La prière du coeur selon la tradition des pères du désert.
Publié le 05 avril 2005
Les pères du désert sont à l’origine d’une «méthode» pour accéder à la contemplation, qui est une base commune aux Chrétiens, Juifs, Bouddhistes et Musulmans : Ouvrir son cœur à l’expérience mystique par la détente, la focalisation et la respiration, qui permettent de se questionner soi-même, de se responsabiliser et de se détacher de ses vices naturels.
L’ENSEIGNEMENT DES PERES DU DESERT
« Le titre de Pères du désert, élargi à tous les moines ayant vécu dans le désert du Moyen-Orient, même aux Il cénobites », n’était à l’origine réservé qu’à certains « anachorètes ». Une coupure totale avec leur vie antérieure (famille, amis, communauté religieuse, ce qui les privait du secours de leur évêque) et le retrait dans le grand désert pour y mener une vie solitaire en face à face avec eux-mêmes les différenciaient des « frères » qui, dans le désert également mais aux confins de la cité, menaient une existence de prière consacrée à leur Maître Divin tout en gardant des liens avec le monde. Ils y exercaient une paternité spéciale qui leur valait d’être appelés « abba » (père).
Comme le premier d’entre eux, Antoine, il s’agissait souvent de laïcs (Antoine était même illettré). Leur enseignement n’est pas, contrairement à l’idée répandue, une apologie de la souffrance et de la privation. Le jeûne au monde, pierre angulaire de la « méthode » qu’ils préconisent et qui leur a valu le nom de Saints Nêptiques (du grec nêpsis : sobriété) est un outil, pas une fin en soi.
Il s’agit « d’une échelle qui conduit à la contemplation » »
LA TRILOGIE CORPS-ÂME-ESPRIT
« « La pureté du coeur, c’est d’être net de toute souillure ; la pureté de l’âme, c’est d’être libre de toute passion cachée dans l’esprit ; la pureté de l’intellect, c’est d’être purifié par la révélation de toute émotion pour les choses qui tombent sous le domaine des sens » »
« Le corps nous permet, grâce à ses cinq sens, de communiquer avec l’extérieur. Support de l’incarnation de l’âme, nous pourrions dire, très grossièrement, qu’il en est la demeure. Sainte Thérèse d’Avila l’appelle « l’enchâssure du diamant ». Il est aussi l’écran opaque qui rejette la lumière divine alors qu’il devrait au contraire la laisser le traverser afin de se répandre dans le cosmos. »
« L’âme représente notre principe vital, le siège de notre identité. Elle s’exprime par nos émotions, nos sentiments et nous permet de mémoriser, d’exercer notre volonté, notre intelligence. Elle est également le lieu de notre mémoire permanente, linéaire, c’est-à-dire sans rupture. Les Hébreux disent qu’elle connaît sa filiation divine mais qu’à la naissance un ange appuie sur le nez du bébé afin de la lui faire oublier. Cet oubli s’accompagne d’un risque, celui de s’identifier à son incarnation. Le travail sur l’âme consiste à lui permettre de se différencier de son incarnation, tout en la respectant, avant de s’ouvrir enfin à l’Esprit.
L’Esprit est le plan de la transcendance, le plan du dépassement de l’homme vers le divin. Au-delà de nos catégories humaines sclérosantes et de nos multiples contradictions, il représente notre dimension transpersonnelle. Il porte l’empreinte de la trinité.
Rien, si ce n’est d’artificiel, ne sépare ces trois composantes de l’homme. »
« Dans la trilogie « corps-âme-esprit », l’âme apparaît donc bien comme la médiatrice entre notre dimension humaine et notre dimension divine. Toutes les traditions postulent cette double nature de l’homme et s’accordent sur ce point : ontologiquement (par nature, par essence) soudé à Dieu mais séparé de lui par ce que les Chrétiens appellent la « chute », il le recherche, parfois inconsciemment, et aspire à l’union.
