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Histoires de coeur

Publié le 29 mars 2005

Le cœur est le principe de vie et de bonté chez les dieux grecs; il révèle la nature de l’âme de chaque homme chez les Egyptiens, et il concentre en lui l’intelligence, la psyché et la vie intérieure pour de nombreux penseurs méditerranéens ainsi que pour les Indiens d’Amérique. L’Occident actuel ne lui accorde pas une si grande importance…

Il en est de douces, avec déclarations d’amour-toujours, lunes de miel et places (deux) au soleil. Il en est de sordides, avec querelles, cris sans chuchotements, et beaucoup, beaucoup d’enfants. Il en est d’aussi belles que des contes de fées et puis, il en est de drôles, où l’on sourit à coeur-joie, tant il est vrai que l’humour a les mêmes pudeurs que l’amour. Pour preuves, ces quelques histoires de coeur qui sont aussi des histoires du coeur…

DRAME DE LA JALOUSIE DANS L’OLYMPE

Un innocent enfant a été victime d’une odieuse machination, dirigée en fait contre son père, Zeus, l’un des magnats du pouvoir. Le jeune Dyonisos a été attiré dans un piège par une bande de voyous, connue depuis longtemps des forces de l’ordre, sous le nom des « Titans ». Ces ignobles individus ont offert au naïf enfant toute une panoplie de jouets, toupies, balles de laine, pommes de pin, fruits d’or, avant de le dépecer sauvagement pour le faire cuire dans un chaudron.

Heureusement, le pauvre enfant martyr a pu être sauvé grâce à l’intervention de sa demi-soeur Athéna, jeune fille intelligente et déterminée, et de Zeus, son père. La jeune et jolie Athéna a pu récupérer le coeur de l’enfant pendant que le père, désespéré, mais lucide, confiait les petits membres à son fils Apollon.

Horrifiée par le crime de ses frères, Rhéa, soeur des Titans, a sauvé l’honneur de la famille, en assemblant les pièces dispersées et en redonnant vie à l’enfant.

Sur place, notre correspondant nous faisait remarquer combien le destin semblait s’acharner sur le coeur de ce malheureux enfant, puisqu’au moment de sa conception déjà, les Titans, ces êtres sans coeur, s’étaient également acharnés sur son frère Zaegrus, mutilé et assassiné dans les mêmes conditions. Zeus, en avalant le coeur encore tout palpitant de Zaegrus, avait pu le régénérer et engendrer ainsi Dyonisos.

On ne peut encore se prononcer sur la santé du petit Dyonisos. Celui-ci a en effet été très choqué et semble très perturbé par sa dernière mésaventure. Les psychiatres craignent pour sa santé mentale.

LE COEUR ET LA PLUME

Tu ne monteras plus sur terre pour voir les soleils. Tu es mort. Laisse là ton corps, entouré de bandelettes, pour ne partir qu’avec ton coeur. Tout à l’heure, ton fils aîné a ouvert ta bouche pour que ton souffle te soit restitué. Moi Anubis, je te rends ton coeur.

Lève-toi et sors de l’oeuf dans le pays caché. Ne te retourne pas. Serre ton coeur contre toi. Il est précieux et tu en auras besoin dans l’Occident ténébreux où tu pars. Mais il est trop tard pour l’alléger avant la pesée. Déjà Osiris attend, la dévorante aussi : elle fait claquer sa gueule de crocodile, secoue sa crinière et se croit gracieuse à esquisser des pas de danse sur ses pattes d’hippopotame. C’est elle qui mangera ton coeur s’il est trop lourd.

As-tu préparé ta confession pour tes juges ? N’oublie pas, à Osiris d’abord, aux quarante-deux assesseurs ensuite

une dénégation pour chacun. Par exemple : « O juge untel, je n’ai pas été sourd aux paroles de vérité. O juge untel, je n’ai pas commis d’injustice ».

Que tiens-tu dans ton autre main ? Un scarabée de pierre ? Tu peux le laisser là, sur ta momie, à l’emplacement du coeur. Mais souviens-toi de ce qui y est écrit : « Mon coeur n’a point trouvé de remède si ce n’est dans le temple d’Amon-Ra. »

Tu peux avoir confiance en moi. Je suis Anubis, le dieu chacal, « celui à qui est la bandelette », c’est moi qui introduis les morts dans l’autre monde et veille sur les tombes. Entre. Donne-moi ton coeur.

