La non séparation corps/esprit selon le Coran
Publié le 13 mai 2004
L’unité, et partant, la grande cohérence, perceptible à travers la lecture du Coran est là afin de guider l’homme sur le chemin du retour vers l’origine, dans l’unité de Dieu. Le rassemblement auprès du Dieu créateur surviendra dans « l’autre vie », et concernera non pas les seules âmes, mais l’homme intégral, dans l’unité de son corps et de son esprit.
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UNE CONCEPTION UNITAIRE DE LA REVELATION
Notre première illustration de la non séparation corps/esprit selon le Coran se fondera sur la spécificité du texte coranique comme révélation dans la langue, en l’occurrence l’arabe. A la différence de la Bible et de l’Évangile, le Coran proclame de façon itérative qu’il est révélation en langue arabe. Cette insistance même fait partie de la révélation et apparaît comme une clé herméneutique. Rappelons au passage que pour les nomades la langue tient rôle de patrie : c’est-à-dire à la fois de référence identitaire et de lieu de mémoire. Le nomade ne laisse pas de trace dans l’histoire ni archives, ni monuments ; seule la langue entretenue en son usage vivant actualise sans cesse ce bien commun identitaire à travers l’échange de la conversation comme à travers la tradition orale et les grands poèmes transmis de génération en génération. La révélation monothéiste ne s’adresse pas, par le Coran, à un peuple défini par une ethnie ou par une terre, mais à un peuple identifié par sa langue. À ce premier constat d’ordre socio-historique vient s’ajouter le fait que le Coran se présente lui-même comme une révélation dictée en sa forme même. Très concrètement, il est dit au Prophète de répéter après l’Ange les paroles qui lui sont récitées en en respectant la psalmodie et le rythme, sans chercher à anticiper (C 75, 16; 20, 114). Dans le Coran, le mot est donc inséparable du signifié révélé en tant que révélé. Dans cette perspective, Dieu lui-même, en sa Toute Puissance et sa Toute Sagesse, a choisi les mots et les formules de son message. Et c’est pour cette raison que l’islam ne tolère pour son culte et sa prière nulle traduction du Coran et que les musulmans du monde entier, quelle que soit leur langue, doivent prier en arabe.
En effet, le fait de traduire sépare le contenu conceptuel de son expression langagière et, en privilégiant l’universalité abstraite du concept, estompe la richesse vivante (et non abstraite) de la langue. Le Coran, pour sa part, affirme leur inséparabilité à un double titre: celui de la tradition orale à travers la langue arabe et celui de l’usage transcendant de cette langue, choisie par Dieu pour transmettre son message.
On pourrait aller jusqu’à dire que, dans le cas du Coran, plus qu’un instrument, la langue constitue un élément intégrant essentiel de la révélation. C’est dans ce sens là que J. Berque, parlant du Coran, use du terme d’« inverbation », à la façon dont les chrétiens parlent à propos de Jésus d’« incarnation ». Les termes d’inverbation et d’incarnation demandent à être entendus ici au sens fort et non comme de simple métaphores.
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LA CREATION DIVINE EST BONNE
Si l’on ne trouve pas, dans le Coran, de faute originelle qui aurait retenti sur la création entière, en aurait brisé l’harmonie première et renforcé les antagonismes, c’est tout d’abord pour la raison que l’ action de la créature ne saurait prévaloir sur celle du Créateur et compromettre Sa création, et encore moins affecter Dieu en lui-même.
Il s’ensuit que malgré les fautes, erreurs et errements de l’homme sur terre, la création reste foncièrement bonne.Le Coran va même jusqu’à mettre en garde ceux qui seraient portés à jeter quelque suspicion et discrédit sur la création de Dieu et il invite l’homme à en profiter, à en jouir, selon la mesure inscrite ou prescrite par son Auteur, dans la reconnaissance de Son signe et en Lui rendant grâce. Le Coran préconise une forme d’ingénuité confiante de l’homme à l’égard de la nature.
«Vous qui croyez, ne déclarez pas illicites les excellentes choses que Dieu vous octroie […]
mangez ce que Dieu vous attribue de licite et de bon […] » (C 5, 87-88.)
L’une des missions des envoyés successifs n’est d’ailleurs pas de décréter de nouveaux interdits, mais au contraire de supprimer ceux que l’homme aurait institué de sa propre initiative (voir C 3, 50; 7, 157).
À la différence notamment du christianisme, aucune ombre n’est portée sur la sexualité qui est bonne et encouragée. À propos des nuits du mois de ramadan, il est dit aux croyants: «Désirez (il s’agit du désir sexuel) à la mesure que Dieu vous assigne ; mangez et buvez jusqu’à l’aurore !» (C 2, 187.)
Le Coran n’envisag pas, ni au titre de la nature de l’homme, ni en conséquence du péché, un antagonisme au sein de la personne entre le corps et l’esprit, tel que le décrit saint Paul dans ses épîtres : «Car la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair. Il y a entre eux antagonisme, si bien que vous ne faites pas ce que vous voulez […]. Or on sait bien tout ce que produit la chair: fornication, impureté, débauche, idolâtrie… »,(Gal 5,17-19 ; voir aussi Rm 7,5-24; 8,3-13 ; Eph 2,3 ; Col 2,11-13)
Pas davantage ne rencontre-t-on dans le Coran d’opposition entre nature et surnature, naturel et surnaturel. La création de Dieu est une en sa multiplicité. Il est vrai que Dieu y est envisagé comme Créateur et que ce qu’Il est en Lui-même relève du mystère gardé. Dieu, selon le Coran, n’offre pas explicitement à l’homme de participer à son mystère personnel par le don de la grâce. Certains versets, comme nous allons le voir, laissent néanmoins pressentir pour les élus, dans l’au-delà, une vraie réciprocité dans l’agrément divin. » […]
Revue Française de Yoga, n°29, « De la relation corps-esprit », janvier 2004, pp.83-96