La Sadhana : une voie du coeur
Publié le 15 mars 2005
La littérature spirituelle indienne fait apparaitre le coeur comme le lieu secret et mystique renfermant le Soi, la cause ultime. La Sadhana est une voie qui permet à l’homme de réaliser son but: retrouver ce coeur, tendre vers lui par l’observation et la concentration, pour atteindre la Samadhi, la joie spirituelle.
« Dans l’hindouisme, le thème du « Coeur » est traité plus particulièrement dans les Upanishad qui sont révérées selon la tradition hindoue à la fois comme la plus haute « révélation »(sruti) et comme la « fin suprême » des Veda (vedânta) auxquels elles succèdent. Elles ne sont pas seulement un développement philosophique et théologique de la pensée védique, mais des instructions pratiques pour une expérience et une découverte spirituelles. En traitant le thème du Coeur, les Upanishad ne visent pas à compléter l’analyse ou les connaissances sur ce sujet, mais à suggérer des voies concrètes pour expérimenter cette réalité. »
« De nos jours, heureusement, un grand maître spirituel, le Père Anthony de Mello s.j. (19311987), a rendu cette approche upanishadique plus accessible à tous les chercheurs modernes de la voie du Cœur. »
ANTHONY DE MELLO, S.J. (1931-1987)
« La sâdhanâ que le P. de Mello propose est essentiellement le chemin vers l’expérience mystique, fonds commun aux grandes traditions spirituelles comme celle des Upanishad, du zen, du soufisme et aussi – il faut bien le noter – du christianisme. (…) Sâdhanâ, qui littéralement veut dire ce qui mène directement au but, est un terme couramment utilisé dans différentes traditions et contextes hindous. Il signifie toujours un effort spirituel, un exercice spirituel. Cependant, dans une tradition hindoue, celle du tantra, il prend une connotation particulièrement technique : la voie du retour, la création toute entière se tournant vers sa source (le terme est employé plutôt sous sa forme féminine sâdhanâ). Ce retour se vit particulièrement dans le Coeur, par la méditation et d’autres exercices spirituels. »
« (…) il a effectué une synthèse spirituelle remarquable dans laquelle nous pouvons discerner les éléments upanishadiques et tantriques ne contredisant pas la tradition chrétienne, mais formant avec elle un tout : la voie du Coeur, universelle dans son langage et dans son contenu, qui a comme but de remettre l’être humain directement en contact avec la Source qui est Dieu. »
LE COEUR
« Le P. de Mello dit, en décrivant le chemin du Coeur:
» (…) D’ordinaire, notre contact avec Dieu est entièrement indirect : il passe par des images et des concepts qui déforment inévitablement sa réalité. Parvenir à le saisir par-delà ces pensées et ces images, c’est le privilège de cette faculté qu’au cours de cette explication j’appellerai le Coeur (…), bien qu’elle n’ait rien à voir avec le Coeur physique ni l’affectivité. » »
« On trouve cet intéressant passage dans l’une des plus anciennes Upanishad, la Brhad-âryanaka-upanishad:
» (…) Comme une araignée monte sur son fil, comme du feu montent de petites étincelles, de même de l’âtman sortent tous les sens, tous les mondes, tous les dieux, tous les êtres. La connaissance de l’âtman est le réel du réel (le fond du réel). Les sens sont le réel, l’âtman en est la réalité (le fond du réel) » (2,1,19-20, trad. E. Sénart).