Tu vois, je le dépose là, dans le plateau de la balance. Dans l’autre, je pose une plume, une plume légère et douce comme les aime Maât. Connais-tu Maât ? Tu l’as peut-être sentie, là-haut, sous le soleil, un de ces rares jours où tout était équilibre, toi et les autres, toi avec toi. Sans doute n’as-

tu pas eu le temps de la voir, elle est si discrète. C’est une gracieuse petite personne, vive et légère : elle porte sur sa tête la plume d’autruche qui écrit son nom. Parfois, c’est elle que j’asseois là, dans ce plateau, à la place de cette plume. Elle ne pèse rien, rien que la Vérité. Si je te déclare « maâty », c’est que ton coeur lui est conforme et fidèle et que Thot peut t’inscrire sur sa tablette.

Tu as peur ? Tu n’as rien à craindre de Thot. Il est juste et claque du bec juste quand il le faut. Seulement, il se prend un peu trop au sérieux, comme tous les scribes, surtout depuis qu’il s’est mis en tête de faire de la magie, tout ça parce qu’il est le maître de la parole efficace ! En fait, ce grand paperassier n’est qu’un grand coeur (1). N’est-il pas le coeur de Rê?

Prends garde à l’oeil d’Horus. Rien ne lui échappe et il ne tolère aucune ombre. Désombre-toi, dégrise-toi. Vite. Ici et maintenant. Comme lui, fais la lumière en toi, sur toi.

La balance n’a pas bougé. Comme Osiris, tu as vaincu l’épreuve et triomphé de la mort. Puisses-tu, comme lui, mériter le nom d »Ounennéfer », d’être perpétuellement bon. Ton coeur est le coeur de Rê, et toi, tu es, tu vis.

MOTS DE COEUR

Longtemps, les médecins et les philosophes se sont disputés à son sujet. Ainsi, l’antiquité grecque consacre-t-elle nombre de colloques et séminaires à résoudre cette grave question : Où est donc situé le principe raisonnable que Platon appelle le « logisticon  » ? Dans le cerveau, affirme-t-il. Et, avec lui, Hippocrate et Démocrite. Entre les sourcils, conteste Straton. Mais non, vous n’y connaissez rien, dans le thorax entier, clament Parménide et Epicure.

Empédocle, Aristote et les Stoïciens, eux, le situent dans le coeur, comme Homère, dont les héros pensent avec le coeur ; comme Lucrèce, sept siècles plus tard, dans le « de natura rerum ».

De toute façon, tout autour du bassin méditerranéen, les sages antiques s’accordent à voir dans le coeur le centre tout à la fois de l’intelligence, de la psyché, et de la vie intérieure. Pour signifier qu’il a réfléchi, l’Ecclésiaste dit qu’il « a donné son coeur », et le Copte reprend la même image que l’Hébreu. Mais cette pensée du coeur s’exerce pour acquérir le discernement et la sagesse, comme il est dit dans les Proverbes : « Le coeur de l’homme médite la voie, c’est-à-dire la conduite qu’il suivra. »

Pour l’Indien d’Amérique du Sud aussi, le coeur est, à l’évidence, le siège de la pensée. Ainsi, un Indien Pueblo dit-il un jour à Jung:

– « Les Américains sont fous! – Pourquoi?

– Ils prétendent penser dans la tête! – N’est-ce pas le cas?

– Vous n’y songez pas, voyons, on pense dans le coeur.

Même évidence pour d’autres Indiens d’Amérique du Sud. Si Jung avait pu compulser la méthode Assimil pour l’apprentissage du Wuitoto, langue d’une tribu indienne du Sud de la Colombie, il aurait vu que le mot coeur désigne, en plus de la poitrine, la mémoire et la pensée. Quant au dictionnaire Tucano-caraïbe, il montre des équivalences troublantes, puisque la traduction du mot âme renvoie au mot coeur, chez les Caraïbes du Vénézuela et des Guyanes, comme chez les Tucanos du Bassin de l’Amazone.

Mais le coeur n’est entendu que par celui qui, tel l’apôtre Jean, digne du secret divin, y place son oreille. Peut-être y trouvera-t-il Tout. Peut-être n’y trouvera-t-il Rien, ce Rien si précieux et si lucidement exploré par un autre Jean, Saint Jean de la Croix. Comme dans la Madone de Port Lligat, dessinée par Dali, traversée par l’espace à la place du coeur…

Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.97-100.

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