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La relation de maître à disciple dans le Vedanta

par Daniel Roumanoff | Publié le 19 septembre 2003

Ce qui rend possible, et féconde, la relation de maître à disciple, ce n’est pas seulement la qualification du premier : c’est bien aussi la sensibilité et la réceptivité du second. Les parents, responsables de l’éducation de leurs enfants, ont là un rôle clé : en effet, d’eux dépend la qualité de bon ou mauvais disciple qui caractérise chacun de leurs enfants.

« La relation de maitre à disciple n’est pas propre à l’Inde, puisqu’on la trouve dans tout l’Extrême-Orient, dans l’Islam, en Grèce aussi bien que dans la tradition judéo-chrétienne. C’est toutefois en Inde qu’elle a connu la plus grande continuité puisqu’elle s’est poursuivie sans interruption depuis les temps védiques jusqu’à nos jours.En Inde, le guru est toujours vénéré, encore que la relation entre le maitre et son disciple ne soit pas la même selon la voie suivie et enseignée par le maître. ans la voie de la dévotion (Bhakti), le guru est révéré à l’égal d’un dieu, et parfois même, considéré comme l’incarnation de Dieu lui-même. Dans la voie de la connaissance (Jnâna), le guru est celui qui montre le chemin et permet ainsi au disciple de découvrir par lui-même la réalité ou ce qui est.

[…] Nous nous proposons de montrer comment ces relations entre maitre et disciples ont été vécues auprès d’un maître contemporain de Vedânta: Svâmi Prajnanpad (1891-1974).

Rappelons rapidement que Svami Prajnanpad n’a eu qu’une poignée de disciples indiens et une dizaine de disciples français. A la fois iconoclaste et versé dans la connaissance de la tradition indienne, il a rénové complètement l’approche de l’Advaita Vedânta en utilisant les connaissances de la psychanalyse et en y incorporant l’approche scientifique occidentale, il se situe ainsi dans la lignée de ces maîtres indiens qui ont jalonné l’histoire depuis les Veda, et qui plongent profondément leurs racines dans la Tradition, tout en trouvant de nouvelles formulations adaptées à l’époque où ils ont vécu.

I-LE GURU

[…] Le guru joue un rôle essentiel non seulement dans l’éducation première de l’enfant et dans sa formation professionnelle, mais également dans les instructions spirituelles qu’il est amené à donner à ceux qui viennent se présenter à lui. Compte tenu de la variété des fonctions qu’il exerce, il n’est pas inutile de préciser le sens de certaines expressions par lesquelles il est désigné […] :

-Le terme rishi remonte aux Veda: ce sont les sept rishis qui ont reçu la Révélation. Ce sont des sages d’une stature exceptionnelle car ils ont été à même de voir et de formuler quelque chose de nouveau.

-Muni (littéralement silencieux) signifie sage également. C’est plutôt un ermite qui vit en solitaire dans les forets.

-Pandit est un terme académique conféré à celui qui a reçu une formation traditionnelle. Les textes le définissent comme « celui dont l’intelligence est capable de discriminer entre le vrai et le faux » […] Autrefois, le pandit remplissait les fonctions de lettré, de juge ou de conseiller dans les villages, vivant de ce qui lui était offert […].

-Mahâtmâ (magnanime) est un titre honorifique donné à un maître dont on veut exalter la grandeur. Il en est de même pour paramahamsa (grand ascète).

-L’âcârya, ou instructeur spirituel, est celui qui, versé dans les Ecritures (çastra) et capable de les citer, vit selon les préceptes qu’il enseigne. Acàrya vient de àcara qui signifie vivre, agir, se conduire. Il se distingue de l’upadhyâya, ou précepteur, par le fait qu’il connaît la totalité des Veda, alors que l’upadhyâya n’en connaît qu’une partie. Par ailleurs, […] l’âcarya ne se fait pas payer. En enseignant, il rem bourse sa dette aux rishi, Il faut noter qu’il est très mal vu de payer avant d’avoir complété son éducation. […].

Un des voeux les plus chers du guru est d’être approché par un disciple compétent, capable de poser de bonnes questions. La plus grande récompense d’un maitre, c’est de voir un disciple qui réussit. Svâmiji citait à ce propos l’adage anglais: « L’imitation est la meilleure des flatteries », dans le sens où la meilleure manière pour le disciple de rembourser le maître pour ce que celui-ci lui a donné est de devenir comme lui, c’est-à-dire délivré.

II – FORMATION ET QUALIFICATIONS DU DISCIPLE (çisbya)

Pour être accepté par un maitre, le disciple doit remplir un certain nombre de conditions externes et internes. […]

Le premier critère pour être accepté comme disciple est d’avoir un comportement normal. Ce qui implique d’avoir été élevé correctement par sa mère, son père, ses précepteurs et ses instructeurs spirituels.
[…]

Le rôle des parents, et particulièrement celui de la mère, est primordial […].

L’éducation de l’enfant passe par différents stades. Jusqu’à l’âge de cinq ans, tout lui est permis. Encore de nos jours , ceux qui sont allés en Inde ont pu constater à quel point l’enfant est roi. […] On ne fait qu’appliquer les recommandations des Dharmaçastra. « Jusqu’à l’âge de cinq ans, l’enfant doit être traité comme un roi, ensuite comme un serviteur pendant dix ans. Mais des qu’il atteint l ‘âge de seize ans, il doit être traité comme un ami ».

Le père et la mère enseignent ainsi les premiers rudiments: l’écriture et le calcul. A huit ans, l’enfant est censé savoir lire, écrire et réciter ses prières, Alors a lieu l’initiation du fils (upanayana). Elle se situe entre la huitième et la dixième année après la conception chez les brahmanes, la onzième année chez les kshatriya, la douzième année chez les vaishya. Le père murmure le Gàyatri mantra, dont nous reparlerons par la suite, dans le creux de l’oreille du fils. Celui ci va alors quitter ses parents pour suivre son éducation dans une gurukula. […]

De cette initiation étaient exclus les femmes et les hors-castes. Mais cette règle connaissait des exceptions, ainsi que cela ressort de la très émouvante histoire de Satyakama, littéralement « celui qui prend son plaisir dans la vérité ». Satyakama se présente à son guru Cautama et lui dit: « Je voudrais faire mon noviciat de brahmacârin près de vous. M’admettrez-vous Seigneur? […] Je ne sais, Seigneur, de quelle famille je suis. J’ai interrogé ma mère, et elle m’a répondu: « J’allais et venais beaucoup pour tous les services de la maison, dans ma jeunesse, quand je t’ai conçu, et moi-même je ne sais pas de quelle famille tu es […] » [le guru répondit:] « Seul un brahmane peut parler si franchement […] Je vous initierai […] ”

Revue Française de Yoga, n°1, « De maître à disciple », janvier 1990, pp. 83-104.

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