La respiration, la vie intérieure et le moi réel de l’hommme
Publié le 01 août 2005
Dire « je » permet de se situer par rapport à son entourage, mais non de se désigner comme une entité unifiée. Il semblerait plutôt que le Moi recouvre les multiples facettes de la personnalité, sauf à atteindre un niveau de conscience élevé.
LA RESPIRATION, LA VIE INTÉRIEURE ET LE MOI RÉEL DE L’HOMME
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L’homme parlant de lui-même dit JE (ou MOI). Ce petit mot lui permet de se situer par rapport au monde extérieur, mais absolument pas de se désigner lui-même avec quelque vraisemblance. Il ne le cherche d’ailleurs pas. Mais si nous, nous cherchions ? Commençons par le dictionnaire: pronom personnel de la première personne des deux genres, singulier, dit ce dernier. Parfait pour la grammaire. Mais dans la vie?
Lorsqu’au dément qui se jette à ses pieds Jésus demande : « Comment t’appelles-tu ? » – « Je m’appelle légion » répond le possédé. Celui-là, et sa raison n’y a pas résisté, – avait eu la révélation incroyable et insupportable de l’inexistence d’un Je singulier auquel se référer. Le mot légion est d’ailleurs bien des fois utilisé par les apôtres pour désigner le moi de la personne humaine. Ils en savaient un bout sur le sujet. Nous pas. C’est ce qui nous permet de subsister dans une quiétude (apparente, car qui est vraiment quiet ?) nourrie de la conviction rassurante qu’il n’y a rien de commun entre le possédé écumant et nous-mêmes.
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Nous sommes possédés, dominés par les courants inférieurs de la vie, qui dominent, au, niveau actuel de l’évolution, la manifestation humaine. Des règnes minéral, végétal et animal, l’homme a hérité ses matériaux constitutifs, ses fonctions végétatives et ses réactions sensibles au monde environnant ; et les forces minérales, végétales et animales, exigeantes et pour ainsi dire bien rôdées, dominent sa vie au détriment des forces purement humaines, colossalement plus puissantes, en vérité, – potentiellement – mais n’ayant pas su encore trouver leur champ d’application, dormantes ou bien dévoyées vers des accomplissements de caractère animal.
L’énergie se condense en matière, les Forces créent les formes de densité variée, les unes grossières, comme le plomb, les autres subtiles, comme la pensée. En l’homme, les forces primaires se groupèrent en trois centres de gravité, alimentant respectivement les trois plans de manifestation, physique, émotif et mental, caractéristiques de la manifestation humaine. La vie psychique de l’homme est, elle aussi, régie par ces trois centres, dont les courants correspondent approximativement, et sans d’ailleurs de délimitation nette, le premier à nos sens et sensations, le deuxième à nos sentiments, le troisième à nos pensées. (…) En accédant à un état d’être supérieur, à un niveau de conscience plus élevé, l’homme se situe en des « centres » plus élevés, plus subtils, plus agissants aussi que les trois précédents ; ces centres supérieurs existent en nous à l’état embryonnaire et nous avons la possibilité de les développer et d’y transporter notre vie. Cela est la fameuse deuxième naissance.
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Les philosophies de toutes les origines discernent en l’homme trois aspects : le corps, l’âme, l’esprit. Que l’on soit d’accord, ou pas d’accord, que l’on accepte, ou que l’on rejette certains d’entre eux, l’attitude de tous, lorsqu’on en parle, est la même. En effet, parlant de son corps, l’homme le traite en tierce personne ; il dit « mon corps » et non Moi.
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Ayant été contraints d’écarter comme supports possibles du moi, le corps, l’âme et l’Esprit, il ne reste comme entité dont les configurations nous donnent cette impression d’être nettement séparés de tout le reste d’où procède le vocable JE, que notre personnalité. Nous avons vu déjà qu’elle a été fractionnée en éléments épars, instables et contradictoires, – légion, et quelle légion ! Ces prises de conscience diverses se sont formées en nous, à la faveur des éléments eux-mêmes aussi incertains, aussi relatifs qu’ont été depuis l’enfance les circonstances de notre vie.C’est dire que cette expression la plus intime est, en réalité, quelque chose de tout à fait factice, qui aurait été nécessairement tout autre en nous, si nous étions nés dans un autre pays, où ont cours d’autres moeurs, ou seulement si nous avions été élevés dans une autre famille, sous d’autres influences, en d’autres circonstances, avec d’autres exemples sous les yeux, entourés d’autres objets, d’autres moyens.
Ce moi-là n’est, non seulement pas absolu, pas constant, ni uni, mais légion de petits moi, une foule bigarrée et contradictoire. (…) Et c’est quand même avec ce moi là que l’homme, tel qu’il est né sur la terre, évolue dans la vie. Qui lui tient lieu de conscience et qui dirige ses impulsions et ses décisions.
Avec un tel directeur, n’importe quelle entreprise ferait faillite.
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C’est dans les poumons de l’homme que s’opère la transformation – une alchimie supérieure – d’où naissent des courants en direction des centres supérieurs (embryonnaires), capables de les alimenter et dont la participation active est indispensable à leur développement, lequel n’est pas un phénomène spontané, mais un accomplissement difficile, obéissant à des règles précises et avant tout à une demande consciente clairement formulée et indéfectiblement maintenue dans le champ de conscience.
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Il existe en nous une faculté permettant de dominer aussi bien les idées de notre intellect, que les impulsions passionnelles de notre cour, c’est la volonté. Non pas la volonté de ceci ou de cela, – ce qui fait les désirs, mais la faculté de vouloir en dehors de tout objet. (…) Elle dépend des centres supérieurs, qu’ouvre et fait croître la respiration consciente, systématiquement contrôlée.
Avec la perception-volonté, nous obtenons une sorte de vague conception de notre Essence profonde, j’emploie ce mot en opposition à la personnalité, entité factice, comme nous avons vu. (…) Lorsque ce Moi réel se reflète en nous, en ce trouble, complexe, diffus, plein d’idées et de désirs contradictoires, c’est sous l’aspect de la volonté qui domine les idées et les dirige vers leur accomplissement dans la révélation de l’unité. »
Revue Française de Yoga, n° 28, « La Voie du Souffle », Août 2003, pp 33-37