LA PRIERE MONOLOGIQUE ET SON APPUI SUR LE SOUFFLE
« C’est du coeur que proviennent les pensées mau-
vaises, les meurtres, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages, les calomnies » (10).
Matthieu et les Pères après lui, faisant du coeur le siège des pensées et la racine des puissances, reprennent une tradition qui leur est bien antérieure et qui tend à assimiler le coeur à l’âme.
Le rôle joué par le coeur dans la respiration, ce double mouvement, cet échange constant entre l’homme et le cosmos, n’y est pas étranger : coeur et respiration sont synonymes de vie. »
« Ainsi la prière, monologique (du grec monos : un et logos : parole) s’appuie sur une triple règle:
1 – La détente : cette détente pendant l’oraison ne tend pas à une simple relaxation musculaire. Elle fait du corps un réceptacle, un Graal, un lieu d’alliance avec Dieu.
2 – La focalisation : afin de faciliter la régulation du rythme respiratoire et de focaliser l’attention, une formule est répétée par l’orant. Vivre intensément les mots de cette formule évite le vagabondage des idées et la rêverie. En outre, ils vont, grâce au pouvoir du son, pénétrer dans le coeur, plaçant l’orant en état de prière perpétuelle.
3 – La respiration : c’est Genèse II-7 constamment répété et consciemment vécu. L’Eternel souffle dans notre être et toutes les cellules de notre corps sont animées par cet échange. Notre âme et notre coeur, icône de l’âme, s’en nourrissent et « le royaume de Dieu est au-dedans de nous » »
« Les techniques spirituelles re-liant l’esprit à Dieu, permettent d’établir la communication entre le Créateur et sa créature. »
LE COEUR AU CENTRE DE L’EXPERIENCE MYSTIQUE
« Le coeur est donc bien en l’homme le réceptacle du maître intérieur indispensable à tout cheminement spirituel, le lieu de toute transformation.
DE LA CONFRONTATION A LA CONTEMPLATION
« A mon avis, un seul jour passé dans la connaissance bien humble de nous-mêmes, au prix de beaucoup d’afflictions et de travaux, est une grâce plus insigne de Dieu que plusieurs jours passés dans l’oraison. »
Cette affirmation de Sainte Thérèse d’Avila (12), qui a consacré de nombreux écrits au processus d’évolution spirituelle, risque de bousculer bien des idées préconçues.
Le mot oraison, du latin oratio, désignait à l’origine la seule prière de demande d’où vraisemblablement cette confusion qui nous fait trop souvent oublier que la prière est confrontation. »
« Prier, c’est chercher sans aucune complaisance une réponse à la question posée par Dieu à Adam juste après la « chute » et que nombre de traducteurs bibliques ont rendue à tort par « où es-tu : Où en es-tu ? » Qu’advient-il de toi et de ton devoir d’évolution vers l’unité principielle? »
« Cette confrontation, première étape vers la philocalie ou amour de l’essentielle beauté, doit s’opérer dans l’humilité, dans la reconnaissance de l’état de faiblesse et de manque auquel nous condamne notre condition humaine et de notre propre responsabilité dans l’évolution de notre vie.
Quitter cette habitude infantile et dont notre époque est coutumière qui consiste à rendre les parents, ou la société, responsables de nos propres manques. Car ce premier renoncement ne servirait à rien s’il n’était accompagné de la volonté de nous débarrasser de nos passions et de nos vices.
Or comment pourrions-nous agir sur des événements dans lesquels nous ne nous reconnaissons aucune responsabilité ? Si « l’autre » quel qu’il soit, société, parent, voisin, est responsable de mes errements, qu’ai-je d’autre à faire qu’à attendre, pieds et mains liés, que « l’autre » change? »
« Cette expérience suprême, c’est la contemplation, cet état où le coeur et l’âme peuvent se passer de méthode pour contempler leur Seigneur. Ils sont en quelque sorte en prise directe avec Lui. Sans qu’interviennent les facultés ordinaires, ils ont la certitude de la présence de Dieu. »
Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.119-128.