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La Mândûkya Upanisad et son interprétation de l’expérience onirique

Publié le 02 octobre 2003

La Mandukya Upanishad a fait l’objet de différentes interprétations, dont la plus connue est celle de Gaudapada, la Gaudapadiya-Karika. C’est d’ailleurs bien cet auteur qui a insisté sur le fait que la notion de conscience sous-tendait tout le texte, précisant que les « 4 états » renvoyaient nécessairement à cette notion.

« La Mândûkya-Upanisad est un texte aussi bref que dense qui est souvent considéré -probablement à tort – comme l’une des plus récentes parmi les « anciennes » Upanisad. Sa célébrité est due au fait qu’on y trouve une description de ce qu’on appelle couramment les « quatre états de conscience »: les états de veille, de rêve ou de sommeil léger (svapna), de sommeil profond (susupti) et de « l’au-delà » du sommeil profond. La théorie de ces quatre « états de conscience » jouera un rôle capital dans l’histoire ultérieure de la pensée indienne, notamment du Vedânta. Toutefois, le ou les auteurs de la Mândûkya n’ont pas inventé leurs affirmations de toutes pièces. Il convient en effet de souligner la présence de spéculations semblables concernant les différents « états de conscience » dans d’autres Upanisad, notamment dans la très ancienne Brhadâranyaka-Upanisad. Les auteurs de la Mândukya n’ont fait que systématiser et compléter des intuitions qui, à l’époque, étaient un peu dans l’air.

L’interprétation de notre traité s’inspire en général d’un texte qui est toujours attaché à l’Upanisad: les quatre chapitres de « vers doctrinaux » (karika) appelés Gaudapâdîya-Kârikâ, du nom d’un certain Gaudapâda. On ne sait pratiquement rien de cet homme qui est considéré comme le maître de Govinda qui, lui, aurait été le maitre de Shankara (vers 750 ?). Des divergences d’approche, de vocabulaire et de pensée suggèrent que ces quatre chapitres ne sont peut-être pas l’oeuvre d’un seul homme. Gaudapâda n’était peut-être que l’auteur de l’un d’eux, ou bien c’est lui qui a pris l’initiative de les collectionner, de les ranger et de les ajouter à I’Upanisad.

Quoiqu’il en soit de l’origine des kârikâ, c’est ce texte qui a accrédité la théorie selon laquelle la notion de « conscience » serait la clef de la Mândûkya-Upanisad et que les quatre « états » qu’elle définit renverraient à quatre « états de conscience ». Les kârika développent en effet au gré des quatre chapitres des idées de plus en plus bouddhisantes qui aboutissent dans la dernière partie à l’affirmation que le monde n’existe pas en réalité. Shankara a suivi cette ligne de lecture. Il estime que seul le « quatrième état », celui de la Conscience absolue et ineffable, est réel, alors que les autres états n’en sont que des modifications provisoires ou apparentes, dues en partie à une mystérieuse « nescience », avidyâ, c’est-à-dire à l’impossibilité – qui apparaît comme un échec inexplicable – d’en rester à la Conscience absolue. Par conséquent, les états de veille, de rêve et de sommeil profond devraient être annulés, dépassés les uns après les autres afin d’en arriver à l’état de la Conscience pure. La raison d’être des états altérés consisterait uniquement à conduire le chercheur à la réalisation de la Conscience absolue, libératrice de l’illusion du monde.

Comme pour les autres Upanisad « classiques », l’interprétation de Shankara s’entoure du halo d’une prétendue « orthodoxie » à laquelle la plupart des exégètes récents se sentent obligés de se soumettre, oubliant qu’en Inde même les présupposés de Shankara ne sont nullement partagés par tous les interprètes, les « déviants » étant probablement plus proches du sens véritable des Upanisad. Les exégètes non shankariens rejettent en particulier la théorie d’une inexplicable nescience qui provoquerait l’apparition d’un monde illusoire. Pour eux, le monde est réel, comme sont réels les différents niveaux de sa manifestation. Rappelons dans ce contexte que pour les anciennes Upanisad le monde est ou bien l’émanation d’un « Etant » (sat) primordial, ou une transformation de celui-ci. Jamais il n’est qualifié d’illusion.