Quelle que soit la similitude de cette image avec la réalité physique du Coeur (…) le Coeur est considéré ici comme la source d’une énergie. Cette énergie ne naît pas spontanément, mais provient de quelqu’un qui habite ce Coeur : l’âtman ou le Soi. »
« (…) le Cœur est la réalité ultime qui se trouve derrière toutes les réalités expérientielles. Selon l’interprétation upanishadique (fondée par exemple, sur la Kena-upanishad), nous pouvons dire que la « réalité » ultime signifie le « fondement d’une réalité donnée ». »
« Le Coeur, appelé « la forteresse de l’Absolu » (brahman)’ est identifié avec le Soi (âtman) (…)
Mais le Soi est caché dans la cavité, couvert par quatre autres enveloppes (koshâ) comme le dirait la Taittirîya-upanishad (Deuxième Liane), ou par trois états (sthâna) de conscience comme le décrirait la Mândûkya-upanishad. Ces enveloppes, en nombre varié selon les différents textes, se réduiront à un minimum de trois dont nous parle la Bhagavad Gîtâ (chapitre 2), également révérée par les hindouistes comme une upanishad : le corps (deha) abritant « l’habitant du corps » (dehin) qui lui-même abrite le Soi (âtman).
Le but de ces schématisations n’est pas descriptif, mais pédagogique, il s’agit de mener la personne en quête spirituelle, de l’extérieur vers l’intérieur, du corps vers le Soi (…). »
« En insistant sur le désir intense et l’effort soutenu comme préalables à cette découverte, les Upanishad ne réduisent pas cette quête à un effort pur et simple de l’homme:
« L’âtman (le Soi) ne peut être atteint ni par les discours, ni par l’intellect, ni par beaucoup d’exégèse. Seul celui que l’âtman choisit peut l’atteindre » (Katha-upanishad 2,23). »
LA SADHANA : UNE VOIE
« Chez la plupart d’entre nous, ce Coeur demeure endormi et non développé. S’il s’éveillait, il tendrait sans cesse vers Dieu et ferait s’élancer vers lui tout notre être, si nous lui en donnions la chance. Mais il faut pour cela qu’il se développe, qu’il se débarrasse des scories qui l’empêchent d’être attiré par l’Eternel Aimant (10).
La sâdhanâ a pour seul but d’éveiller le Coeur endormi, ce Coeur qui est enfermé derrière les épaisses murailles édifiées par l’esprit, le mental et le corps. En fait, on ne peut rien faire directement pour l’éveiller. Le seul effort que l’on puisse faire est d’arrêter les constructions continuelles de l’esprit, du mental et du corps. »
« La première partie de la sâdhanâ est uniquement cette création du silence. Non pas le silence extérieur, mais le silence intérieur, celui du corps, du mental, un silence où il n’y a absolument rien, le vide total. »
« Notre tendance naturelle est de lutter contre la réalité en nous et autour de nous pour essayer de la réduire à notre structure mentale. Cela ne peut qu’augmenter les conflits qui existent en nous. Par contre, le silence s’établit lorsque je suis attentif, que j’observe et deviens conscient de la multitude des évènements qui se déroulent en moi, dans mon corps, respiration et sensations, pensées et désirs. »
« (…) il faut intensifier l’observation au moyen de la concentration. (…) Le Père de Mello disait en citant Lao Tseu : « L’eau boueuse devient propre quand on la maintient immobile » (…) Même si l’on ne réalise pas le silence parfait, les moments de profond silence éveillent en nous le Coeur. »
« La troisième partie de la sâdhanâ est constituée par la dévotion, c’est-à-dire le Coeur qui s’enivre dans les joies du Soi, ce que les Upanishad nomment samâdhi. La personne éprouve une intense joie, joie d’être ici et maintenant, et une capacité d’aimer, s’aimer soi-même, aimer chaque être. Elle se sent alors en communion profonde avec toute la création et toutes les créatures, elle ressent un bonheur indescriptible (…). »
UNE SPIRITUALITE SANS LE CHRIST?
« (…) lorsqu’on lit les ouvrages du Père de Mello, on constate que non seulement le Christ y est très souvent mentionné, mais aussi que l’auteur introduit de solides méditations avec et sur le Christ. Malgré cela, la question demeure : le Christ est-il essentiel à cette voie du Coeur sur laquelle on peut cheminer simplement par l’observation et la concentration, comme par exemple en comptant un, deux, trois, quatre…? »
Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.35-45.