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Initiation et transmission initiatique

par Jean Borella | Publié le 16 septembre 2003

L’initiation n’est pas le don soudain et éternel de pouvoirs supérieurs qui rendraient facile la vie de l’initié. Ce n’est pas la transformation de l’homme en un être surhumain. C’est avant tout une aide spirituelle censée soutenir l’initié dans sa quête, à un moment où le degré d’avancement qui lui était accessible sans grâce particulière a déjà été atteint, ou presque.

« Par son étymologie latine (initium), le mot « initiation désigne une entrée, un commencement ou une ouverture, alors que le mot grec correspondant (teleîn) indique plutôt un accomplissement et une perfection. En Occident, l’initiation relève des religions grecques à mystères et le Christianisme naissant a repris ce terme pour désigner les principaux sacrements. Le mot a été utilisé également par les organisations dites « initiatiques « , comme le compagnonnage et la franc-maçonnerie, et il a trouvé récemment un nouveau champ d’application avec l’arrivée des doctrines et des rituels orientaux. La question de l’initiation a été étudiée dans son ensemble avec une grande rigueur par René Guénon, et l’on ne peul en parler correctement aujourd’hui sans se référer à ce qu’il en a écrit, même si l’on ne partage pas toutes ses conclusions.
[…]

1 – La nature de l’initiation:

Ecartons d’abord une conception exotérique ou quasi magique de l’initiation, conception selon laquelle l’initie recevrait un surcroît de pouvoir ou de conscience grâce auquel il pourrait réaliser immédiatement des choses auxquelles il n’aurait pu arriver seul auparavant- Ecartons également l’initiation telle que l’entendent les sociologues et les anthropologues qui étudient les rites de passage encore en usage dans certaine, populations que la civilisation occidentale n’a pas touchées.

Du point de vue ésotérique, l’initiation, selon son étymologie (in-iter) est un rite qui « fait entrer », à la fois dans l’intériorité subjective et dans la réalité objective ou, en utilisant le vocabulaire sanskrit, un rite qui permet d’entreprendre le pèlerinage vers le soi (âtman) et vers le suprême Brahman, les deux buts n’en faisant en réalité qu’un seul car, en paraphrasant saint Augustin, « le plus intime de moi-même correspond au plus élevé en moi « .

En elle-même, l’initiation est une force spirituelle et une grâce venue du Ciel, ou de Dieu, ou d’une divinité: c’est une grâce d’ouverture qui nous permet, après un cheminement plus ou moins long, d’accéder au Ciel, de contempler Dieu on de réaliser la divinité choisie. L’initiation repose sur la certitude que le divin est en nous, mais d’une façon cachée, que le Brahman habite réellement la caverne du coeur, selon la Chândogya Upanishad (VIII. 1,1), ou encore que l’embryon de Bouddha (Tathâgata-garbha) s’épanouira en la Nature de Bouddha qui est notre vraie nature. L’initiation donne une nouvelle conscience, un nouveau regard et un nouveau sens spirituel c’est l’Ephpheta de l’Evangile (Marc, VIl, 34) par lequel le sourd–muet retrouve la parole et l’ouie spirituelles.

Noua n’aborderons pas ici la question du rituel par lequel l’initiation est transmise. Le rituel initiatique est plus ou moins long et plus ou moins compliqué – le maitre spirituel d’une confrérie soufie (tariqah) peut « agréger  » le nouveau disciple par quelques phrases, alors qu’un rituel tibétain peut durer plusieurs heures ou même plusieurs jours.

L’essentiel est que le rite transmis depuis l’origine de la lignée initiatique soit respecté: il convient de préciser cela surtout à une époque où le respect de la forme et du rite ne semble plus guère compris par nos contemporains.

2 – Les résultats de l’initiation

Lorsque le nouvel initié sort de la cérémonie initiatique, il n’obtient pas immédiatement les résultats que l’initiation reçue lui propose d’atteindre: il lui faudra un certain temps de cheminement et des efforts répétés pour que de virtuelle qu’elle était, l’initiation devienne effective. Il n’en reste pas moins que la véritable initiation est l’initiation virtuelle: la porte a été ouverte, mais l’initié peut ne pas y entrer, ou ne réaliser que partiellement les fruits de l’initiation. Celle-ci peut d’ailleurs comporter des degrés différents ou des « grades » qui ne seront conférés qu’à ceux qui auront atteint le niveau requis pour les recevoir.

On peut se demander légitimement ce que devient l’initié après la mort. D’une façon générale, l’initiation ne vise pas seulement la vie présente car son influence est censée s’étendre aux états posthumes. Disons plus clairement que l’initiation vise généralement à « fermer la porte des états inférieurs « , c’est-à-dire l’enfer, et à faciliter l’accès aux états supérieurs de l’être, autrement dit à procurer la « libération par degrés » (krama-mukti), les autres formes de libération, dans la vie ou à la mort, étant extrêmement rares. On ne peut rien dire de l’initié qui a volontairement négligé les engagements de l’initiation ou qui a même renié cette initiation, soit par sa conduite, soit par ses idées. L’exemple à méditer est celui de l’invité des noces, qui a certes été invité et qui est entré dans la salle du banquet, mais qui a négligé de revêtir la robe nuptiale: il est jeté les pieds et les mains liés dans les ténèbres extérieures, ce qui signifie les états inférieurs de l’être dont on ne peut pas sortir par sa propre volonté (Mat XXII,1-14).

3 – L’état de l’initié

L’initié sait qu’il a été initié, et il en prend conscience chaque fois que se produit en lui une connaissance plus profonde du réel. Un certain éveil lui permet de découvrir une nouvelle profondeur de sa pratique ainsi qu’une nouvelle compréhension des Ecritures et des textes liturgiques : il a conscience que cette profondeur n’est que la réalisation de ce qu’il a reçu. L’initiation est alors pour lui un trésor dans lequel il peut puiser, bien que ce trésor reste impénétrable. Mais ce n’est pas toujours le cas, et il faut la foi, car rien n’est tout a fait évident: être dans la voie initiatique, c’est d’abord pratiquer la voie, qu’on en ressente les effets ou non, car on ne peut pas surveiller sa propre croissance spirituelle. Il faut un certain sommeil du « je » pour que le Soi s’éveille, et il convient de rappeler ici la parabole du grain qui pousse tout seul sans qu’on y mette la main (Marc IV, 26).

Les gens de l’extérieur ne savent généralement pas qui est initié, ni à quel degré de développement spirituel l’initié est parvenu. Seul un maître doué du discernement des esprits peut apprécier l’état de ses disciples ou de ses visiteurs; mais les maîtres authentiques n’ont pas tous ce discernement.

4 – L’exemple de l’initiation chrétienne

L’initiation est généralement secrète, ou tout au moins confidentielle. Il en fut ainsi dans le primitive Eglise où s’imposait la loi de l’arcane en raison des persécutions. Aujourd’hui tout se passe en public et les divers traités de théologie décrivent en détail le rituel et le résultat de l’initiation chrétienne qui comporte les trois sacrements de baptême, de confirmation et d’eucharistie.

[…] »

Revue Française de Yoga, n°1, « De maître à disciple », janvier 1990, pp. 137-144.

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