10 questions / 10 réponses à François Roux
Publié le 08 février 2004
Au carrefour de l’Inde traditionnelle et de l’Occident moderne, François Roux a trouvé sa place et son équilibre. Passeur contemporain, ce spécialiste de la communication parvient quoitdiennement, dasn ses cours, conférences et écrits, à transmettre les richesses du yoga. Alors même qu’il s’adresse à un public dont la culture est résolument différente.
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* Pourquoi et comment en êtes-vous venu à cette double activité: communiquer dans le monde actuel et enseigner la très ancienne culture du yoga?
FR: Les choses, en fait, se sont mises en place très naturellement, très simplement. J’ai eu la chance, au moment où je finissais mes études de Lettres et de Sciences Politiques, de rencontrer mon premier instructeur de yoga et, simultanément, d’être engagé comme concepteur-rédacteur free-lance par un cabinet de relations publiques. Cette double activité aurait pu être conflictuelle. Elle m’a montré, au contraire, la puissance régénératrice des complémentarités. La vie est bipolaire. Dès qu’on oublie un pôle, le courant ne passe plus. La splendeur du yoga, c’est précisément de nous permettre de « faire la jonction » entre tous les plans de notre être. De même que la communication nous aide à « faire passer le courant » entre les êtres.
* La communication est très liée au monde de la consommation, dans lequel nous vivons aujourd’hui: Alors que les techniques du yoga ont été élaborées, il a plusieurs millénaires, dans un tout autre contexte et avec une finalité bien différente.
FR: C’est tout à fait exact. Mais savez vous que les premières techniques de communication -crieurs, hérauts, enseignes, panneaux… – élaborées en Grèce et à Rome, sont quasiment contemporaines de la rédaction de la Bhagavad Gîtâ ou des Yogasûtra de Patanjali? Ce qui a changé, bien évidemment, c’est le contexte économique.
La communication moderne est la résultante de l’explosion industrielle du XIXè siècle. À partir du moment où l’on produit plus et plus vite, il faut vendre plus et plus vite et, par conséquent, informer plus de monde et ce, le plus rapidement possible. Ces aspects, à première vue, sont aux antipodes du yoga qui vise à ralentir notre rythme, afin de mieux nous recentrer et de retrouver notre autonomie.
Mais voyez comme les choses sont étrangement liées: car les polarités sont toujours à l’oeuvre dans nos vies. Sans les conséquences excessives du développement économique – vitesse, bruit, pollution, stress -aurions-nous été chercher en Inde les bienfaits du yoga et du ressourcement spirituel, alors même que ce pays fait, à son tour, le choix du développement matériel? Votre revue Yoga Magazine est bien, elle aussi, le résultat de l’interaction entre l’évolution récente de notre société et l’existence de cette millénaire sagesse du yoga. Shri Aurobindo, du reste, l’avait annoncé, il y a plus d’un demi-siècle, en ces termes:
« L’homme ne peut plus désormais supporter le développement gigantesque de la vie extérieure sans un changement intérieur ». Nous devons marcher sur nos deux jambes.
* Le yoga amène au silence. La communication conduit à faire un usage intensif des images, de la parole, des sons. Comment conciliez-vous ces deux aspects apparemment contradictoires?
FR: On peut tout aussi bien soutenir l’inverse! Alan Watts, qui fut un savoureux communicant spirituel des années soixante-dix, a fait cette pertinente remarque : « Être silencieux ne veut pas dire perdre sa langue. Bien au contraire. C’est uniquement dans le silence qu’on peut découvrir quelque chose de nouveau à dire ». […]
Au fond, le bon yoga et la bonne communication ont un point commun: ce sont des alchimies. Le but, c’est de parvenir à la quintessence du message. […]
FR: Une chose est certaine: la communication est innée en l’homme et elle lui est essentielle. Française Dolto, que j’ai eu le privilège de bien connaître, et qui, soit dit en passant, suivait de près l’évolution du yoga en France, a souligné quelque chose de très important, de très émouvant: « L’être humain est d’emblée un être de communication, dès sa vie foetal. La souffrance majeure de l’être humain, c’est de ne pas communiquer avec les autres. » A quoi fait écho, à l’autre extrémité de la vie, cette remarque de Chantal Catant, de l’Association Jalmav (jusqu’à la mort accompagner la vie) « On peut mourir révolté ou résigné, mais chacun a, jusqu’à son dernier souffle, un besoin de communication extraordinaire ». Mais il ne faut pas se tromper d’outil. Nous aurons beau inventer de nouvelles technologies encore plus perfectionnées, nous ne réglerons pas les problèmes si nous oublions notre outil premier et primordial : le corps. C’est là que le yoga peut jouer un rôle irremplaçable. Il y a plus de quatre millénaires, des hommes à la vision pénétrante – on les appelle en Inde les rishi, les voyants – ont élaboré et porté à la perfection un ensemble de techniques corporelles, psychiques et spirituelles uniques en leur genre. Leur objectif était clair : entrer en communication avec eux-mêmes, avec les autres et avec le mystère du cosmos. La célèbre phrase attribuée à Socrate – mais elle vient probablement de l’Inde via Pythagore – résume parfaitement cela : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux. » […]
Les carnets du yoga, n°225, octobre-novembre 2003, pp. 20-23. Article tiré de Yoga Magazine.