Le Monde du Yoga

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Coeur et Sacré-coeur dans l’Occident catholique

Publié le 05 avril 2005

Le culte adressé au seul cœur de chair du Christ n’est qu’un retour quasi-inutile sur sa douleur passée qui ignore la véritable signification symbolique du cœur : Il est le lieu du divin en nous et le seul moyen que nous avons d’aimer Dieu, de nous ouvrir à lui, et donc de nous rapprocher de lui.

« Il est impossible de passer sous silence la dévotion au Coeur de Jésus – la dévotion au Sacré-Coeur – qui a été pendant plus de trois siècles l’une des plus importantes pratiques spirituelles de l’Eglise catholique. »

« Cette dévotion n’a-t-elle été qu’un élan sentimental destiné à ranimer la foi des fidèles dans les périodes difficiles qu’a traversées l’Eglise d’Occident depuis le XVIIe siècle? On peut l’envisager ainsi, mais c’est une vue très partielle, car cette dévotion a de réels fondements théologiques. »

I – QUELQUES RAPPELS HISTORIQUES

« Ces réflexions montrent à quel point le sens du symbole était presque complètement perdu dans l’Eglise catholique au début de notre siècle. »

II – QUAESTIONES DISPUTATAE

3 – Jésus-Christ est-il apparu en personne à sainte Marguerite-Marie?

« Le point sur lequel il faut insister, c’est que le Christ n’a plus, après sa résurrection, un corps humain au sens banal du mot. Son corps n’est même pas un corps subtil, c’est un corps glorieux ou corps pneumatique, que nous pouvons concevoir et non pas imaginer. Disons encore que, dans cette perspective, le corps n’est pas ce que l’on voit, mais ce par quoi on se fait voir. Ainsi, Jésus ressuscité a pu être pris pour le jardinier par Marie-Madeleine, et pour un simple voyageur par les pèlerins d’Emmaüs. Dès lors, un corps glorieux peut prendre toutes les apparences, parce que, hors de notre espace et hors de notre temps, il est, selon l’expression de René Guénon, « la réalisation de la possibilité permanente et immuable dont le corps [charnel] n’est que l’expression transitoire en mode manifesté ». Dans ces conditions, la question : Jésus descend-il en personne pour se faire voir du voyant ? ne semble plus devoir être posée. »

5 – Quel Coeur faut-il honorer?

« (…) le Christ n’a pas ou n’a plus un coeur de chair comme le nôtre dans son corps glorieux. On répond à cela que l’on honore le coeur de Jésus lorsqu’il était sur terre. Soit, mais cette chosification ou réification ex post du Coeur du Sauveur nous semble marquer un presque total oubli de la véritable signification du coeur. »

6 – Jésus-Christ souffre-t-il encore?

« Il est bien évident que le Christ glorieux ne souffre plus, mais le mystique et l’homme spirituel qui contemplent ou considèrent le Sacré-Coeur, ont tendance à reporter le passé dans le présent et à « visualiser » davantage l’humanité souffrante du Christ que son humanité glorieuse au ciel qui forcément nous échappe ; autrement dit, ils font comme si le Christ glorieux souffrait encore, ce qui peut exciter leur piété, mais aussi les entraîner dans certaines déviations. »

7 – Peut-on atténuer et réparer les injures et les souffrances infligées à l’humanité terrestre de Jésus?

« Dans l’Occident chrétien, seul l’Agneau de Dieu ôte le péché du monde c’est ce que déclare à ses disciples saint Jean Baptiste voyant Jésus venir vers lui (Jean I, 29). Dès lors, à quoi peuvent servir les dévotions et autres pratiques spirituelles? Elles font acquérir des mérites au pratiquant, mais elle n’ajoutent pas aux mérites du Christ et elles ne diminuent pas ses souffrances. La méditation et la contemplation des souffrances passées du Christ sont faites pour donner à la vie spirituelle une impulsion et une force nouvelles, ce qu’on désigne comme étant la grâce actuelle. Les mérites ainsi acquis sont une participation aux mérites du Christ et comme des « vertus dispositives » qui orientent favorablement le pratiquant vers une destinée posthume heureuse. »