Nous nous proposons d’étudier notre texte en faisant abstraction des interprétations suggérées par les chapitres 2-4 des Gaudapâdîya-Kârikâ et reprises par Shankara et ses partisans. En nous appuyant sur une traduction du texte sanskrit qui serre l’original d’aussi près que possible, nous nous efforcerons de proposer une analyse qui tentera de ne pas s’éloigner du sens obvie.

TRADUCTION

I. 0M Cette syllabe est le tout. Voici l’explication de cette affirmation: le passé, le présent et l’avenir, 0M est tout cela. Et tout ce qui existe encore, au-delà des trois temps, est certainement 0M.

2. Le tout est brahman. Cet âtman est brahman. Cet âtman a quatre Quarts.

3. Etabli dans l’état de veille, connaissant le monde extérieur, ayant sept membres et dix–neuf bouches et jouissant des choses grossières c’est vaisvânara (« appartenant à tous les humains »), le premier Quart.

4. Etabli dans l’état de rêve (svapna), connaissant le monde intérieur, ayant sept membres et dix-neuf bouches, jouissant des choses subtiles c’est taijasa (« lumineux »), le deuxième Quart.

5. Là où, endormi, on ne connaît plus ni désir ni rêve, c’est le sommeil profond (susupti). Etabli dans le sommeil profond, unifié, une seule masse de connaissance, fait de félicité (ananda), jouissant de félicité, ayant la conscience pour bouche c’est prâjna (« Connaissance transcendante »), le troisième Quart.

6. Celui-ci est le Seigneur de tout, celui-ci est l’Omniscient, celui-ci est le Contrôleur intérieur, celui-ci est la Matrice de tout, l’Origine et la Disparition des choses qui viennent à être.

7. Ne connaissant ni les choses intérieures ni les choses extérieures, ni les choses relevant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, n’étant ni connaissance transcendante, ni dépourvu de connaissance transcendante, invisible, non manipulable, insaisissable, sans signe distinctif, inconcevable, indéfinissable, essence du concept de l’âtman unique, évanouissement du monde, apaisé, pur bien-être, sans second c’est caturtha (le « quatrième » – on dira aussi turya ou turîya). Voilà âtman, voilà la Connaissance ultime qu’il faut être.

8. Cet âtman est 0M composé de ses phonèmes/lettres (aksara), composé de ses parties. Les Quarts sont ses parties, les parties sont ses Quarts les phonèmes/lettres A, U, M.

9. Etabli dans l’état de veille, vaisvânara est le phonème/lettre A. C’est la première partie, à cause de l’obtention (âpti) et parce qu’elle est le début (âdi). Celui qui sait cela obtient tous ses désirs (kâma) et il devient le premier.

10- Etabli dans l’état de rêve, taijasa est le phonème/lettre U. C’est la deuxième partie, à cause de l’élévation (utkarsa) et à cause de la double appartenance (ubhayatva). Celui qui sait cela élève une connaissance durable et il devient l’égal de tous. Jamais ne naîtra dans sa lignée un homme ne connaissant pas brahman.

Il. Etabli dans le sommeil profond, prâjna est le phonème/lettre M- C’est la troisième partie, à cause de la mesure (miti) et à cause de la résorption (apîti). Celui qui sait cela mesure toutes choses et il en devient la résorption.

12. Caturtha, le quatrième, est dépourvu de parties; il est non manipulable, évanouissement du monde, pur bien-être, sans second. Ainsi, 0M est âtman. Celui qui sait cela entre, par âtman, dans âtman.

[…] ”

Revue Française de Yoga, n°17, « Rêver », janvier 1998, pp. 39-50.

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