Le Monde du Yoga

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Homo energeticus

par François Roux | Publié le 30 septembre 2003

Tout est fait d’énergie : même la matière, au niveau atomique, est divisible et réductible jusqu’à obtention de pure énergie. C’est bien ce qu’enseigne le yoga depuis des millénaires, qui demande à ses adeptes de pratiquer afin de se transformer et d’atteindre ce seuil ultime où la matière, devenue conscience-énergie, n’est simplement plus.

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Mais d’où nous vient ce mot d’énergie, si utilisé de nos jours? II est grec d’abord, se prononce energeia et désigne la force en action, par comparaison avec dunamis la force en puissance, qui donne « dynamisme » en français. L’idée d’action est d’ailleurs contenue dans la structure même du vocable, en-ergein signifiant en grec « agir dans », « être en action à l’intérieur de ». Le mot passe ensuite en latin -ênergîa signifiant « force »- puis émerge dans notre langue vers le XV’ siècle. Littré définit ainsi l’énergie: « Puissance active de l’organisme, vertu naturelle et efficace que possèdent les choses ». Ce n’est que dans les dernières années du XIX, siècle que sera créé l’adjectif « énergétique », que le dictionnaire Quillet présente en ces termes: « Science qui étudie les manifestations et les transformations des diverses formes de l’énergie -mouvement, chaleur, lumière, radiation, électricité- dans les phénomènes physiques, chimiques et biologiques ».
[…]
L’UNIVERS ENTIER EST FAIT D’ÉNERGIE

Car c’est précisément la science qui redécouvre aujourd’hui ce que yogis, maîtres spirituels et métaphysiciens connaissaient depuis de nombreux siècles: notre univers physique n’est pas fait de matière, mais d’énergie. Seul le niveau limité de nos perceptions sensorielles nous fait percevoir les choses comme solides et distinctes les unes des autres. Au niveau atomique, la matière apparaît constituée de particules de plus en plus fines, emboîtées les unes dans les autres jusqu’à se réduire à la pure énergie. Dans le microcosme comme dans le macrocosme, tout est donc fait d’énergie. Le mouvement est énergie, la chaleur énergie, la lumière énergie, la radiation énergie etc. Nous vivons dans un véritable tourbillon énergétique.

Mais, premier constat, cette énergie vibre à des vitesses différentes, qui lui confèrent des qualités variées, allant du plus grossier au plus subtil, du plus lourd au plus léger. La matière, par exemple, est un type d’énergie plutôt lourde, dense et compacte qui ne bouge et se transforme qu’avec lenteur et difficulté. La pensée, par contre, est de l’énergie plus légère, plus fine et plus mobile. Elle peut donc se modifier plus vite et plus aisément. Second constat, toutes les formes de l’énergie sont en interaction les unes avec les autres et s’influencent mutuellement. Une énergie d’une vibration particulière attire ainsi une énergie de même vibration. La sagesse populaire parle volontiers des « atomes crochus » que l’on a avec quelqu’un… Troisième constat: l’énergie la plus mobile et rapide se manifeste avant la plus lourde et lente.Ainsi l’image précède-t-elle naturellement la forme, la pensée l’action, la parole le geste.

Ces constats mis en exergue par la science, les yogis des premiers âges les avaient déjà faits et, très vite, ils surent en tirer parti, faisant ainsi du yoga une véritable « science de l’énergie ». Principe éternel et illimité, incarné dans un espace-temps limité et provisoire, l’homme–yogi se trans-forme et transforme l’apparence qu’il habite: « Si tu te transformes, dit admirablement l’Ange de Gitta Mallasz, la matière est aussi obligée de se transformer ». Mais, observateurs aigus de la réalité, les yogis savent de source certaine que l’énergie ne peut pas se manifester indépendamment de la matière, ou aller contre elle. Le travail commence par prendre en compte toutes les pesanteurs matérielles, pour les alléger patiemment, progressivement. « Le Divin, note Bernard Montaud disciple de Gitta Mallasz, nous propose le lourd pour que nous choisissions le léger ».

Ce long travail d’affinement, mené par l’énergie au sein de la matière, est admirablement mis en lumière par l’approche des « huit membres » du yoga, dans les Yoga-Sûtra de Patânjali, passionnante « énergétique de l’homme ». On notera au passage la présence du chiffre huit, que l’on retrouve aussi dans l’Octuple Sentier du Bouddha. Que signifie ici ce huit sinon, précisément, l’influence de l’esprit sur la matière à travers un lent processus d’allègement? Ainsi, en architecture, l’octogone -figure à huit côtés- est-il médiation entre le cercle (symbole du Ciel) et le carré (symbole de la Terre).

Entrons maintenant dans ces huit « membres » (anga), qui forment littéralement un corpus énergétique allant du plus lourd au plus allégé, dans une relation de réciprocité. Nous sommes là, clairement, en présence d’un processus de « croissance organique », d’une véritable discipline holistique où tout est pris en compte et où chaque anga participe à l’évolution des autres. Le choix même de ce mot « membre » révèle l’intention profonde du yoga: c’est tout entier – comme un corps – qu’un être s’allège et progresse. Rien n’est laissé en route, même si tout ne va pas à la même vitesse. La patience est ici suprême qualité. Si Patanjali avait simplement voulu indiquer une séquence, il eut probablement choisi un autre mot « étape » (âshrama), ou « terre, territoire » (bhûmi), ou encore « lieu » (desha). Or il opte pour le mot « membre ». A nous de découvrir ce que cela suppose de subtiles inter-relations, d’entente et même d’harmonie dans ce long travail de décantation énergétique.
[…]

A travers la double transmutation d’une énergie de plus en plus affinée et d’une conscience de plus en plus affermie, le yogi débouche ultimement sur le vide, l’espace, le moyeu (kha), autour duquel tout le réel se remet à fonctionner autrement. C’est bien ainsi que nous le décrit Svâtmâramâ, en termes irrécusables, dans la Hatha-Yoga Pradipîkâ « Place le Soi au milieu du vide et place le vide au milieu du Soi. Réalisant que tout n’est que vide, il ne faut penser à rien absolument. Vide à l’intérieur et vide à l’extérieur, comme une jarre vide dans l’espace. Plénitude à l’intérieur et plénitude à l’extérieur, comme une jarre immergée dans l’océan » (H.Y.P. IV 55-56).

Alors se révèle la grande équation. C’est à cette étape du processus yoguique qu’énergie et conscience sont ressentis comme couple indissociable. Le Soi est Énergie et Conscience, indivisiblement liées. « Dans la vacuité universelle, écrit Jean Papin, tout est spontané et désormais saisi comme Conscience et Énergie simultanées ». Shakti (la Puissance) et Shiva (le Bénéfique) s’épousent, devenant la Toute-Conscience.
[…]”

Revue Française de Yoga, n°15, « L’énergie en question », pp. 155-166.

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