III – LE REGNE INTELLECTUEL DU SACRE-CŒUR

1 – Les plaies du Christ

« Notons encore ici la correspondance entre le sexe et le coeur, puisque dès l’Ancien Testament, et a fortiori dans le Nouveau, il est dit clairement que la vraie circoncision est celle du coeur, par exemple « Vous circoncirez le prépuce de votre coeur et votre nuque, vous ne la raidirez plus » (Deut. X, 16), ou encore : « Dieu circoncira ton coeur et celui de ta descendance pour que tu aimes ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme, afin que tu vives » (ibid. XXX,6). Selon le commentaire, cela signifie : ôtez de votre coeur ce qui le ferme à la grâce divine et soyez dociles à la volonté divine. »

« Dans l’image initiale du Sacré-Coeur, celui-ci était représenté par un coeur entouré d’une couronne d’épines et surmonté d’une croix. Cela indique qu’il faut, selon une formule de l’hésychasme, « faire descendre l’esprit dans le coeur », c’est-à-dire soumettre la pensée discursive à l’intuition contemplative, comme nous le dirons plus loin, et aussi comprendre le symbolisme de la croix. »

2 – Le coeur lieu du divin

Si le coeur de l’homme est déjà le « temple de l’esprit de Dieu », selon saint Paul (I Cor. III, 16), que dire du coeur du Verbe incarné, autrement dit du Sacré-Coeur? S’il ne s’agit que d’éprouver des sentiments humains de douleur envers un coeur de chair qui a souffert autrefois, tout en oubliant ce que signifie la présence divine dans ce Coeur divin comme dans le coeur de l’homme, ne vide-t-on pas la dévotion au Sacre-Coeur de toute sa substance?

3 – Le coeur organe de la connaissance

« S’il est aisé de croire que le coeur est le lieu et l’organe de l’amour et des sentiments, il est plus difficile de faire admettre qu’il est un organe de connaissance, étant entendu qu’il ne s’agit pas du coeur de chair, mais du centre intellectuel et spirituel de l’être humain. Dans l’un des derniers articles qu’il a confiés à la revue Regnabit, René Guénon montre la correspondance entre le coeur et le soleil qui éclaire et réchauffe notre monde, et entre le cerveau et la lune qui reçoit sa lumière du soleil : « Ce qui est vrai pour le soleil et la lune l’est aussi pour le coeur et le cerveau, ou, pour mieux dire, pour les facultés auxquelles correspondent ces deux organes et qui sont symbolisées par eux, c’est-à-dire l’intelligence intuitive et l’intelligence discursive ou rationnelle. Le cerveau, en tant qu’organe ou instrument de cette dernière, ne joue véritablement qu’un rôle de
et, si l’on veut, de
, et ce n’est pas sans motif que le mot de est appliqué à la pensée rationnelle, par laquelle les choses ne sont vues que comme dans un miroir, quasi per speculum, comme dit saint Paul » (1 Cor. XIII, 12).

Et plus loin, il ajoute : « Il suffit de réfléchir un instant pour comprendre qu’un principe, au vrai sens de ce mot, par là même qu’il ne peut se tirer ou se déduire d’autre chose, ne peut être saisi qu’immédiatement, donc intuitivement, et ne saurait être l’objet d’une connaissance discursive comme celle qui caractérise la raison (…) »

4 – Le Sacré-Coeur c’est notre coeur

« Pourquoi, en effet, faut-il honorer le divin Coeur, souffrir avec lui ou pour lui, etc. selon les ingénieuses pratiques de la dévotion, sinon dans l’espoir que notre coeur sera tôt ou tard divinisé, en ce monde ou dans l’autre ? »

« Le sens ultime de cette dévotion est que notre coeur renferme le germe divin ou « germe avatârique » qui doit s’épanouir et s’identifier mystiquement à la divinité. »

« (Maître Eckhart) nous transmet une vision du coeur de Dieu selon la voie de connaissance (jñânayoga), alors que la voyante de Paray-le-Monial nous la transmet selon la voie d’amour et de dévotion (bhakti-yoga), mais y a-t-il entre eux une différence fondamentale?

CONCLUSION

On répète à satiété la phrase d’André Malraux disant que le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. Certes, mais nous avons bien du mal à concevoir et à imaginer ce que sera la religion au siècle suivant. Ne parlant que de la dévotion au Sacré-Coeur, il est certain qu’elle ne subsistera que si son vrai sens, à la fois mystique et ésotérique, est mis en lumière par ceux qui voudront s’en faire les apôtres.

Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.129-145.

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