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Freud et l’interprétation des rêves

Publié le 20 décembre 2003

Condensation, déplacement, figurabilité et élaboration secondaire : tels sont les éléments qui caractérisent le rêve selon Freud. Ensemble, ils permettent l’expression onirique des aspirations instinctives refoulées. Mais cette expression est imparfaite, il faut savoir identifier le contenu latent du rêve derrière son contenu apparent.

« […]
Quelles évidences scientifiques rendent donc possibles aux yeux de Freud non seulement la justification de l’interprétation, mais aussi la certitude d’aboutir à une interprétation du rêve qui soit la bonne? Freud les a regroupées sous le nom de « déformation dans le rêve » et de « travail du rêve ». Et cet aspect de sa recherche sur le rêve est d’autant plus important que c’est grâce à lui qu’il a pu établir l’existence d’un désir inconscient, puis d’un inconscient. Et « tout ce qui intéresse non pas seulement les sciences humaines, mais le destin de l’homme, la politique, la métaphysique, la littérature, les arts, la publicité, la propagande, par là, je n’en doute pas, l’économie, en a été affecte ».

Il est à noter que ce n’est pas Freud qui postule l’intérêt du rêve pour la connaissance du psychisme. C’est sa pratique de psychanalyste qui l’amène à constater que ses premiers patients, dans le dialogue qu’il établit avec eux après avoir abandonné l’hypnose, se mettent, spontanément, à lui raconter leurs rêves. Il s’aperçoit que prendre pour point de départ de l’association libre leurs images isolées permet d’avoir accès à « un ensemble de pensées qui ne pouvait plus être appelé absurde ou confus, qui correspondait à un acte psychique de valeur entière, et dont le rêve manifeste n’était qu’une traduction déformée, écourtée et mal comprise, le plus souvent une traduction en images visuelle ».

Surprise alors de constater que « le rêve est bâti comme un symptôme » (objet des préoccupations thérapeutiques de Freud jusqu’alors) et que « son explication exige les mêmes hypothèses: celle du refoulement des aspirations instinctives, celle des formations de substitution et de compromis, celle des divers systèmes psychiques situant le conscient et l’inconscient ». Et pourtant, « le rêve n’était plus un symptôme morbide mais un phénomène de la vie psychique normale, pouvant se produire chez tout homme bien portant » – ce qui n’est pas le moindre paradoxe de la découverte freudienne, car il ne semble pas qu’il y ait de différence entre le rêve du névrosé et celui de l’homme « normal » – et qu’en est-il alors de l’insertion du rêve dans l’ensemble du processus thérapeutique? « Dans l’analyse du rêve », répond Lacan, « Freud n’entend pas nous donner autre chose que les lois de l’inconscient dans leur extension la plus générale ». Le rêve apparaît donc, dans l’élaboration de la théorie freudienne, à la fois comme un accident et comme un prétexte, mais « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique ».

C’est donc à cet « ensemble de pensées (…) dont le rêve manifeste n’était qu’une traduction déformée » que Freud a donné le nom de contenu latent, et c’est le chemin qui conduit de ce contenu « latent », formé des pensées qui sont à l’origine du rêve, au contenu « manifeste » que Freud a nommé le « travail du rêve ».
[…]

A la fin du chapitre VI de l’interprétation des rêves (p. 431 Freud écrit: « Le travail psychique dans la formation du rêve se divise en deux opérations: la production des pensées du rêve, leur transformation en contenu du rêve »,
Freud distingue quatre mécanismes dans cette transformation la condensation (Verdichtung), le déplacement (Verschiehung), la considération pour la figurabilité (Rücksicht auf Darstellbarkeit) – que Lacan traduit de manière plus imagée « égard aux moyens de la mise en scène » – et l’élaboration secondaire (sekundäre Bearbeitung), parfois nommée « considérations d’intelligibilité ».

