La naissance revisitée
Publié le 03 octobre 2003
La naissance est un traumatisme, puisqu’elle nous arrache du sein maternel. C’est un choc salutaire, puisqu’il prédispose l’enfant à devenir adulte, à s’émanciper de ses parents. Mais un tel choc peut aussi être source de troubles graves, s’il a été mal vécu, si l’enfant à son arrivée au monde ne s’est pas senti désiré, reconnu et aimé.
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Qu’est-ce qu’une naissance? L’arrivée dans ce monde de sa plus merveilleuse création, celle d’un « petit homme »; et comment l’a-t-on ritualisée pendant des générations? Avec une claque, en le prenant par les pieds comme un lapin, sous prétexte de le faire respirer. Il est vrai qu’on craignait qu’il ne meure, ce qui n’est presque plus le cas. Mais si vous sortiez, pantelant, de la plus terrible tempête, affolé de bruits, d’oxygène et de lumière, vous apprécieriez mal d’être mesuré et pesé, toutes affaires cessantes, plutôt que réchauffé, caressé, et remis au moins dans l’odeur de ce ventre d’où vous venez d’être irrémédiablement éjecté. Il faut croire qu’il s’agit que soit distancié, par un regard médical et technique, le message brûlant du regard de l’enfant nouveau-né, si profondément chargé d’éternité. Je m’en voudrais d’oublier ici de rendre hommage en passant aux progrès de cette médicalisation qui a considérablement réduit le pourcentage des morts à la naissance, et des mortes en couches. Mais toute peur, toute violence n’en ont pas été réduites pour autant. Si la Mort ne rôde presque plus, trop de choses se jouent encore au moment d’une naissance.
Je voudrais évoquer ici une autre sage-femme, et je le fais avec un grand respect car elle m’a beaucoup fait réfléchir. Nous étions au troisième jour d’un séminaire de dynamique de groupe. Cette jeune femme au regard très dur était seule à ne pas s’être encore exprimée, ce qui donna à ses brusques paroles un saisissant relief: « Je sais pourquoi je fais ce métier pour entendre ma mère hurler tous les jours ».
Il y a là peut-être un condensé des problèmes que posent nos répétitions inconscientes. Cette femme avait un sérieux compte à régler avec sa mère. Nous avons tous des comptes à demander à nos parents. Mais elle se servait d’autres enfants pour régler les siens, et ce sont d’autres femmes que sa mère qui en recevaient la charge. Tous autant que nous sommes, ne déplaçons-nous pas, sur d’autres que nos parents, nos griefs refoulés? Ne nous servons-nous pas d’autres enfants que nous-mêmes, les nôtres par exemple, pour que les questions se perpétuent sans trouver de réponse?
Le travail psychanalytique cherche précisément à obtenir que les comptes se règlent avec l’analyste. Et, depuis Freud, l’avancée s’est poursuivie en-deçà de l’Oedipe. Nous savons que Françoise Dolto s’est beaucoup occupée de tout-petits. Winnicott a poursuivi la recherche de Mélanie Klein et de l’Ecole anglaise sur les nourrissons. Le travail de Michael Balint a rejoint celui de Ferenczi qu’on a fini par sortir de l’ostracisme où l’avait maintenu les critiques de Freud. On sait maintenant que le bébé est une personne. Mais est-ce suffisant?
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Qu’est-ce-que le Rebirth? Je renvoie au livre « Renaître » de Dominique Levadoux-Feuillette, qui introduit le Rebirth en France en 1977, ainsi qu’au travail qu’avec plusieurs analystes nous avons publié sous le nom collectif de Jallan, « Psychanalyse et Dynamique du Souffle ». Le Rebirth est une méthode thérapeutique qui utilise le fonctionnement respiratoire comme vecteur d’exploration. Il est délicat de parler – et notamment à l’intention de pratiquants du Yoga qui font, avec le souffle, un travail ô combien subtil – d’une méthode où la respiration va être utilisée de façon en quelque sorte empirique, volontairement empirique. Je cite: « Le rebirth propose une exploration de nos possibilités respiratoires. Celles-ci se sont trouvées enrayées pour une grande part par les chocs de notre histoire affective, d’autant plus que la respiration a, de tous temps, eu partie liée avec l’émotionnel. La méthode permet de rencontrer ces blocages respiratoires et souvent les souvenirs qui y sont associés (souvenirs de sensations, d’images, d’émotions, d’évènements, etc.)
C’est ainsi que s’est trouvé heureusement associé pour nous, au travail de la parole, celui du souffle. Il est dit quelque part que « le Souffle et la Parole sont les deux mains de Dieu » et nous avons, en toute modestie, été amenés à toucher de près les patients que nous emmenons dans cette expérience régressive.
Que se passe-t-il au juste pour que le patient retrouve ainsi, souvent, une grande intensité d’affects refoulés? Le processus garde une grande part de mystère, ce qui ne nous paraît pas dangereux; la prétention de savoir ce qui se passe pour l’autre, et comment, l’est à nos yeux davantage. Je fournirai néanmoins deux hypothèses en réponse à la question. La première a une prétention scientifique: sur le plan physiologique, l’hyperventilation provoque, paradoxalement, du fait d’une vasoconstriction capillaire cérébrale, une carence en oxygène au niveau du cerveau et, en conséquence, une baisse de la fonction intégrative, amenant la levée de certaines barrières et un état modifié de conscience. La seconde est plus poétique et nous parle peut-être mieux: nous avons tous fait l’expérience qu’il suffit d’une chansonnette ou d’un parfum, l’un et l’autre portés par le souffle, pour qu’une émotion lointaine nous bouleverse à nouveau dans l’instant. Nous ne nous inquiétons pas de savoir comment s’y prend le souffle pour nous surprendre ainsi. C’est ce qui se passe en rebirth: les cellules ont une mémoire, les scientifiques le savent maintenant, et en soufflant sur les braises, le feu se rallume.
La théorie analytique a particulièrement bien montré comment le refoulement coupe nos représentations de l’affect qui y était associé. Nous voulons bien nous rappeler, intellectuellement, les événements lourds de notre histoire – et encore pas tous – mais nous en avons détaché la charge affective. Le souffle, en rebirth, les associe de nouveau. Dans quel but me direz-vous? Le refoulement en effet serait le meilleur et le plus économique des échappatoires, si les symptômes et la maladie – et parfois sur plusieurs générations – ne venaient pas exprimer ce dont se souviennent les cellules et que nous voulons taire.
Une jeune femme qui a subi l’inceste durant une longue partie de son enfance et qui pouvait en parler calmement, me bouleversait après son travail de rebirth où elle recontactait des émotions dramatiques, parce qu’elle concluait « alors, c’était vrai ». Cruelle reviviscence qui a fini par la libérer de terribles douleurs; elle avait pu crier et dénoncer le crime son corps n’avait plus à en témoigner.
Comme nous le disions, et cet exemple le montre bien, nous voyons que l’expérience du rebirth ne fait pas retour sur le seul trauma de la naissance, mais que celui-ci est inaugural, comme est alors inaugurale notre rencontre avec le souffle. Même si nous nous gardons bien d’induire quoi que ce soit, nous observons comment c’est en réalité l’origine que cherche le patient; et à travers le puzzle de ses résistances et des chocs retrouvés, c’est la place exacte qu’on lui a faite sur la terre qu’il prétend cerner pour donner à sa vie, le plus librement possible, un sens adapté.
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Revue Française de Yoga, n°13, « Passages, seuils, mutations », janvier 1996, pp. 181-198.