Avicenne et la médecine arabo-islamique
Publié le 23 septembre 2003
Etudier l’homme en médecine, c’est étudier l’expression de la Vie voulue par Dieu dans le monde matériel, selon Avicenne. L’univers entier est pour lui une théophanie, dominée par l’idée d’unification. Dans ce système, les soins du corps et ceux de l’âme sont forcément liés. Et le traitement d’une maladie est une tentative pour rééquilibrer les contraires.
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LA MEDECINE ARABO-ISLAMIQUE
La médecine qui s’ est développée dans les pays de culture islamique a été à la pointe du progrès de cette discipline durant de nombreux siècles. Comme on le verra plus loin, le décalage chronologique entre les découvertes des médecins arabe musulmans et les (re)découvertes occidentales est considérable: il n’est pas rare qu’il atteigne cinq à huit siècles. De ce fait, la médecine des pays de culture islamique a formé la base du savoir médical en Europe jusqu’aux découvertes de Pasteur.
Cette médecine nous l’appellerons par commodité médecine islamique, ou arabo-islamique, bien que nombre de médecins non-musulmans, chrétiens, juifs ou zoroastriens, y aient aussi apporté leur contribution et que beaucoup n’aient pas été de souche arabe, mais iranienne (notamment Râzî et Ibn Sînâ / Avicenne). Néanmoins tous exerçaient leur art dans une atmosphère marquée par les grands principes de l’islam (réflexions sur les fins dernières de toute science et prise en considération de l’homme dans sa dimension incarnée psychosomatique) et tous, quelle que soit leur langue maternelle, s’exprimaient en arabe, qui était le latin de Orient.
Nul ne dispute plus aux médecins arabo-musulmans nombre d’avancées majeures en médecine.
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LA VIE D’AVICENNE
Homme au savoir encyclopédique et à la puissance créatrice titanesque, Ibn Sînâ fut tout à la fois un éminent médecin, théoricien, clinicien et praticien, un philosophe, tenant de la « philosophie orientale », au rayonnement sans pareil, et un savant qui a illustré la chimie, la physique, l’astronomie et les mathématiques. Il est l’auteur d’une oeuvre monumentale […].
-lbn Sînâ a été le premier à décrire correctement l’anatomie de l’oeil humain, à exposer avec précision le système des ventricules et des valvules du coeur, à décrire, avec Râzî, avec précision la petite vérole et la rougeole, maladies que ne connaissaient pas las médecins de la Grèce antique.
– lbn Sînâ émit aussi l’hypothèse qu’il existait dans l’eau et dans l’atmosphère de minuscules organismes transmettant certaines maladies infectieuses, découverte confirmée au 18° siècle par le savant hollandais Antonie van Leeuwenhoek.
– Il effectua le diagnostic différentiel entre la médiastinite, la pleurésie, la pneumonie, l’abcès du foie et la péritonite, diagnostic d’une difficulté considérable avec les moyens de l’époque.
– Il fut le premier à différencier la méningite infectieuse des autres formes d’infections aiguës et à donner une description différentielle de la méningite cérébro-spinale et de la méningite secondaire.
– Ibn Sînâ est encore l’auteur d’autres procédés diagnostiques inédits. On sait que les médecins arabo-musulmans prenaient le pouls de leur patient avec infiniment de minutie. lbn Sînâ dénombra soixante variantes simples du pouls et trente complexes. Ces descriptions, dans le Canon, font penser au système chinois.
– Enfin, l’invention de la méthode de percussion, qui consiste à déceler des maladies internes au moyen de petits coups secs sur le corps, lui est due, bien qu’en Europe on l’attribue au médecin viennois Auenbrugger (1722-1802), qui n’a fait que la redécouvrir huit siècles plus tard.
– D’un point de vue thérapeutique, lbn Sînâ pratiquait la guérison des plaies sans suppuration. Alors qu’auparavant on entretenait et on provoquait au besoin la suppuration de la plaie, ce qui fait que le patient endurait de cuisantes douleurs des semaines ou même des mots durant, lbn Sînâ, tout au contraire, évitait toute excitation mécanique ou chimique superflue et prévenait la suppuration par l’application de compresses trempées dans du vieux vin rouge fortement alcoolisé. Ce procédé permettait des guérisons rapides en l’espace de quelques jours Sa valeur a été reconnue par la médecine officielle d’Europe en 1959.
