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La mémoire de la matière

par Danielle Alloin | Publié le 26 avril 2005

Pour accéder à la mémoire de la matière le physicien-détective peut soit rechercher des traces d’états passés de l’univers conservées jusqu’à nos jours, soit profiter du fait que la vitesse de la transmission de l’information d’un point à un autre est limitée pour voir dans le présent des informations passées.

« Que pouvons-nous donc appeler mémoire de la matière ? L’état physique de l’univers peut être représenté par un ensemble de paramètres. A chaque instant t, ces paramètres ont des valeurs bien définies (a, b, c, d, … ). C ‘ est la succession, dans le temps, des valeurs de ces paramètres qui traduit l’évolution de l’univers. Le physicien aura donc deux tâches : dans une première étape, retrouver les valeurs des paramètres à l’état présent et à tout instant t du passé, puis, dans une seconde étape, construire un modèle qui rend compte de l’évolution de ces paramètres selon les lois de la physique. L’établissement d’un tel modèle sous-entend l’acceptation implicite de deux principes : le principe de causalité qui relie les événements les uns aux autres et le principe d’universalité des lois de la physique, supposées être identiques en tout lieu et en tout temps.

Le fait de mémoire qui nous intéresse ici prend sa source dans le déroulement du temps : le physicien va devenir détective pour reconstituer la suite des états passés de l’univers. Pour lui, la terre, le système solaire, l’univers tout entier sont mémoire. Une mémoire comme un gigantesque livre à déchiffrer afin de remonter le fil de l’évolution, du présent vers le commencement.

Deux voies s’ouvrent au physicien-détective dans sa quête : collecter in situ les traces préservées d’états passés de l’univers et utiliser la propriété selon laquelle l’information ne se transmet pas instantanément d’un point à l’autre, ce qui va l’autoriser à lire directement le passé.

La première voie, celle de la collecte de traces in situ, peut être illustrée par des exemples innombrables. La nature n’est-elle pas lieu de mémoire par excellence ? Je présenterai ici trois exemples

1) Le réchauffement climatique observé aujourd’hui est expliqué par une plus grande concentration dans l’atmosphère terrestre de gaz dits à effet de serre, tels le gaz carbonique et le méthane. La corrélation entre les changements climatiques et la teneur atmosphérique en ces deux gaz a pu être bien établie grâce à l’analyse de témoins glaciaires. En effet, la mesure de l’abondance relative des isotopes lourds de l’hydrogène et de l’oxygène dans les molécules d’eau qui constituent la glace permet de déduire la température de l’atmosphère au moment où s’est formée la neige qui alimente les calottes glaciaires. En outre, cette neige, en se transformant peu à peu en glace, a emprisonné des bulles d’air dont l’analyse permet de déterminer la composition de l’atmosphère dans le passé, donc sa teneur en gaz carbonique et méthane. Un carottage glaciaire, profond de 2200 mètres, réalisé dans les régions centrales de l’Antarctique a ainsi permis de reconstituer l’évolution climatique et la concentration de l’atmosphère en gaz à effet de serre, au cours des 150 000 dernières années.

2) Le champ magnétique terrestre trouve son origine dans le noyau de la terre, région liquide constituée d’un alliage fer-nickel avec une petite quantité de soufre : les mouvements de ce fluide peuvent entretenir un champ magnétique, c’est ce qu’on appelle l’effet dynamo dont l’énergie provient du refroidissement global de l’intérieur de la terre. Tout au long de son histoire, il apparaît que le champ magnétique de la terre a très souvent changé de sens. Comment le savons-nous ? En étudiant l’aimantation fossile

des roches. Celles-ci, en effet, qu’elles soient volcaniques ou sédimentaires, ont acquis au moment de leur formation une aimantation dans la direction du champ magnétique terrestre de l’époque. Pour des roches qui ont gardé leur position originelle, cette mémoire magnétique permet d’étudier les variations de la direction du champ magnétique terrestre au cours des cent derniers millions d’années. Pour des roches vagabondes, cette empreinte magnétique aide à reconstituer l’histoire du mouvement des plaques tectoniques qui appartiennent à la croûte terrestre.

Les inversions du champ magnétique semblent résulter de mouvements internes au noyau de la terre et d’interactions entre le noyau et le manteau rocheux situé sous la croûte terrestre. Ainsi l’étude du champ magnétique terrestre nous fournit-elle des images de la morphologie passée des couches profondes de notre planète et nous permet-elle de décrire la dynamique globale de l’intérieur de la terre, depuis cent millions d’années.

3) On peut espérer mieux comprendre la formation et l’évolution solaire en analysant des témoins de son passé, tels les comètes et les astéroïdes. En particulier la composition chimique de ces corps primitifs du système solaire est un élément essentiel pour reconstituer cette histoire. Les expériences spatiales permettent aujourd’hui de collecter in situ des informations sur le matériau cométaire ou astéroïdal. La sonde GIOTTO de l’agence spatiale européenne s’est approchée, en 1986, à moins de 600 km du noyau de la comète de Halley et l’expérience ROSETTA ambitionne de prélever une carotte de matériau cométaire. Le physicien sonde là l’état du système solaire il y a plusieurs milliards d’années.

Autre voie pour le physicien : jouer avec la propriété que possède l’information de se transmettre d’un point à l’autre de l’espace à une vitesse limitée. L’information électromagnétique (les ondes, la lumière), qui est la plus rapide, voyage à la vitesse de 300 000 km par seconde. Ainsi, la lumière quittant la surface du soleil ne parvient à la terre que huit minutes après son départ et il lui faudra encore cinq heures avant d’atteindre la surface de Pluton, la planète la plus excentrée du système solaire. De l’étoile la plus proche du soleil, Proxima du Centaure, nous recevons la lumière quatre années après qu’elle l’a quittée. De la galaxie voisine Andromède, nous recevons la lumière deux millions d’années après qu’elle l’a quittée… »

« Nous recevons l’information sur terre avec un délai d’autant plus grand que l’astre étudié est plus éloigné. L’observation des objets astronomiques de l’univers lointain nous permet en quelque sorte de remonter le temps, de passer le film à l’envers. A l’heure actuelle, les télescopes dont le physicien dispose lui permettent, par l’observation des quasars, de sonder l’état de l’univers jusqu’à une époque où celui-ci avait le cinquième de son âge actuel, soit à peu près trois milliards d’années.

Par ailleurs, l’expansion observée de l’espace cosmique, qui éloigne toutes les galaxies les unes des autres, implique que l’univers soit passé, il y a environ quinze milliards d’années, par un état très dense et très chaud identifié comme son origine et que les physiciens appellent le bigbang. A cette époque, le rayonnement électromagnétique était en équilibre avec la matière. Depuis, sous l’effet de l’expansion, l’univers s’est refroidi et dilué. Matière et rayonnement ont été découplés. La matière s’est condensée en galaxies, étoiles… Le rayonnement initial, lui, a continué à se refroidir. Il est détecté aujourd’hui, comme un fond diffus partout dans l’univers, à une température de – 270.27° Celsius (soit 2.73’ Kelvin). On l’appelle le rayonnement fossile et il est effectivement le témoin essentiel qui valide le modèle de big-bang que les astrophysiciens adoptent pour représenter le début de l’univers. Au-delà du big-bang, toute mémoire sur l’univers semble être effacée… Mais il reste une fabuleuse bande-mémoire de quinze milliards d’années à explorer. »

Revue Française de Yoga, N°11, « La mémoire. », janvier 1995, pp.57-60.

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