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Le sens de la vie : un chemin de vie en yoga

par Jean Marchal Rénata Farah | Publié le 24 août 2005

Une vie spirituelle épanouie repose sur deux piliers à chaque instant de notre quotidien. D’une part, la vigilance qui permet de gérer les émotions, de comprendre le monde et de se comprendre ; d’autre part, l’acceptation de ce qui est. L’assise en silence permet de développer ces capacités.

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LE QUOTIDIEN COMME EXERCICE

Karlfried Dürckheim insistait sur le fait que si un exercice particulier régulièrement pratiqué est nécessaire pour avancer sur la Voie, c’est en fait toute l’existence qui doit devenir un exercice. Il raconte : « Un ami japonais m’a demandé un jour : « quand faites-vous votre exercice ? » Avec la meilleure conscience je lui ai répondu : « Une heure tous les matins, très tôt ». Voilà qu’il répondit : « Cela montre que vous n’avez encore rien compris ; ou vous faites l’exercice toute la journée, ou vous pouvez tout aussi bien vous en passer ». Il est certain que si je lui avais répondu : « Je m’exerce toute la journée » il m’aurait dit : « Vous n’avez encore rien compris, car sans l’exercice particulier vous n’arriveriez pas à faire de progrès dans l’exercice continuel » ».
Vivre le quotidien comme un exercice au service de la Grande Vie repose avant tout sur deux attitudes qui sont comme les deux colonnes sur lesquelles se construit l’édifice de la vie spirituelle. Toutes les traditions religieuses sont d’accord là-dessus : il s’agit de la vigilance et de l’acceptation.

La vigilance

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Cette vigilance doit bien sûr s’appliquer à tous nos actes, mais très particulièrement dans certaines circonstances. Tout d’abord chaque fois que se lève en nous une émotion: vigilance pour ne pas nous laisser emporter comme un fétu dans la tempête, mais aussi, une fois le calme revenu, vigilance pour discerner quel aspect particulièrement vulnérable de notre psychisme a été touché et pourquoi.

Vigilance nécessaire également pour discerner le sens des évènements, heureux ou malheureux, qui viennent infléchir le cours de nos existences et qu’en général nous attirons en fonction de nos états intérieurs. En particulier, il faudrait nous interroger sur ce que veulent nous dire les maladies qui nous frappent et qui ont toujours une racine psychologique.

Vigilance aussi pour accorder de l’importance aux phénomènes de synchronicité, plus fréquents qu’il n’apparaît superficiellement et que nous avons trop tendance à banaliser sous le vocable de « hasard ». Ils nous rappellent que le monde où nous vivons, et que nous prenons pour la réalité, conditionné par l’écoulement du temps et les lois du déterminisme, n’est que le reflet d’un monde où règne l’instant éternel et les lois de l’analogie.

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L’acceptation

C’est le second pilier de la vie spirituelle. Sa place dans nos existences est parfaitement définie par la prière de l’empereur Marc-Aurèle : « Mon Dieu, dans les évènements donne-moi le courage de changer ce qui peut être changé, la sagesse d’accepter ce qui ne peut pas être changé et l’intelligence de discriminer entre les deux ». C’est dire qu’acceptation n’est pas résignation et que là encore l’intelligence vigilante est nécessaire pour distinguer ce que, devant un évènement que nous ressentons comme injuste, nous pouvons ou non essayer de changer. Par exemple, devant la mort d’un proche nous ne pensons rien faire d’autre qu’accepter l’inéluctable, ce qui revient à faire l’économie de l’émotion perturbatrice : touchés nous sommes, mais pas emportés par le refus.

Il s’agit simplement d’accepter ce qui, indiscutablement, est : et ne pas surimposer sur « ce qui est » ce qui selon nous devrait être (à savoir que la personne disparue soit toujours là). Par contre, si notre enfant est malade, nous pouvons essayer de transformer cette réalité en appelant le médecin tout en acceptant ce qui est ici et maintenant : notre enfant malade. Donc être efficace sans émotion.

Il est des circonstances où « accepter ce qui est » nous paraît impossible et où toute notre conscience est envahie par le refus. Dürckheim en distingue trois où l’acceptation est particulièrement difficile: la proximité immédiate de la mort, la solitude totale et l’absurde. Dans ces trois épreuves extrêmes il s’agit, dit-il, d’accepter l’inacceptable : « L’homme peut alors faire l’expérience d’une protection inconcevable pour l’esprit humain, alors qu’il est abandonné par le monde. Dans les trois cas, l’acceptation de l’inacceptable n’est ni de l’héroïsme, ni de la résignation, mais l’expérience d’une liberté inconnue de lui par laquelle il dépasse l’expression de son moi habituel. Au coeur de l’anéantissement, des ténèbres et de la cruauté de ce monde, l’homme accède à une Force, une Clarté et un Amour qu’on peut dire surhumains parce qu’il les éprouve en contradiction avec toutes les contingences de ce monde. Lors d’une telle expérience se reflète la structure ternaire de l’Être supraterrestre dans sa plénitude créatrice et son unité intégratrice ».

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En cette attitude « d’acceptation de ce qui est » réside l’aspect essentiel de ce que Durckheim appelle « conscience coupe » ; la coupe accepte tout ce qu’on y verse, nectar ou poison, sans refus. Elle a son contraire dans la « conscience flèche » qui malheureusement caractérise la plupart de nos états de conscience ordinaires: sans cesse tendus vers un but et d’autant plus dans le refus de l’échec que le résultat espéré paraît important.

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L’assise en silence

S’asseoir en silence et tenter d’entrer dans l’état méditatif, c’est d’abord renoncer momentanément à toute action et à tout attachement aux pensées concernant les actions passées ou à venir, pour demeurer immobile dans la seule présence de l’ineffable : centré sur l’unique Réalité, l’Un sans second au-delà de toutes les apparences dans lesquelles nous nous agitons à l’état ordinaire. Cela suppose le renoncement provisoire mais inébranlable à toute impulsion aux mouvements : mouvements du corps dans l’immobilité totale, fluctuations des pensées dans le détachement de leur déroulement sans fin. Ne plus être emportés par le besoin continuel de bouger, de parler, de considérer le passé et de préparer l’avenir, c’est le grand silence qui nous fait entrer en relation avec notre réalité ultime, « notre visage originel, celui que nous avions dès avant la naissance ».

L’assise en silence donne de l’importance à la tenue, à la forme et à l’unité. S’asseoir, s’enraciner, croître. Renouveler, approfondir, recommencer l’expérience de s’asseoir extérieurement et intérieurement au plus profond de soi-même. Se lâcher : c’est la personne entière qui se lâche dans une bonne tension. Passer de la performance à la « transformation » en devenant de plus en plus transparent à la « Présence » qui nous donne la chance de devenir disciple de l’Être Essentiel. Accepter de se laisser inspirer, expirer, suivre, accompagner cette respiration qui devient Souffle et qui est la manifestation de Dieu en nous.

Nous exercer tous les jours, méthodiquement, dans un moment privilégié à cette assise en silence développe en nous cette « conscience coupe » qui nous garde des émotions et des actes inappropriés dans les circonstances difficiles de l’existence: l’assise nous oriente vers les actions justes à accomplir dans chaque situation. Alors, comme le dit Karlfried Dürckheim : « Chaque situation devient la meilleure occasion de faire la grande expérience », celle de la Grande Vie qui est l’indestructible en nous.

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Revue Française de Yoga, n° 23, janvier 2001, pp. 271-283

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