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Le sens de la vie et la question de l’origine en christianisme

par Jacques Arnould | Publié le 19 août 2005

Etre dans l’impossibilité d’assister à sa propre naissance ou à sa propre mort n’est pas incompatible avec l’idée d’une certaine contemporanéité à son origine, car celle-ci désigne à la fois l’originaire et l’original. La conception chrétienne de la création se fonde sur cette pluralité d’acceptions.

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D’INACCESSIBLES COMMENCEMENTS

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Fixer un commencement a quelque chose d’arbitraire et, dans bien des cas, l’idée de commencement perd toute pertinence pour la connaissance et la maîtrise de l’existence humaine.

Ce constat s’applique plus particulièrement aux deux commencements que j’ai l’habitude de dire « en miroir » de nos existences: la naissance et la mort. Je ne m’appesantirai pas sur la difficulté, toujours d’actualité, à définir avec certitude le début et le terme de l’existence humaine ; si cette difficulté était convenablement et définitivement surmontée, les débats à propos de l’avortement et de l’euthanasie n’auraient plus lieu d’être… ce qui est encore loin d’être le cas. La définition de ce qui est déjà ou de ce qui est encore une personne humaine continue au contraire à faire l’objet de définitions et de compromis, tant législatifs que philosophiques ou théologiques ; ce qui montre, en passant, que nous ne savons pas comment définir l’homme… Quoiqu’il en soit de ces controverses (qui sont de fait du plus grand intérêt et de la plus grande nécessité pour nos sociétés), la difficulté à atteindre ces deux commencements que sont la naissance et la mort nous concerne bien au-delà de la définition juridique ou philosophique : ce sont notre propre naissance et notre propre mort qui nous échappent. Pour le dire autrement: nous n’avons été, ne sommes ni ne serons jamais contemporains de notre naissance comme de notre mort; notre Avant comme notre Après nous demeurent aussi inaccessibles que le commencement et l’issue de l’univers : une sorte de mur de Planck nous en sépare, que nous ne pourrons jamais franchir, du moins vivants.

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Ce qui est vrai de notre conception l’est tout autant de notre mort : nous confions à d’autres, à nos successeurs dans l’histoire de l’humanité, le soin de recueillir « notre dernier instant », d’en être les contemporains. Dans les deux cas, nous sommes bien dans le registre de la confiance en l’autre. Et finalement, pour ce qui me concerne, avec toute la tradition chrétienne, de la confiance, de la foi en Dieu.

Car, « de commencement en commencement » – comme dit Bernard Besret, d’après Grégoire de Nysse -, ne sommes-nous pas menés à poser la question de Dieu ? N’est-ce pas précisément à l’occasion d’événements comme une naissance ou un décès que nous sommes rejoints, rattrapés par la question de l’Autre ? « La mort, la crainte de la mort, écrit encore Franz Rosenzweig dans L’Étoile de la Rédemption, amorce toute connaissance du Tout.» C’est en tout cas une certitude pour tous les rites élaborés par les cultures, les sociétés et les religions humaines autour du début et de la fin de l’existence humaine. L’impureté dont sont marqués ceux qui sont les acteurs (en particulier la mère) ou les plus proches de ces événements n’est pas systématiquement connotée négativement ; peut être considéré comme impur celui ou celle qui a touché aux mystères de la vie et de la mort, autrement dit à ce qui est considéré comme sacré car appartenant à Dieu. Pour un chrétien, n’est-ce pas de Lui que nous recevons notre origine?

CONTEMPORAINS DE L’ORIGINE

L’idée d’origine comporte une dimension chronologique analogue à celle de l’idée de commencement. Mais elle fait également la synthèse entre celle d’« originel » ou d’« originaire » – ce qui est posé comme le point de départ, le fondement d’un processus historique, d’une existence biologique entre autre – et celle d’« original » – ce qui est visé en lui-même, comme immanence et identité de soi – : elle ne refuse donc pas l’idée d’un commencement, d’un point de départ historique, mais donne une place éminente au principe fondateur de l’être, à la cause d’un phénomène donné. Prenons un exemple simple : dire que nous sommes originaires d’un certain pays, d’un certain terroir, c’est donner davantage d’informations que ne contiendrait l’indication de notre date de naissance ; c’est informer d’une culture, d’un accent, voire d’un dialecte, parfois d’une tendance de caractère, psychologique ou physique, d’un héritage familial ou social ; notre originalité se bâtit sur ces fondements originels, à partir de notre histoire personnelle.

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Parce que l’homme est contraint de reconnaître le caractère événementiel du vivant, parce que le croyant affirme que ce vivant est l’oeuvre d’un Dieu créateur, le théologien peut avancer l’idée selon laquelle la personne humaine (et, avec elle, toutes les créatures) est « contemporaine de l’origine ». La formule paraît n’être qu’une simple lapalissade, comme le reconnaît Pierre-Jean Labarrière, dans la mesure où la question de l’origine, ai-je souligné précédemment, ne se réduit pas à l’étude d’un point de départ, d’un commencement, mais resurgit littéralement à chaque instant. Cette lapalissade n’en possède pas moins une efficacité critique redoutable, dans la mesure où elle ramène tout questionnement comme toute réponse à la racine, au principe, bref à l’origine (selon sa double signification d’originel et d’original). En d’autres termes, parler de la création, c’est d’abord parler d’un événement, celui d’être créature hic et nunc. L’avenir reste inaccessible à notre connaissance, et même à notre foi, du moins dans sa réalisation concrète ; quant au passé, quelles que soient les découvertes paléontologiques, elles demeurent bien modestes au regard de l’immensité de l’histoire, en même temps que frappées d’un caractère hypothétique.

Une fois affirmée la contemporanéité des créatures avec leur origine, dans l’événement du présent, une fois reconnue la problématicité du monde, la foi chrétienne peut confesser « un commencement radical toujours à l’oeuvre, donc un ordre de nouveauté et de liberté, dans le même geste où elle affirme la positivité du réel, donc un ordre de passivité et de nécessité» (Pierre Gisel). Cet ordre appelle une manière renouvelée de comprendre l’idée de création, dans sa tripartition : creatio originalis, creatio continua et creatio nova, qui sont à la fois inséparables et distinctes. La première d’entre elles demeure inaccessible à l’intelligence humaine. La seconde, aussi riche de possibles que soit le flux des vivants, est soumise à la contingence et à ses contraintes ; la mort, celle de l’individu ou celle de l’espèce en est probablement l’une des manifestations les plus évidentes. La troisième ne sera pas un remake de la première : si celle-ci fut ex nihilo, celle-là sera ex vetere. C’est dans cette perspective que la dimension eschatologique peut être introduite : porteuse de rédemption pour l’avenir, mais aussi de sens pour le présent: l’être de demain ne surgit pas de rien, ex nihilo, mais d’un être pour demain, d’un présent qui vient, ce qui suppose processus et histoire, avènement et événement.

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Revue Française de Yoga, n° 23, « Le Sens de la vie », janvier 2001, pp. 21-37

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