La condensation exprime une compression d’éléments appartenant au « matériel des pensées du rêve ». « Il n’est pas possible de se faire d’emblée une idée de l’étendue de cette condensation, mais elle s’impose d’autant plus que l’on a pénétré plus profondément dans l’analyse du rêve. Alors on ne trouve pas un élément du contenu du rêve dont les fils associatifs ne partiraient dans deux directions ou davantage, pas une situation qui ne soit faite d’un assemblage de deux impressions ou de deux expériences, ou davantage » (Sur le rêve, p. 74). Les différents composants doivent avoir un élément commun, c’est pourquoi Lacan les a rapprochés de la métaphore. Métaphore que l’on peut définir comme la substitution d’un signifiant à un autre signifiant, mais à condition de bien comprendre, ce que précise Lacan, que « l’étincelle créatrice de la métaphore ne jaillit pas de la mise en présence de deux images, c’est-à-dire de deux signifiants également actualisés. Elle jaillit entre deux signifiants dont l’un s’est substitué à l’autre en prenant sa place dans la chaîne signifiante, le signifiant occulté restant présent « de sa connexion (métonymique) au reste de la chaîne » (op. cit., p. 60). « Quand de tels éléments communs n’existent pas parmi les pensées du rêve, le travail du rêve s’efforce d’en créer pour permettre une figuration commune dans le rêve. Le chemin le plus commode pour rapprocher deux pensées du rêve qui n’ont rien de commun consiste à changer l’expression linguistique de l’une: par là, l’autre vient plus ou moins à sa rencontre dans une autre expression, grâce à une refonte appropriée » (Sur le rêve, pp. 76-77). De là l’explication du « jeu de mots », qui sert de fil conducteur à l’analyse de certains rêves (et déjà à l’oeuvre dans l’interprétation deductive de l’Antiquité). Le processus de condensation permet d’expliquer la surdétermination du rêve (le fait qu’à un élément du rêve correspondent, par associations, plusieurs pensées), et par là sa surinterprétation, c’est-à-dire qu’une interprétation n’est jamais unique, qu’elle n’est qu’une proposition, un choix qui peut être le « choix du moment », en attendant par exemple l’accès à des strates plus profondes de l’inconscient. Intéressant donc pour mieux comprendre les limites d’une interprétation dite scientifique.

Le processus de déplacement, quant à lui, « s’exprime de deux manières: en premier lieu, un élément latent est remplacé, non par un de ses propres éléments constitutifs, mais par quelque chose de plus éloigné, donc par une allusion; en deuxième lieu, l’accent psychique est transféré d’un élément important sur un autre, peu important, de sorte que le rêve reçoit un autre sens et apparaît étrange ». La définition du déplacement apparaissait ainsi en 1900: « On est ainsi conduit à penser que, dans le travail du rêve, se manifeste un pouvoir psychique qui, d’une part, dépouille des éléments de haute valeur psychique de leur intensité, et, d’autre part, grâce à la surdétermination, donne une valeur plus grande à des éléments de moindre importance, de sorte que ceux-ci peuvent pénétrer dans le rêve. On peut dès lors comprendre la différence entre le texte du contenu du rêve et celui de ses pensées: il y a eu, lors de la formation du rêve, transfert et déplacement des intensités psychiques des différents éléments. Ce processus est la partie essentielle du travail du rêve. Il peut être appelé processus de déplacement. Le déplacement et la condensation sont les deux grandes opérations auxquelles nous devons essentiellement la forme de nos rêves » (interprétation des rêves pp. 265-266). Tous deux caractérisent le processus primaire, où l’énergie psychique s’écoule librement et circule sans entraves selon leurs lois (selon le principe de plaisir). Lacan a rapproché le déplacement de la métonymie, figure qui souligne la connexion d’un signifiant à un autre signifiant. Le déplacement agit donc linéairement, selon un axe syntagmatique, quand le processus de condensation agit, lui, par substitution, selon un axe paradigmatique.
[…] ”

Revue Française de Yoga, n°17, « Rêver », janvier 1998, pp. 93-124.

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