– lbn Sînâ avait acquis la certitude de l’importance des aspects psychosomatiques dans la guérison du patient. C’est ainsi qu’il conseilla: « Nous devons considérer que l’un des meilleurs traitements, l’un des plus efficaces, consiste à accroître les forces mentales et psychiques du patient, à l’encourager à la lutte, â créer autour de lui une ambiance agréable, à lui faire écouter de la bonne musique, et à le mettre en contact avec des personnes qui lui plaisent » . De nombreuses anecdotes nous décrivent lbn Sînâ utilisant des procédés psychothérapiques avant l’heure. A une jeune femme qui avait le bras paralysé, il fit mine de déchirer le voile qu’elle portait sur le visage. Le choc causé par cette frayeur et la nécessité de se protéger de cet affront la débloquèrent et elle retrouva immédiatement l’usage de son bras. […]
-Dans un domaine plus mystérieux encore, Ibn Sima admettait la possibilité de la transmission de la pensée et la faculté pour le cerveau de déplacer des objets à distance.
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LE CANON DE LA MEDECINE
C’est au début de son ouvrage majeur le Canon de la médecine (Al-qânûn fi t-tibb) qu’lbn Sînâ définit ainsi la médecine . » La médecine est une science par laquelle on connaît les manières dont /e corps humain se comporte et évolue, du point de vue de ce qui est en bonne santé ou de ce qui altère sa santé, en vue de préserver intégralement la santé et de to restaurer, le cas échéant, lorsqu’elle est déficiente.’ (Canon, 1.1.1.1) (13). lbn Sînâ poursuit en insistant que la médecine est tout à la fois théorie et praxis, et non pas seulement théorie.Cette remarque constitue une rupture avec les conceptions Médicales héritées de la Grèce
LA PHILOSOPHIE DE LA MEDECINE DAVICENNE
Si la médecine est l’un des plus beaux fleurons de la science islamique, c’est qu’elle s’enracine dans une vision spécifique des rapports de l’homme et de l’univers, la vision islamique du monde.
D’après le Coran (2.30), Dieu a fait de l’homme son calife, c’est-à-dire son mandataire ou son gérant sur terre. Ni la nature, ni son propre corps ne lui appartiennent. Ils appartiennent à Dieu, et nous n’en sommes pour ainsi dire que les gestionnaires. […]
Le clé de voûte de la pensée islamique est l’idée d’Unification (tawhîd). Non seulement elle proclame inlassablement l’unité et l’unicité de Dieu, mais aussi celle de tout organisme vivant, par interdépendance des parties et du tout; unité de l’être vivant avec son milieu et l’ensemble du flux cosmique, unité de l’âme et du corps. La médecine arabo-islamique est donc psychosomatique par définition. On saisira mieux ainsi l’attention portée au climat, aux régimes alimentaires, à la manière de vivre et à l’environnement dans la préservation de la santé, et ceci d’autant plus que la religion islamique impose déjà à ses fidèles une certaine hygiène de vie: ressourcement quotidien en Dieu par la prière, qui est aussi une invitation à « déconnecter » par rapport à la pression du quotidien, ablutions quotidiennes, jeûnes réguliers, encouragement à l’expression de la sexualité, mais à l’intérieur de liens matrimoniaux licites.
L’homme est un microcosme en qui la création retourne à sa source. La médecine n’est donc pas une science en soi, isolée, elle n’est pour Avicenne que le dernier maillon dans le cycle de la cosmologie, qu’étudie la philosophie. La philosophie étudie en effet les diverses émanations par lesquelles Dieu a créé l’univers visible et invisible, avec l’homme dont la constitution résume pour ainsi dire le cosmos, puisqu’il contient en lui-même la nature des minéraux, des plantes et des animaux, mais aussi potentiellement la nature des Anges.
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Revue française de yoga, n°3, « De la santé au salut », janvier 1991, pp. 91-104.