Le Monde du Yoga

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Un auteur et son oeuvre : Ramana Maharshi (1879-1950)

par Jeannette Kempfner | Publié le 18 septembre 2003

Maître vénéré, vers lequel affluent les voyageurs d’Inde, d’Europe ou des Etats-Unis, Ramana Maharshi est toujours resté d’une humilité et d’une discrétion exemplaire. La recherche de Soi est en effet déchirement de l’illusion que représente et entretient l’ego. Elle aboutit alors à l’oubli de soi, paradoxalement.

« L’homme qui, sans avoir souhaité le destin d’un maitre spirituel, devait marquer à ce point ses visiteurs et ses disciples, eut une vie toute simple, sans aventures extérieures. Contrairement à VIVEKANANDA, le pèlerin d’Absolu, […] RAMANA MAHARSHI n’a pratiquement pas voyagé. Le seul voyage de sa vie, à ARUNACHALA, se situe avant sa dix-septième année. Pendant ses premières dix-sept années, il vit la vie d’un jeune homme de caste brahmanique et de classe moyenne, qui fait des études médiocres. Durant les cinquante-trois ans qui suivirent, après s’être installé â TIRUVANNAMALAT, au lieu de la montagne sacrée, ARUNACHALA, les disciples affluent, transformant l’habitation du Sage en communauté ou « ashram ». RAMANA MAHARSHI mène alors l’existence d’un maître très écouté que l’on vient voir de l’Inde, de l’Europe, des États–Unis, bien que très humble et très discret.

[…]
Et pourtant, ses dix-sept premières années ne semblaient pas devoir le conduire à un rôle de mentor spirituel. […] Il est sportif, mais peu intéressé par ses études, au grand mécontentement de son oncle et de son frère aîné. Par contre, il a deux révélations à l’âge de seize ans. D’un vieux parent, il entend un jour le nom d’ARUNACHALA, qui signifie montagne (aruna) rouge (achala) et rêve de la colline inspirée, encore inconnue de lui. Il lit aussi par hasard (mais est-ce un hasard ?), la vie des saints civaïstes , adorateurs de CIVA , le troisième des Dieux de la trilogie hindoue (ou plutôt l’un de ces Dieux, car on ne saurait les classer), dans le livre de SEKKILAR. Cette lecture l’enchante, alors que les exercices scolaires de grammaire anglaise l’ennuient.

Et puis, il lui arrive brusquement un événement tout personnel qui modifie totalement son existence, un événement clef qui oriente sa vie dans la direction qui sera celle des cinquante–trois années qui lui restent à vivre. Il n’a que seize ans et demi alors. Il est en parfaite santé, sportif, robuste, et il se voit assez soudainement hanté par la crainte de la mort. Il imagine sa mort, mieux, il la vit. Il s’étend sur le sol, ferme les yeux, imite les symptômes extérieurs de la mort. Alors, il s’interroge: « Maintenant la mort est venue. Que signifie-t-elle? Qu’est-ce qui meurt? Ce corps matériel meurt. Eh bien Ce corps est mort, on va le porter sur le terrain de crémation et le réduire en poudre. Mais lorsque le corps sera mort, serai-le mort, moi? Ce corps, est-il moi ? Il est inerte, et pourtant je sens toute la force de ma personnalité indépendante de lui. Je suis donc l’esprit éternel, transcendant le corps, qui seul vit et meurt. « L’adolescent sent la crainte s’évanouir. Mieux, il observe « la présence consciente et immédiate du moi, tout à fait indépendamment du corps physique ». Il s’agit là d’une expérience totale, celle qu’en Inde, on appelle l’expérience du « libéré vivant ».

Qu’importe désormais pour l’adolescent le travail scolaire et la réussite sociale? Il ne lui reste plus qu’à s’évader de sa vie de collégien. Le prétexte lui en est donné par son frère, irrité par sa nonchalance et qui lui reproche sa coupable oisiveté. Il part alors pour le pays presque mythique, ARUNACHALA […]

C’est le Sage, c’est RAMANA MAHARSHI lui-même qui invoque le mont sacré, ARUNACHALA, et lui dédie sa « guirlande nuptiale de lettres « , sous forme de poèmes qui sont des litanies d’amour. Il ne le quittera plus ce mont, s’installant dans un petit temple, ou dans une grotte, ou dans tel autre lieu que ses disciples, plus pratiques que lui ou moins indifférents à la vie quotidienne, choisissent pour en faire un ashram. Ce mont est sacré et s’appelle encore le SAINT SIGNAL. Une fois par an, à l’époque de la fête votive dont la célébration se fait dans le temple, une grande flamme s’élève au sommet de la montagne. Entretenue par de grandes quantités de beurre et de camphre, elle brûle pendant plusieurs jours, visible à plusieurs lieues à la ronde. A sa vue tout le monde se prosterne car ce feu signifie que la montagne est consacrée et protégée par une puissante divinité. Du moins est-ce ce qui en est dit en Inde, et la raison de la dénomination, « SAINT SIGNAL».

