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Le Yoga au quotidien, un souffle pour la paix

Publié le 09 juillet 2005

La politesse, la courtoisie, le tact ou l’attention sont bien moins superflus qu’ils n’y paraissent en société. Leur ignorance est rarement un simple oubli. Elle fait violence à autrui et révèle un repli égoïste qui aide à refouler ses propres problèmes au lieu de les affronter.

« Éclairant comme un phare le processus de cette discipline, les cinq principes des yama (Y. S. II. 30) font du yoga une recherche constante de l’altérité la plus juste.

Certains dédaignent cette dimension, croyant la réserver aux mystiques ou aux ascètes, en reléguant sa pertinence au rang des accessoires, mais force est de constater qu’elle figure au sommet de l’Ashtânga-yoga. Rien n’est moins secondaire que cette exigence, si l’on en juge à la priorité qui lui est faite. Elle préside donc au processus du yoga qui s’avère de ce fait, et avant tout, une position morale, sa condition a priori. En d’autres termes, aux dires de Patafljali, l’attention à autrui est de l’ordre d’un devoir, la nécessité préalable à l’état de yoga, son signe même.

Convenir de cela, c’est reconnaître à cette discipline un idéal de fraternité, non plus seulement l’unique vecteur de l’ascèse corporelle qui y conduit (âsana-prânâyâma), mais la bienséance nécessaire à des relations courtoises et vraies. Nous sommes là dans le champ spirituel d’une attitude à l’égard du monde.

Mais, comme le disait Shakespeare, « les dieux nous ont donné des défauts pour nous faire hommes »… et la violence est partout, insidieuse et perfide. Nous la générons, et nous la subissons dans les situations les plus quotidiennes, et à chaque fois, c’est au détriment de la bienveillance, du tact et de la délicatesse envers autrui.

À ce titre ahimsâ, la non-violence, la première indication morale de cette discipline (yama) incline à une certaine méditation envers notre prochain, quel qu’il soit, qu’il soit notre enfant, celui dont nous avons toute notre vie durant à prendre soin, qu’il soit notre voisin de palier, celui qui est ici, assis à côté de nous à cette conférence, celui qui attendra avec nous dans une salle d’attente chez n’importe quel médecin, qui voyagera près de nous dans le TGV ou qui s’accrochera au même poteau dans le bus. L’autre est notre voisin, notre prochain. Il est notre responsabilité, le signe de notre aménité ou non.

Et pourtant cet autre est la plupart du temps oublié, annulé, livré à l’indifférence, à la maltraitance ordinaire. Voici donc quelques exemples empruntés au quotidien, qui vont nous permettre de comprendre l’importance de ahimsâ, et le travail que cette notion engendre, son éternelle actualité. »

QUAND L’AUTRE N’EXISTE PAS

« Faire que l’autre n’existe pas semble en fait une agression décidée, sinon, à peine le dommage serait-il accompli que la personne s’en excuserait. Mais en général, aucun pardon, aucune parole. Saturée d’elle-même, la personne ne répond pas. Pas plus l’homme au portable quand il consent à s’éloigner que la femme du bus quand elle retire ses sacs n’a un signe de regret. L’impolitesse et la grossièreté font partie du meurtre de l’autre. Le silence en prolonge l’arrogance. L’autre n’est digne d’aucune considération. L’égocentrisme est roi. »

« Si nous constatons, dans le secret de nos méditations, que dans le quotidien de nos vies nous ne mettons pas notre pratique sous l’égide des cinq lois morales du yoga, si nous avons l’honnêteté de nous en apercevoir, nous observons que notre rapport à la fraternité est en cause. Et comment ce rapport pourrait-il ne pas dépendre de l’histoire que nous avons nous-mêmes entretenue avec notre propre fratrie, ou que notre fratrie a entretenue avec nous, ou que notre absence de fratrie a déterminée ?…

Considérer l’autre « comme un frère » demande à assainir la relation initiale qui fut la nôtre à notre propre famille, la place que nous avons occupée, l’objet que nous avons cru être pour chacun de nos parents au regard des autres enfants, s’il y en a eu, et ce que nous avons éprouvé devant celui ou celle qui semblait le ou la plus valorisé(e), si ce n’est le ou la préféré(e). Une mémoire d’enfance colore ce rapport. Jalousie, sentiments d’infériorité, humiliations, amertumes, désirs de mort, sont tout prêts à resurgir et à se convertir en offensive devant n’importe quel autre qui fait revivre aveuglément celui ou celle qui nous a fait souffrir… »

