉPONSES À L’IMPACT COLONIAL

Les Traditionalistes

. Deobandî

« La présence coloniale en Inde suscita, parmi les spécialistes religieux de l’islam (‘ulamâ’) en Inde, des réactions antithétiques. Une attitude de rejet caractérisa l’école d’ ‘ulamâ ‘ aujourd’hui la plus importante du Pakistan, celle des Deobandî »

« Pour (les Deobandi) l’islam, étant une religion universelle, ne pouvait s’accommoder de frontières nationales. La nationalité, par contre, était liée à des facteurs géographiques, et les Musulmans de l’Inde avaient donc une obligation de loyauté à l’égard de leurs concitoyens hindous. Dans une Inde indépendante qui serait non un « pays d’islam » (dâr al-islâm), mais un « pays de paix » (dâr al-amn) laïque, ils pourraient pratiquer librement leur religion, qui relèverait de la seule sphère privée. Dans le mouvement pour le Pakistan, la Muslim League ne parvint à gagner à sa cause qu’un groupe dissident de Deobandî, qui forma en 1945 la Jam’iyyat-i ulamâ-i islam. Celle-ci devint plus tard un parti politique très minoritaire au Pakistan, favorable à une islamisation partielle de la constitution, mais pas à l’adoption de la sharî’a comme loi fondamentale. »

. Les Barelvî

« A la différence des Deobandî, les Barelvî – ‘ulamâ ‘ de la vieille école de Bareilly fondée par Ahmad Rizâ Xân (1856-1921) – professent un islam plus populaire, centré sur le culte des saints et la vénération des pîr (maîtres spirituels descendants des grands saints du passé) et sur lequel nous reviendrons. Se considérant comme les vrais sunnites d’Asie du Sud, ils traitent les Deobandî de Wahhabites, c’est-à-dire de fondamentalistes, d’après le nom du penseur arabe du XVIIIe siècle ‘Abd al-Wahhâb. Ils sont eux-mêmes accusés par les Deobandî d’être des kâfir (« infidèles »), car ils admettent des « innovations » (bida’) comme les concerts spirituels et « associent » au culte de Dieu celui des saints. »

Les Modernistes

. Sir Sayyid et l’Aligarh Movement

« Comme les Deobandî, les modernistes quant à eux se sont organisés en réponse à l’impact britannique en Inde. Leur base sociale a été dès l’origine formée de musulmans de la nouvelle classe bureaucratique et professionnelle générée par l’Etat colonial, et leur figure emblématique fut Sir Sayyid Ahmad Khan (m. 1898). Selon lui, il n’y avait rien d’anti-islamique à étudier l’anglais et les sciences exactes dans des institutions dirigées par des Britanniques. Les lois de la nature devaient être considérées comme des attributs de Dieu, cause de toute cause. Les Musulmans ne devaient pas voir de contradiction entre la sharî’a et leur aspiration légitime au savoir et à la promotion sociale. (…)Sir Sayyid et ses partisans s’accommodaient très bien de la domination britannique, dans laquelle ils voyaient la garantie du libre exercice de leur religion. Leur seules revendications politiques visaient à l’égalité numérique entre Musulmans et Hindous dans le service public colonial. »

. La Ligue Musulmane

« La Ligue musulmane, organisation politique, vit le jour en 1906. Elle était à l’origine destinée à protéger et à promouvoir les droits politiques des Musulmans de l’Inde dans une tradition de loyalisme envers les Britanniques. Mais après la Première Guerre Mondiale, les Musulmans s’alarmèrent du sort de la Turquie. Ils lancèrent un mouvement de masse pour faire du Calife le chef de tous les Musulmans et obtenir des Anglais des conditions moins défavorables pour la Turquie. Ce mouvement, dont le théoricien fut Abû’l Kalâm Azâd (m. 1958), aboutit à une participation musulmane à la non-coopération lancée par Gandhi. Mais il prit fin avec l’abolition du califat par Mustafa Kemal en 1924, et le refus par la majorité hindoue du Congrès d’assurer aux Musulmans une représentation politique séparée précipita l’apparition d’une tendance séparatiste dans la Ligue Musulmane. »

. Les fondamentalistes

« La résolution de Lahore eut pour conséquence l’organisation en 1941 d’un groupe fondamentaliste sous la houlette d’un ‘âlim (singulier de ‘ulamâ’) formé à Deoband, Maulânâ Maudûdî (m. 1979). Ce groupe, appelé Jamâ ‘at-i islâmî (« parti islamique »), se fixait pour objectif une révolution islamiste dans la société indienne par le contrôle des appareils d’Etat. Il fut par exemple très actif lors des émeutes intercommunautaires de 1922, apportant alors une contribution décisive à la création d’un Milli Council (« Conseil de la communauté »). Soucieux de préserver l’unité des Musulmans et estimant que la perspective « séculariste » de l’Inde indépendante garantissait aux Croyants la liberté de leurs pratiques religieuses, la Jamâ’at-i Islâmî, rejetant toute idée de partition, s’opposait au mouvement pour le Pakistan. »

Revue Française de Yoga, N°19, « Religions en Inde aujourd’hui. », février 1999, pp.17-51.

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