Dhâranâ
Publié le 10 août 2005
Samskâra désigne la purification de l’esprit grâce au prânâyâma, c’est-à-dire à la régularisation du souffle. Dhâranâ insufle ensuite une direction au mental par l’intermédiaire d’un objet ; c’est la dernière étape avant d’atteindre dhyâna, la méditation profonde.
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PREPARER L’ESPRIT
Mon père, Sri T. Krishnamacharya, compare les pratiques préliminaires telles qu’âsana, prânâyâma et le régime alimentaire au nettoyage d’un récipient. Tout comme le récipient utilisé pour cuire le riz a besoin d’être nettoyé avant qu’il puisse resservir à la cuisson, notre esprit a besoin d’être purifié. Il appelle ce procédé samskâra.
Samskâra est l’action par laquelle un instrument est rendu utilisable pour un usage futur. Si, pour cuisiner une préparation à base de lait, on utilise, sans le nettoyer, le récipient dans lequel ont cuit des oignons, l’entremet sera imprégné de l’odeur de l’oignon, et dans la pire des éventualités, gâché. Il en va de même du mental ; en lui s’impriment tous les souvenirs, et il est soumis aux conséquences d’actions tournées vers l’extérieur. Lorsqu’il doit être dirigé vers quelque chose de profond, les pratiques qui l’en détachent doivent être évitées.
Tout l’objectif du sâdhanâ pâda des Yoga Sûtra de Patanjali consiste à identifier et à réduire ces obstacles à dhâranâ. Le prânâyâma est le moyen essentiel pour cela. Cette méthode qui consiste à régulariser consciemment le souffle est si importante que le prânâyâma est l’étape préliminaire obligatoire de tout rituel hindou.
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DETERMINER LA BONNE DIRECTION POUR DHÂRANÂ
Il ne suffit pas de nettoyer le récipient. Un récipient propre ne joue aucun rôle par lui-même. Il n’est pas sage non plus d’essayer de regarder sans remplir le récipient avec quelque chose à cuire. De la même façon, disposer d’un mental libre de distractions n’est qu’un début, mais un début significatif. Le mental doit alors être orienté. Et ce processus par lequel on donne une direction au mental se nomme dhâranâ.
Cela implique de choisir un desha, un objet sur lequel l’esprit puisse s’appuyer. L’objet lui-même ne doit pas être une source de distractions. On ne s’éloigne pas du serpent pour se jeter dans la gueule du loup ! Le desha doit être shubha, c’est-à-dire bienfaisant pour la personne. Il devrait aussi être abhimata, acceptable par la personne. Si je n’ai aucun intérêt pour une déité, aussi grande soit-elle, elle ne peut pas être abhimata. Même si c’est un objet que j’aime mais qui me crée des difficultés au cours du temps, il cesse d’être shubha.
Une fois que ce choix a été fait, l’accès à dhyâna représente tout simplement l’étape suivante. Ainsi dhâranâ mène à dhyâna. Cependant, si dans dhâranâ le choix est possible, dans dhyâna il ne l’est plus. Dhâranâ représenterait le moment où l’on choisit de prendre un billet d’avion pour telle direction. Dans dhyâna, le voyage a commencé. C’est pourquoi il est très important d’avoir un bon guide dans le choix de desha.
Il faut également ajouter que desha ou l’objet choisi dans dhyâna influence la personne. Il n’est pas exagéré de dire que « la personne agira bientôt comme le desha sous l’effet de dhyâna ». En fait, samãdhi, la dernière étape du yoga, est celle où la personne « devient » l’objet lui-même.
En tant que tel, dhâranâ n’est pas un procédé dépourvu de toute activité mentale. Ce processus n’est pas non plus possible sans qu’une direction soit fixée. Il faut donc reconsidérer l’opinion qui estime que dhyâna ou la méditation – qui est la conséquence de dhâranâ – est caractérisée par l’élimination des activités du mental.
Patanjali introduit également une autre pratique mentale appelée samyama dans laquelle la personne décide de centrer son esprit sur un sujet bien particulier et demeure avec lui jusqu’au bout. Ici, la première étape est dhâranâ. Cette pratique fait non seulement de la personne le maître du sujet choisi, mais elle lui permet aussi d’atteindre certains pouvoirs extraordinaires connus sous le nom de vibhûti. Le troisième chapitre des Yoga Sûtra s’appelle ainsi vibhûti pâda. Savoir si de tels pouvoirs sont à rechercher est une autre question. Patanjali lui-même admet qu’ils peuvent se manifester mais qu’on ne doit pas les rechercher. Avec le temps, ils deviennent cause de souffrance.
Un autre usage intéressant du terme dhâranâ figure dans la Katha Upanishad. Le yoga y est défini comme « sthiram indriya dhâranâm » : la capacité de réfréner les sens en présence de stimuli très forts. La notion est proche de ce que Patanjali appelle pratyâhâra. Cependant, si l’esprit n’est pas relié à quelque chose de profond et n’y reste pas lié malgré les provocations, pratyâhâra ne peut exister.
Le Yoga Yajnavalkya, un texte ancien sur le yoga, traite de dhâranâ dans le huitième chapitre. Le Maître y divise le corps en cinq parties représentant les cinq bhûta. En orientant l’esprit sur ces cinq parties, on produit différents effets, dont la réduction de certaines maladies. Les techniques comprennent la visualisation de certaines déités, la récitation et la méditation sur des syllabes qui représentent les cinq éléments. L’orientation de l’esprit se fait à travers des techniques respiratoires particulières comme viloma krama prânâyâma.
Pour conclure, on peut dire que dhâranâ est l’étape la plus importante pouvant conduire à dhyâna, le but principal du yoga. Le succès ou l’échec de l’antaranga yoga en dépend.
Revue française de Yoga, n° 9, « Dhâranâ », janvier 1994, pp. 9-12