Cinquante-trois ans durant, RAMANA MAHARSHI ne fera rien d’autre que méditer, recevoir les pèlerins d’Asie, d’Europe ou d’Amérique. Il ne semble pas se soucier du résultat de son enseignement. Il ne donne pas une formule toute faite. Il enseigne la recherche, la recherche personnelle des fins ultimes qui se confond avec celle du vrai Moi. On a parfois un peu raillé la sublime indifférence ou l’apparente indifférence du Maitre. SWAMI ABHISIKTANANDA dans son ouvrage « GNANÂNANDA: Un maitre spirituel en pays tamoul » , peint ainsi la colonie dévote autour de RAMANA MAHARSHI: « On venait matin et soir au darshana de BHAGAVÂN avec une ponctualité rituelle, les dames en leurs plus beaux atours, parées de bijoux et saris de soie. Entre temps, on s’exerçait à la méditation, on aspirait les effluves mystiques que l’on disait rayonner de sa personne. Les salons retentissaient de hautes discussions spirituelles, et, en prenant le thé, on s’interrogeait sur les progrès intérieurs des uns et des autres. SRI RAMANA était trop fin pour ne pas se rendre compte du snobisme qui l’entourait, cependant, il ne disait rien jamais d’ordres, jamais d’interférence dans la vie de ceux qui s’empressaient autour de lui « .
[…]

Comme SOCRATE, RAMANA MAHARSHI pratique une maïeutique à base « d’accouchement des esprits ». Mais cet accouchement vise à la recherche la plus fondamentale, la recherche de l’Etre en soi, de ce qui demeure stable, inchangé, quand sont dissipés les pièges de l’illusion. Il parle peu, pensant que « le silence du guru est l’instruction spirituelle la plus fracassante, la plus explosive ». Il conduit au recueillement et amène le disciple à se poser la question:

[…] qui suis-je? On peut ouvrir au hasard l’ouvrage « L’enseignement de RAM ANA MAHARSHI  » , qui a 602 pages et qui relate l’enseignement dispensé par le Maitre, les réponses aux questions qui lui furent posées de 1935 à 1939. On retrouve toujours la même question.

• Ainsi (p. 269):
– Que dois-je faire pour me libérer de toutes mes pensées?
– Restez tranquille tout simplement. Essayez et vous verrez.
– Mais c’est impossible.
– Justement. C’est pourquoi il vous est recommandé d’adopter la méthode
de la recherche fondamentale « Qui suis-je? « .

– Dois-je donc poser cette question chaque fois que surgit en moi une pensée? Mais alors le monde n’est-il qu’une pensée?
– Laissez au monde le soin de résoudre lui-même la question : « Comment
suis-je venu à l’existence « .
• Ou encore (p. 544) :
– Je pratique la répétition du phénomène sacré « 0M » depuis des années.
Dans l’oreille gauche, je ne cesse d’entendre le son d’une flûte. En ce moment même, je l’entends. J’aperçois également des visions lumineuses. Que dois-je faire?
– Il doit y avoir quelqu’un pour entendre ces sons et voir ces lumières. Qui est-ce ? C’est le « Je « . Si vous recherchiez ce « Je  » en vous posant la question  » Qui suis-je? », le sujet et l’objet se fondraient l’un dans l’autre et disparaîtraient. A ce stade, l’enquête s’achève. Mais jusque là les pensées fourmillent, les scènes de la vie phénoménale apparaissent et disparaissent… A défaut de cette connaissance, l’homme oriente son mental vers l’extérieur. Il ignore en effet que sa nature véritable n’est jamais engagée dans la manifestation, et qu’au contraire, elle est ce qui reste de l’élimination de celle-ci, c’est-à-dire le Soi ».

A quelqu’un qui lui parle de réincarnation, il répond: « Cherchez qui pose cette question de renaissance » (p. 551).

Quelles que soient les questions posées « Comment maîtriser le mental? », « Que faire pour obtenir la libération ? », « Est-ce que la non-dualité peut être réalisée en ayant recours à la répétition de noms sacrés ? », « Comment réaliser le Soi ? », « Comment peut-on être à la fois absorbé par la recherche spirituelle et accomplir correctement ses obligations? », « Qu’est ce que la Réalité ? », « J’ai perdu ma femme et mes enfants. Comment puis-je obtenir la paix de l’esprit ? »…, c’est toujours la même réponse qui vient, le « Qui suis-je? » indiqué au disciple qui fera lui-même son plongeon spirituel et finira par connaître sa vraie nature.

[…]
On ne s’étonnera donc pas que RAMANA MAHARSHI qui a si peu écrit – et
qui ne l’a fait que pour répondre à la demande de ses disciples, pour satisfaire un besoin précis – ait donné des textes portant les titres « Qui suis-je ? » (WHO AM I en anglais) et « La recherche de Soi-même  » (SELF ENQUIRY). […]

– Fort heureusement, les disciples, visiteurs et amis du MAHATICHI ont parlé de lui et écrit à son sujet. Tous ont été frappés par sa sérénité et sa noblesse. Le Swami TAPASYANANDA dit de lui: « C’est un homme aimable et doux, indifférent à tout ce qui se passe autour de lui, qui ne recherche aucun but pour lui-même, et que l’on peut considérer comme totalement dépourvu de lucre et de vanité»

Paul BRUNTON, on l’a vu, a été subjugué par sa grandeur. Le très savant Olivier LACOMBE écrit à son sujet dans un article sur « le yoga indien »: « Sa personne rayonne de force contenue, d’intelligence, de maîtrise de soi. Flamme du regard intense et fixe sans dureté. Douceur olympienne des gestes, menus et délicats dans une stature immobile ».
[…] ”

Les carnets du yoga, n°56, février 1984, pp. 2-12.

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