Le Monde du Yoga

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« Etre des artisans de vie grâce au corps que nous avons et au corps que nous sommes »

par Jean Marchal | Publié le 02 août 2005

L’intelligence discursive développée par l’âme qui regarde vers le monde matériel occulte bien souvent l’intelligence contemplative qui se tourne vers le domaine de l’esprit. Remédier à ce déséquilibre suppose que le corps se mette au service de l’esprit.

L’ESPRIT

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Dans son étroite relation avec le corps et l’esprit, l’âme peut être comparée à un miroir à deux faces : la face supérieure reflétant le monde de l’esprit par sa capacité d’intelligence contemplative suprarationnelle fonctionnant dans la pure vision, la face inférieure reflétant le monde matériel et le corps psychique qu’elle révèle et explore par la faculté d’intelligence rationnelle logique dépendant du langage pour étudier et expliquer tout ce qui relève du monde visible. De ces deux formes d’intelligence, contemplative et discursive, nous n’usons ordinairement que de la seconde, l’intelligence discursive, mise au service d’une curiosité sans limite des fonctionnements du monde matériel. Hypertrophiée de façon monstrueuse en Occident depuis la Renaissance, elle a étouffé la première, l’intelligence contemplative, que nous n’exerçons plus qu’en de rares et furtives occasions privilégiées. La première dépend de la tête, la seconde du « coeur ». Le réveil et le développement de cette part de l’âme ouverte à l’esprit passe par l’éveil de notre intelligence contemplative féminine endormie en nos profondeurs comme la Belle au bois dormant en son château et attendant le prince charmant qui l’éveillera d’un baiser à la Lumière.

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LE CORPS AU SERVICE DE L’ESPRIT

Il n’y a pas de vie de l’esprit qui ne s’appuie sur le corps, instrument privilégié pour qui s’engage dans une voie de redécouverte de l’esprit, quelle qu’elle soit : religieuse ou non.

Il y a tout un travail à effectuer sur les dynamismes pulsionnels par lesquels le corps exprime ses besoins. Ce travail doit permettre que la satisfaction des pulsions élémentaires ne soit pas un obstacle mais devienne un moyen de favoriser la réintégration des dynamismes spirituels dans la conduite de nos vies.

Parmi les pulsions dont la satisfaction est nécessaire pour que se développe après la naissance la conscience d’un ego, cinq sont particulièrement importantes. À l’âge adulte, si une conscience individuelle équilibrée a pu se former durant l’enfance et l’adolescence, il est possible de se servir volontairement de ces dynamismes pulsionnels pour élargir cette « conscience ego » afin d’y laisser de plus en plus de place à l’esprit.

Les deux pulsions majeures qui vont manifester leurs exigences tout au long de notre existence sont la pulsion orale, qui nous pousse à nourrir notre corps dès la naissance, et la pulsion sexuelle, apparue plus tard. Également très impérieuse, celle d’appropriation et de défense de notre « territoire » au service de la revendication de toute puissance de l’ego. Enfin, omniprésentes à l’état de veille, les pulsions à bouger et à parler s’hypertrophient souvent en bougeotte et en parlotte.

Chacune de ces pulsions, contrôlée consciemment, peut être un levier efficace dans nos efforts pour découvrir et développer la présence de l’esprit en nous, et ceci de deux façons : soit par la suspension provisoire de leur satisfaction à certains moments, soit par un effort méthodique et permanent pour maintenir leurs exigences dans des limites raisonnables.

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De ces techniques traditionnelles, la plus connue est le yoga, l’un des grands systèmes philosophiques de l’Inde. Il développe un ensemble de méthodes psychophysiques visant à conduire son adepte à l’unification somato-psycho-spirituelle à partir de la dissociation qui caractérise de plus en plus l’homme moderne : sa forme la plus connue est le hatha-yoga qui vise à obtenir une maîtrise progressive des fonctions physiologiques et du fonctionnement mental, clefs d’une sérénité et d’une paix intérieure. Ainsi le corps devient-il l’instrument essentiel de cette unification des différentes composantes de l’être humain.

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Cette maîtrise repose sur l’investissement du centre d’énergie subtile (le « ki » chinois) que les Japonais appellent « hara » et qu’ils situent dans le bas-ventre ; véritable centre vital par lequel la personne est en relation directe avec l’énergie de la grande vie animant tout le cosmos : « Au fait de s’ancrer peu à peu dans une base plus profonde et plus large correspond un changement de la personne elle-même. Cela s’exprime alors de plus en plus par une nouvelle façon de voir et d’accepter le monde et de supporter les souffrances, bref par une nouvelle façon de vivre. Relié à son centre vital, l’homme y trouve enfin le support nourricier qui lui permettra de poursuivre son évolution, support dont la force jaillit de la plénitude de l’être : le hara ouvre l’accès à l’être. » Ces quelques lignes sont extraites de l’ouvrage de K. von Durkheim, Hara, qui a révélé après la dernière guerre la réalité du hara à l’Occident. « Le hara, c’est encore une façon d’être là qui relie à ce que les Japonais et les Chinois appellent ki. C’est une force universelle à laquelle nous participons tous, dont nous ne savons rationnellement rien, mais qu’il faut apprendre à connaître, à sentir, à utiliser. Le hara, c’est une façon d’être là qui vous met en contact avec le ki. » (L’Esprit guide de K. von Durkheim)

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LES DEUX FAÇONS DE VIVRE SON CORPS: « LE CORPS QUE

L’ON A » ET « LE CORPS QUE L’ON EST »

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La célèbre image du discobole grec (Vle siècle avant J.-C.) est l’expression même du « corps qu’on a ». Aimanté vers un but et une performance (lancer le disque le plus loin possible) dans une attitude déséquilibrée et tendue, il symbolise à la perfection la« conscience flèche » qui anime le corps qu’on a, toujours projetée vers le but à atteindre et jamais dans l’instant présent.

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En opposition à l’image du discobole, l’image du Bouddha en méditation répandue dans tout l’Extrême-Orient symbolise parfaitement le sens du « corps qu’on est ». Assis fermement en posture de lotus, centré sur le hara, il n’exprime que le total lâcher-prise à toute préoccupation et à toute anxiété dans une « conscience coupe » qui est réceptivité de l’âme ouverte à l’esprit. Cette ouverture s’appuie sur le corps ainsi réintégré dans sa véritable finalité: servir de nid à l’âme pour permettre son éclosion en la lumière de l’esprit.

Revue Française de Yoga, n° 29, « De la Relation corps-esprit », janvier 2004, pp 299-314

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