Le Monde du Yoga

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Le souffle et la vie spirituelle dans les grandes traditions d’Orient

Publié le 01 août 2005

La question du souffle et de sa maîtrise au sein des vies spirituelles orientales revêt une importance capitale dans la mesure où elle recouvre celles de la conscience, de la vie, de la mort et de la rencontre avec le Tout Autre.

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L’étude approfondie de l’anatomie et de la physiologie montre, à l’évidence, qu’aucune fonction n’englobe toutes les dynamiques du corps humain comme peut le faire la respiration. Peut-être cette originalité n’a-t-elle pas suffisamment frappé les Occidentaux modernes, en raison de leur difficulté à saisir les aspects polymorphes, fluides, multi-dimensionnels de la réalité. Les humanismes traditionnels, surtout orientaux, moins embarrassés par les nécessités de l’analyse, plus orientés par la perception de la globalité, ont généralement fait de la respiration la voie royale vers la compréhension des différents niveaux de l’être humain et des énergies qui relient ces plans entre eux. Le Yoga en est un exemple privilégié, dans la mesure où il présente un cas rare de transmission ininterrompue, depuis trois millénaires’, d’exercices psycho-physiologiques reposant sur l’observation et la maîtrise du souffle (ou « des souffles »).

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LE SOUFFLE DE LA VIE

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Dieu, maître du (des) souffle(s)

(…) La ruah est terrifiante par sa liberté même; elle apparaît et disparaît au gré de Dieu. Elle est l’altérité, et l’homme surpris par elle est conscient tout d’abord d’une chose: c’est qu’il est devenu autre »

Macrocosme et microcosme, lieux des mêmes souffles

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Sushumnâ est un petit mont Meru, olympe intérieur dont la calotte crânienne forme symboliquement le dôme, le « toit du monde », lieu où humain et divin se frôlent ou se côtoient. Entre espace extérieur et espace intérieur, une similitude archétypale s’instaure: tous deux peuvent être représentés par un mandala. Or le mandala figé par le dessin ne constitue que le chiffre d’un ensemble de formes en constante pulsation, sur un rythme binaire, conduisant à l’immobile unité du centre; et cette pulsation, le yogi la perçoit au mieux dans sa respiration, dans l’incessante scansion de flux et de reflux, image psycho-physiologique de sa condition soumise à l’alternance entre les pôles.

La respiration reproduit donc, à l’échelle individuelle, le mécanisme global de la création; mais, de plus, elle symbolise le dialogue inarticulé, l’échange permanent des énergies, entre microcosme et macrocosme: en ce sens, elle fait de l’homme à la fois l’analogue et le partenaire de l’univers.

SOUFFLE DE LA CONSCIENCE, CONSCIENCE DU SOUFFLE

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Dans une des plus anciennes célébrations de l’âtman, nous trouvons ce verset: « Il faut vénérer lAme qui est faite de pensée, dont le corps est le souffle » (Shatapatha-Brâhmana, 10, 6, 2). Quant à la Prashna Upanishad, elle affirme: « Le Souffle naît de l’âtman. Comme l’ombre sur un homme, ainsi le souffle est étendu sur l’âtman » (III, 3). Prâna apparaît donc comme la manifestation concrète, révélant et voilant en même temps, l’immatérialité du Soi. Plus fonctionnelle, la Mundaka Upanishad déclare l’âtman « conducteur (netâ = cocher, guide lucide) du souffle et du corps » (II, II, 7). Enfin la Kaushitaki Upanishad, encore, assimile souffle et « soi conscient » (prajnâtman): « le souffle qui n’est autre que le Soi conscient » (II, 14) ; « c’est le souffle, le Soi conscient qui, s’étant emparé de ce corps, le fait se dresser… le souffle c’est la conscience, et la conscience, c’est le souffle. Car tous deux résident ensemble dans ce corps et le quittent ensemble ». (III, 3, encore répété littéralement un peu plus loin).

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LES SOUFFLES DANS LES UPANISHADS DU YOGA

Plein et Vide

On a trop vite fait, souvent, d’assimiler totalement état de vide et expiration, plénitude et inspiration. En réalité, si l’inspiration et la suspension à plein provoquent toujours une recharge du potentiel individuel, l’expiration et la suspension à vide servent à la décharge des contenus du moi (émotions, pensées, mouvements divers), mais aussi à la concentration de ce fluide intime que l’on désigne par « le souffle ». L’apprentissage du « vide de soi » conduit donc à goûter une « plénitude en soi », facteur d’extase ou de libération. Les spiritualités d’Extrême-Orient ont particulièrement développé cette culture du vide jubilatoire. Ainsi, chez les maîtres taoïstes, on ne doit jamais retenir le souffle, et donc expirer parfaitement est un art. Par là, l’individu cesse de se penser en tant qu’individu séparé du cosmos, il se sent un simple espace traversé: il est comme une paille creuse, « une javelle vide, et il ne sait plus si c’est le vent qui l’entraîne ou lui le vent » .

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LE DON DU SOUFFLE

La parole, l’inspiration divine et le souffle de la prière

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L’Aitareya Brahmana proclame: « Les deux coupes de soma sont vac (la parole) et prâna » (II, 26). C’est que la Parole divine féconde la conscience du poète qui compose les hymnes et les prières; elle coule à flots et l’envahit, lui donnant l’extase. Au poète de clarifier ses pensées comme la liqueur doit être « passée au tamis » pour remplir sa fonction. Il acquiert donc une certaine maîtrise de soi, mais cette maîtrise sert avant tout à se rendre disponible à l’inspiration; elle passe par l’apprentissage du silence, car c’est du centre du silence humain que vibre la Parole. Louis Renou met en relation le silence rituel du poète védique et celui des ascètes upanishadiques, en montrant que, dans l’un et l’autre cas, il marque une « concentration », un « ressaisissement », et que « sa pratique va de pair avec celle des yeux clos, des poings fermés, de la respiration freinée, du jeûne et autres astreintes de caractère ascétique qu’on lui voit plus ou moins associées »

CONCLUSION

Depuis longtemps, on a perçu les ressemblances entre les techniques respiratoires de l’hésychasme, celles du soufisme et celles du yoga. (…). On ne peut que constater, sans pour autant conclure à des filiations, une identique constellation symbolique formée sur le nom divin porteur du Souffle de l’Esprit, c’est-à-dire de la conscience supérieure, et sur le coeur de l’homme foyer d’une énergie consciente qui s’exprime par la prière, la méditation et l’état de quiétude.

L’expérience du souffle occupe ainsi une place centrale. En effet, elle permet d’incarner les dimensions personnelles d’une énergie transpersonnelle, souvent cosmique, parfois transcendante: le souffle qui est aussi conscience donne à la vie diffuse, des formes et un ou des sens. Mais d’autre part, cette descente consentie du souffle dans une entité particulière donne la possibilité de l’utiliser dans la rencontre avec l’autre ou le Tout Autre (…).

Revue Française de Yoga, n°28, août 2003, « La voie du souffle », pp. 159-189

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