« Ainsi, l’être humain n’est pas un saint. Faut-il le savoir, et ne pas se leurrer. Il suffit de se tourner vers sa psychogenèse pour s’apercevoir qu’à peine né, le voilà livré aux premières pulsions orales de dévoration propres à assurer sa survie, dont Freud dira qu’elles sont les prémices de la cruauté. Puis le voilà amené à composer avec les pulsions anales qui, intrinsèques à l’acte de propreté, et de propriété (celles des fèces), tentent de maîtriser ou rejeter comme un déchet l’objet fécal de la haine. L’éducation tend à civiliser la pulsion, mais à l’origine, l’agressivité est souveraine. »

« Ainsi les niyama, « la discipline à l’égard de soi-même », constituent-ils, pour Patañjali, le moyen d’éradiquer la malfaisance. Rappelons les cinq orientations de ces niyama (Y. S. II, 32) qui font d’une pratique de yoga: 1) un nettoyage, une purification (saucha) ; 2) un contentement (samtosha) qu’il ne faut pas confondre avec la flatterie envers soi-même ; 3) un effort intense (tapas); 4) une connaissance de soi (svâdhyâya) ; et 5) la possibilité de s’abandonner à celui qui en sait plus que soi (Îshvara pranidhâna). »

« Élire les préceptes moraux du yoga en tant qu’objet de désir, et en faire l’objet de sa méditation, c’est donc faire de la clairvoyance et de la générosité le but de son ascèse. C’est élever cette pratique au rang d’une humanisation. Ne dit-on pas de quelqu’un de poli, de prévenant et d’attentif qu’il est « bien élevé » ? Cette élévation est la marque d’une distinction. »

CONTRE LA VIOLENCE FAITE À AUTRUI, LES YAMA

« C’est cela le yoga au quotidien : croire en la vertu (yama) gagnée sur l’ignorance (avidyâ), non pas fermer les yeux sur le monde, mais décider de les ouvrir, accepter de voir l’inhumain dans l’humain, et opter délibérément pour l’envers de sa brutalité. Alors, si cela est, le yogin témoigne de son engagement, non de son autarcie ou de sa suffisance. Et sans jamais démissionner, il s’inscrit dans une logique de fraternité et de solidarité. »

« Devant ce sombre tableau il ne s’agit pas de tomber dans la mélancolie, mais au contraire de trouver le ressort de ce que Christian Bobin appelle « un amour guerrier, actif», un amour qui répond à la question qui se pose à lui chaque jour, dès le réveil: « Comment entrer dans ce premier matin du monde ? »… Si désir de bonté il y a (yama), et si, à la façon de Proust, nous aimons penser que « la bonté est le comble de l’intelligence », la finalité du yoga consiste à se libérer de toutes ces terribles passions. »

« Il ne saurait y avoir de libération sans s’émanciper de l’ignorance, de la bêtise, et de la cruauté qui trouvent leurs sombres effets dans un moi fat, égocentrique et inepte, et ceci au plus quotidien de nos relations. La bienveillance et le détachement, qui sont pour la tradition indienne le signe de la sagesse, sont à ce prix. »

« Mais tout le monde n’a pas accès à cette humilité, et l’estime de soi est facteur de refoulement, disait si justement Freud. Nombreux sont ceux qui n’envisagent le yoga que pour restaurer leur image, et la fierté de l’ego. »

« Cette spiritualité, dégagée du religieux, oeuvre au jour le jour chez celui qui accepte de penser, de se remettre en cause, de faire de son voisin son égal, si ce n’est son supérieur, capable de tendresse et d’admiration. C’est cette humilité-là qui porte ses fruits. Politesse, courtoisie et gratitude, en sont les signes, ce au nom de quoi le yogin se met au travail pour être, comme le disait Pascal, « éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre ». »

Revue Française de Yoga, N°31, « Transmettre. », janvier 2005, pp.9-32.

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