A propos du son et de la parole comme itinéraire vers l’unité
Publié le 08 février 2004
L’émission d’un son porté par l’expiration permet d’aller au bout de cette dernière. Cette exploitation maximale de l’expir est particulièrement bénéfique dans la pratique yoguique, où le souffle est essentiel : ainsi, associer posture et chant védique, mantra court ou bija mantra, si la posture elle-même est juste, est très positif.
Dans ses aspects pratiques, le yoga nous offre une série d’instruments permettant de trouver un équilibre dans notre vie physique, psychologique, mentale et de parvenir ainsi à l’Unité intérieure. Comme d’autres « voies spirituelles » où la psalmodie joue un rôle considérable pour éveiller le corps et l’âme à une dimension subtile, le yoga a magnifié l’outil phonique pour en faire une voie à part entière. Krishnamacharaya considérait cette voie du son comme la plus grande discipline (tapas), comme un moyen d’évolution fondamental et très efficace. […]
La pratique élaborée à partir de la vibration sonore peut prendre plusieurs formes:
– la mise en place de sons (voyelles, phonèmes – syllabes simples) pour accompagner l’expiration dans les postures
– l’utilisation de mantra courts (bija man-tra ou mantra védiques) pour soutenir l’expiration dans la pratique posturale
– la récitation d’un texte védique en posture assise.
Elle s’appuie sur certaines particularités du sanscrit:
– la richesse de son alphabet (50 phonèmes),
– une phonétique particulière qui distribue les consonnes d’après leur lieu d’émission dans le corps, partant du plus profond (gutturales) vers le plus extérieur (labiales),
– les correspondances établies par les textes entre les plans microcosmique et macrocosmique: les traditions shivaïte et tantrique considèrent l’univers tout entier comme issu du son primordial, chaque élément de cet univers étant représenté par une lettre ; de même, le corps humain est considéré comme un grand mantra contenant toutes les lettres de l’alphabet sanscrit,
– l’existence d’une énergie particulière inhérente à ces phonèmes, chaque phonème portant en lui une charge qui lui est propre, issue de la fragmentation du son primordial et déterminant des résonances avec certaines parties du corps ou certains plans de l’être.
Les sonorités particulières offertes par le sanscrit, de par la charge énergétique contenue dans les phonèmes et dans les associations de phonèmes, jouent un rôle déterminant dans les effets produits même si d’autres langues peuvent engendrer certains effets similaires (tous les sons utilisés dans ces pratiques ne sont pas exclusifs du sanscrit). […]
Rassurons les personnes inhibées par l’émission vocale : il ne s’agit pas d’une technique vocalement complexe, les mantra se chantent ou plutôt se psalmodient sur trois notes. La préparation posturale et respiratoire qui précède les exercices contribue à poser la voix: chanter faux n’a donc plus aucune raison d’être. Au contraire, bien des élèves dépassent leur appréhension et découvre le plaisir – voire même la joie – d’émettre ces sons.
Ces sons sont émis vocalement. Pour des personnes plus avancées, on prescrira quelquefois de les prononcer mentalement. Cette façon de faire permet alors de se concentrer sur un son ou sur un mantra aussi bien à l’expiration qu’à l’inspiration. L’effet sur la concentration est particulièrement intense. […]
L’expérience montre que l’emploi d’un son porté par l’expiration permet généralement d’allonger celle-ci, avec toutes les conséquences qui en découlent: effet sur la détente, le recentrage, l’intériorisation, la concentration. On remarque ainsi que les postures exécutées sur l’expiration, du fait de l’allongement du souffle et de la concentration qui accompagnent l’émission du son, ont tendance à être pratiquées plus à fond dans le sens où les résistances habituelles peuvent se résoudre plus aisément.
Dans certains mantra (notamment dans le chant védique), où chaque phrase se prononce sur un souffle, ces phrases s’enchaînent en s’allongeant progressivement : on retrouve ici la construction typique d’un prânâyâma, à visée éducative pour le souffle et déterminant tous les effets propres à l’allongement de l’expiration avec, en plus, les effets particuliers de la vibration sonore.
…Sous réserve d’appliquer une attitude juste.
L’émission d’un son, pour être correcte et efficace, nécessite une attitude corporelle précise: une bonne conscience de l’ancrage et de la verticalité du dos, une maîtrise du diaphragme, une excellente sangle abdominale et une bonne capacité à détendre le thorax, la gorge, le visage… Des exercices préliminaires au chant sont donc recommandés pour obtenir cette maîtrise. Réciproquement, la maîtrise de l’émission vocale permet de développer la conscience de l’ancrage, la qualité du dos, de la sangle abdominale et du souffle. A l’instar de la posture qui se construit sur la double règle de sthirasukha, le son se construit sur un ancrage, une solidité du dos et de l’abdomen, et sur une bonne qualité de détente. Cette notion est fondamentale, tout particulièrement dans la pratique en assise. […]
Des sons à manier avec précaution.
La manipulation de ces sons devra se faire avec beaucoup de précautions car la vibration sonore démultiplie généralement les effets d’une posture ou d’une respiration.
Un son dynamisant comme HRAIM associé à une posture d’ouverture peut rééquilibrer une personne sans énergie, mais peut aussi modifier un état d’être dans le sens d’un excès de rajas.
De plus, la façon de régler l’émission de ces sons/vibrations – les prononcer plus ou moins fort, plus au moins haut, plus ou moins vite – détermine des effets plus ou moins apaisants ou dynamisants. Il s’agit donc là d’un savoir faire assez subtil qui nécessite d’être guidé. Ces dernières remarques sont valables également pour le chant védique. […]
Les carnets du yoga, n°222, avril-mai 2003, pp. 16-22.