De la difficulté d’être disciple
Publié le 23 septembre 2003
La possessivité ne peut caractériser une vraie relation de maître à disciple : l’attachement de l’un à l’autre, fruit d’une confiance mutuelle, n’est certainement pas exclusif. Si c’est bien le maître qui décide de prendre quelqu’un pour disciple, ce dernier est toujours en mesure de refuser ou de rompre la relation.
« La vraie question…
Il est fréquent d’entendre exprimer, de nos jours, parmi les pratiquants en Yoga, la difficulté, ou mieux encore l’impossibilité, de trouver un « maître véritable » avec lequel entreprendre un travail sérieux ici en Occident. D’autres, quant à eux, réfutent même l’idée de la nécessité de la présence d’un maître « extérieur ». Certains encore papillonnent auprès de plusieurs instructeurs selon leurs convenances personnelles, sans remise en question fondamentale, et aboutissent ainsi à l’élaboration d’un amalgame qui leur est tout à fait spécifique.
Ces diverses restrictions vis-à-vis de la notion même de transmission, clef de voûte essentielle de toute Tradition, ne semblent que prétextes à dissimuler des comportements tels que:
– une totale justification à se maintenir dans sa situation actuelle
– la peur de se livrer, ou d’être trompé
-l’orgueil de vouloir cheminer sans aide aucune, et ainsi de tout acquérir par soi-même, soulignant alors avec force la peur de toutes remises en question véritables
– ou encore cette forme de racisme qui consiste à différencier constamment l’Occident de l’Orient,
Ce ne sont en fait que de multiples facettes du comporte-ment « égocentrique » auquel l’homme est confronté et contre lequel il aura, dans son rôle de disciple, à lutter avec énergie. Ainsi la seule question sensée qui devrait se poser à celui qui désire entreprendre une transformation complète de lui-même en suivant un enseignement traditionnel, quel qu’il soit, est la suivante « Suis-je capable d’être un disciple? »
Tout en cherchant à y répondre avec sincérité et avec humilité, le futur disciple se délivrera en grande partie de l’aliénation subie par ses angoisses, ses inquiétudes et son orgueil. Alors seulement il sera à même de percevoir la présence du guide spirituel, le guru.
Cette question essentielle le conduira à envisager quelle est sa véritable capacité à accepter le rôle du maître, vis-à-vis duquel une attitude de confiance absolue, de service et de dévotion sera la base même de la relation, et de fournir sans relâche des efforts intenses et nécessaires pour progresser sur cette voie de transformation où aucun retour à la condition précédente ne peut plus être envisagé.
Qu’est-ce que le maître ?…
La compréhension du rôle de l’instructeur en tant que porteur et relais de la tradition est fondamentale. Ce dernier a acquis, par le travail et l’expérience, un degré de maîtrise suffisant pour lui permettre de saisir partiellement ou totalement la Réalité ou Principe transcendant. Cette maîtrise accomplie fera de lui un « maître ». Il sera alors maître de lui–même, mais ne pourra jamais en aucune façon être maître d’autrui.
Une erreur de pensée entraîne habituellement le disciple à concevoir la notion de « maître » sous un angle très possessif: esprit de possession du disciple envers l’instructeur quand il parle de « mon maitre », ou quand il se projette en prêtant à l’instructeur une possessivité vis-à-vis de « ses disciple ». Une plus juste compréhension de cette relation devrait être exprimée par les propos suivants « le maître qui m’enseigne », ou « l’enseignement que je reçois auprès de ce maître » ou « auprès de celui qui possède la maîtrise ».
Le guru est celui qui, ayant atteint la maîtrise, pourra éclairer les points qui seront restés obscurs au disciple, il « écartera les ténèbres » dans son âme et sera pour lui le guide approprié sur le sentier rempli d’ embolies qui conduit à la Réalisation.
[…]
Les qualités du disciple…
A celui qui veut être disciple, il conviendra d’ avoir ou de développer les qualités indispensables à tout chercheur qui veut s’engager sur la Voie, avant que le maître n’accepte d’instaurer entre eux le lien qui les unira. Ces qualités sont au nombre de quatre:
– le désir ardent de parvenir à la Réalisation
– un discernement sans défaut
– un courage et une discipline de fer
– un esprit d’initiative.
Le « désir ardent d’y parvenir », ou d’atteindre le but qui correspond à la réalisation de soi, représente le moteur essentiel à toute progression. […]
Un « discernement sans défaut » l’amènera ultimement à différencier cette Réalité permanente et immanente de tout ce qui est lié au temps et à la forme. L’engagement dans une voie d’évolution est le résultat d’une certaine prise de conscience. Cette prise de conscience est, quant à elle, le fruit d’une remise en question fondamentale des valeurs établies. N’acceptant plus les points de vue dans lesquels il s’est installé et a été conditionné, le futur disciple s’engage sur un chemin sans retour possible. Il ne lui sera plus permis en effet de retrouver ce confort apparent qu’il goûtait avant cette profonde remise en cause. Plus il progressera sur la voie, plus il aura l’obligation d’aller de l’avant. Outre la vigilance du maître qui appréciera dès le départ si les qualités nécessaires sont bien présentes en lui pour lui éviter de s’engager dans une entreprise insurmontable, le disciple va à chaque instant devoir faire des choix judicieux, développant ainsi sa faculté réelle de libre arbitre. L’obstacle principal à éveiller sa véritable nature consiste en ce processus quasi-permanent d’auto-justification qui maintient l’homme dans l’idée d’une perception totalement fausse de lui-même, pure satisfaction de sa nature orgueilleuse, et lui donne l’impression d’être déjà devenu ce qu’il n’est point […].
« Courage et discipline de fer » soulignent la nécessité pour le disciple de laisser s’épanouir les vraies valeurs du coeur, et d’oeuvrer toujours dans le sens de leur pleine expression. La conscience se libère ainsi de tous les freins et obstacles qui limitaient sa possibilité de manifestation. La discipline qui permet d’opérer cette nouvelle naissance exige de la part du disciple une attention permanente et des efforts intenses et durables qu’il est tenu de conserver jusqu’à l’obtention du but. La persévérance, l’opiniâtreté, la fermeté, l’ardeur et l’enthousiasme seront des qualités importantes pour ne pas dire indispensables au succès de son entreprise.
Quant à « l’esprit d’initiative », il est le résultat de l’intelligence, de la créativité et du savoir faire que le disciple emploiera pour éviter et surmonter les difficultés avec lesquelles il sera aux prises.
[…] ”
Revue Française de Yoga, n°1, « De maître à disciple », janvier 1990, pp. 155-162.