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La voix au service de l’évolution intérieure

par Nageswara Rao | Publié le 04 août 2005

L’antarvani, voix authentique parfaite de l’Homme, trouve une traduction imparfaite dans son expression verbale, privant l’individu de la source de son équilibre. La musique indienne permet de dépasser le mental et d’atteindre la sérénité.

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Chaque individu est doué, disions-nous plus haut, d’une voix – note – précise et ordonnée, qui lui est propre. Cette note s’exprime et est perçue extérieurement à travers des sons, et la voix intérieure de l’individu qui ne peut par elle-même être perçue, s’appelle en sanskrit antarvani ; cet antarvani peut être ensuite perçu à travers la voix sonore. Nous appellerons dorénavant l’antarvani « voix authentique » de l’individu.

Cette ‘voix authentique » peut s’exprimer ou rester inhibée. Nous verrons plus loin les diverses raisons de cette inhibition. Mais il convient de remarquer que l’absence d’expression de celle-ci n’est due en aucun cas à une déficience de l’antarvani, qui est parfait par nature. Par contre, les causes de déformation – voire d’inhibition – de l’expression peuvent être soit organiques, si l’appareil phonatoire ou auditif ne sont pas aptes à fonctionner par nature ; soit liées à un contexte, un héritage familial, racial, culturel, social (la voix d’un Chinois n’est pas timbrée de la même façon que celle d’un Breton, ou bien celle d’un Américain) car l’enfant apprend à faire un son en le copiant sur son contexte ; soit dues à la manière personnelle qu’a l’individu de réagir face aux défis de la vie. Ces trois domaines, organique, environnemental et personnel, tendent à influencer et à déformer le rapport entre l’individu et son antarvani, sa voix authentique, et donc le rapport entre l’antarvani et la voix de l’individu.

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Le cerveau est lié à cette note authentique dont nous parlions plus haut, l’antarvani. Mais la plupart du temps, la voix sonore de l’individu transmet des informations d’ordre mental, et ce lien de la voix sonore avec l’antarvani, le cerveau, se perd. En effet, le mental fonctionne grâce à des signes, des symboles, des mots qui permettent de créer les images pour acquérir la connaissance. Le matériau et la structure du mental sont par définition limités ; ils sont constitués par le mental et à la mesure du mental. Ainsi, bien que chaque individu possède un cerveau extraordinaire, ce dernier fonctionne la plupart du temps à l’intérieur du conditionnement ou de l’environnement créé par son mental.

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Dans la pratique indienne et de tout temps, l’usage de la voix autre que verbal a été considéré comme la voie la plus directe pour entrer en contact avec la source d’énergie la plus profonde en nous ; la pensée indienne dit et redit que le mental n’est pas en mesure de donner une vision ou un contact direct, droit, clair, avec l’être ou la réalité. Le mental est ce qui s’exprime de manière verbale : le mot et l’expression verbale fonctionnent de manière dialectique ; le mot implique toujours l’existence de son opposé ; le oui suppose toujours l’existence du non ; la pensée verbale ou intellectuelle fonctionne à l’intérieur de l’opposition des contraires, ainsi que les croyances (cf l’étymologie de manas : mesure, qui donne mata, le dogme). Cette pratique de la voix non verbale permet donc de contacter en soi un niveau d’être et d’énergie qui est au-delà ou plutôt en-deça du mental lié à notre instinct et à notre intuition la plus profonde.

Par ailleurs, la culture indienne a toujours placé la pratique musicale au centre de cette pratique non verbale de la voix. Ceci s’explique par le fait que la démarche musicale, plutôt que de tourner le dos au mental, intègre celui-ci comme un outil. La voix libérée du carcan et de la limitation verbale embrasse un vaste domaine sonore ; l’application du mental a permis à une forme de s’élaborer peu à peu pour permettre et traduire très sensiblement et fidèlement l’expérience de la rencontre de l’individu limité et connu avec cet espace illimité et incommensurable de l’être en lui.

Le seul fait pour quelqu’un de se spécialiser dans l’expression non-verbale, ou dans la langue musicale ne le conduit pas forcément à découvrir son être profond (antarvani), car la spécialisation peut être un processus fragmentaire. Cependant si l’individu voit cette spécialisation à l’intérieur d’un contexte global, général, alors l’expression non-verbale ou musicale peut atteindre la source, l’antarvani. La musique a la capacité extraordinaire d’éveiller toutes les facultés émotionnelles et sensorielles et est considérée comme le meilleur moyen pour aller vers antarvani.

La musique indienne, comme beaucoup d’autres musiques à travers le monde, repose sur une conception modale ; elle est constituée d’une mélodie qui exprime les émotions et les sentiments de l’être humain dans tous les domaines de son existence. On peut distinguer deux raisons pour lesquelles les dévots utilisent la musique et chantent de tout leur coeur pour atteindre le salut ou moksha: d’une part la musique modale est un outil pour aller au-delà ; de notre mesure et limite connue, elle nous élève donc et meut notre esprit (au sens le plus littéral de faire bouger notre : esprit, le faire sortir de ses gonds) ; d’autre part et en même temps, la musique mène l’esprit à un état de calme, de repos.

D’où proviennent ces deux aspects de la musique modale?

Tout d’abord, la musique modale est ordonnée et respecte une justesse et une rigueur totales qui ne laissent aucune place à l’approximatif. Le son est juste ou faux ; de même le rythme, la durée exigent une très grande clarté. Dans le domaine verbal, il peut y avoir un flou ou une utilisation vague du mot. De manière inconsciente, l’individu qui pratique la musique développe un sens et un intérêt pour la perfection, la justesse et l’ordre.

Par ailleurs, la musique modale combine de manière équilibrée les forces intuitives et les forces cognitives de l’individu ; le rythme et la mélodie sont arrangés de manière précise et, grâce à son imagination, le musicien chante et exprime ses sentiments avec beaucoup de sensibilité. Il en est de même dans la littérature, mais les mots se rapportent la plupart du temps à un contenu plus abstrait, alors que la musique est une pratique.

Revue Française de Yoga, n° 7, « La voix, une voie », janvier 1993, pp. 59-71

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