L’autorité dans la relation pédagogique. Questions
Publié le 29 juillet 2005
Dans la façon qu’a le professeur d’entrer en relation avec ses élèves, tout compte : son heure d’arrivée, son positionnement, ou encore son utilisation des mots. Pour que la relation soit féconde, mieux vaut qu’il les incite à découvrir par eux-mêmes les lois qu’il énonce plutôt que d’abuser d’autorité.
« Être professeur de yoga ou formateur dans une école, c’est être dans une relation pédagogique avec un certain nombre de personnes, toutes différentes mais a priori intéressées par la discipline du yoga.
Pour ce qui est de la connaissance de la discipline enseignée (pratique, philosophie… ), le professeur a normalement suffisamment étudié lui-même pour pouvoir apporter aux élèves assez de matière. Dans ce domaine, la hiérarchie est évidente : il y a celui qui sait plus et celui qui sait moins. C’est souvent une question d’antériorité dans l’étude et de pertinence du raisonnement dans la matière enseignée. Le professeur est supposé avoir étudié et avoir assimilé, au moins intellectuellement, les connaissances qu’il transmet, mais dans la relation à l’autre qu’en est-il de la hiérarchie ? Où est-ce que je me situe ? D’où est-ce que je parle ? Quelle place est-ce que je donne à l’autre ? Tout ceci peut conditionner différents types de relation. Je me suis donc intéressé à la façon dont nous, professeurs, entrons en relation. Les modalités sont multiples, nous en avons tous fait l’expérience en tant qu’élève. Nous ne cherchons pas à évaluer ces différentes modalités, mais simplement à les reconnaître et à en pointer les éventuelles conséquences.
Tout d’abord, la manière dont nous situons notre entrée dans le temps. Le professeur est-il dans la salle avant tout le monde, juste à l’heure ou arrive-t-il lorsque tout le monde est présent, se fait-il attendre ? Cela peut être l’expression d’un positionnement délibéré ou non, conscient ou non.
Maintenant: où se place l’enseignant ? Est-il debout, sur une estrade, ou au même niveau ? Se situe-t-il au bout, au centre, sur un des côtés, dans un cercle ? Si le professeur est présent le premier, ce sont les élèves qui se positionnent par rapport à lui, sinon c’est le contraire. Cela devient moins évident lorsque les habitudes sont prises. Toutes ces situations ont leurs avantages et leurs inconvénients, mais en tout cas elles peuvent être signifiantes ou du ;J moins interprétées comme telles
Puis viennent les rites de commencement et les premières paroles énoncées.
D’emblée, nous pouvons noter qu’au-delà du fond, les manières
de s’exprimer sont multiples, et les façons d’entendre également ! 1
Si nous nous intéressons à l’énonciateur, celui qui prend la parole,
à quelle personne ou non-personne le fait-il, autrement dit, emploie-t-il les pronoms personnels : je, tu ou vous, entrant ainsi dans un processus d’échange entre deux personnes. Le je s’adresse à un tu qui existe en tant que je. Les personnes sont reconnues et nommées. Il y a là une structure égalitaire où la réciprocité est a priori possible. Ou bien l’énonciateur s’adresse à une non-personne, par exemple : « on lève les bras » ou « les bras se lèvent » ou parfois un nous dans lequel il ne s’inclut pas : « nous levons les bras » alors qu’il ne les lève pas lui-même. Apparaît-il luimême en tant que personne ? En tant que « je » énonçant une proposition par exemple, ou bien a-t-il disparu derrière quelque formulation indirecte ? Parfois c’est le je qui parle à la place de l’autre : « Je lève les bras ». Ce peut être aussi l’impératif.
Poser les questions au niveau linguistique n’est certes pas suffisant car tout dépend des circonstances et du positionnement réel et profond du professeur vis-à-vis de lui-même et des élèves, mais nous pouvons tout de même nous poser la question de savoir ce que risque de générer telle ou telle formulation, surtout avec les nouveaux.
Qui parle à qui ? »
« Si la pratique et l’étude du yoga nous amène à découvrir peu à peu la loi (en tant que dharma), est-ce parce que cette loi nous est dite (et/ou transmise) par ceux qui nous ont précédés sur la voie? Or cette loi ne peut faire autorité pour nous que si nous nous l’approprions, si nous en avons l’intelligence. Une attitude autoritaire risque de générer soumission ou révolte, selon le tempérament des élèves, mais rarement une attitude adulte et responsable. L’attitude autoritaire ne renvoie-t-elle pas le plus souvent l’élève à des situations rencontrées dans l’enfance ou l’adolescence, alors que le rôle de l’enseignant de yoga serait plutôt d’aider l’élève à cheminer vers la liberté?
Une attitude possible du pédagogue ne serait-elle pas de proposer un champ d’observation où l’élève serait en situation de découvrir par lui-même?
Selon la façon dont le professeur s’adresse à lui, l’élève développera certains aspects de sa personnalité. Allons plus loin : si le professeur suppose l’élève capable, l’élève sera porté à croire en ses propres possibilités, si au contraire le professeur suppose l’élève incapable, ce dernier sera porté à douter de lui-même. Si on doute de soi-même, n’est-on pas plus porté à se conformer, à répéter plutôt qu’à réfléchir et à s’affirmer ? L’équilibre semble difficile à trouver entre apprendre et comprendre : quand une personne n’a que peu appris, elle croit tout comprendre ou à l’inverse ne rien pouvoir comprendre. Quand elle a appris beaucoup, elle croit parfois avoir tout compris… Selon le tempérament et peut-être les moments, le pédagogue devra donc être celui qui remet en question et fait douter ou celui qui aide à prendre confiance en soi. Tâche difficile qui suppose beaucoup de disponibilité pour être assez ouvert, assez sensible, et adapter continuellement notre attitude aux circonstances présentes.
Il nous faut savoir poser une loi (ne serait-ce que sur le plan technique), tout en invitant l’élève à trouver, à dé-couvrir par luimême sa loi, celle qu’il fera sienne, celle qui sera fondée sur son intelligence et non celle qui est répétition de la loi de l’autre. Parfois on ne sait même plus où est l’origine, à force de répétition
Il nous faut inviter l’élève à se mettre en ordre, à entrer dans une certaine cohérence avec sa propre compréhension, lui laissant l’entière responsabilité d’établir sa propre échelle de valeur, le renvoyant à ses propres responsabilités… Tout ce qui est aussi difficile pour les enseignants eux-mêmes
Citons M.M. Davy (1) : « La qualité de la vie privée, trop souvent considérée comme secondaire, voire sans importance, est au contraire essentielle. L’expérience n’a pas à s’exprimer uniquement dans la parole ou l’écriture, elle se manifeste préalablement dans le quotidien. Sinon on se tient à la fois dans l’hypocrisie et aussi l’illusion. Et plus loin: « Une extrême modestie accompagne la conversion du cour ».
Alors d’où parlons-nous ? Sur ce plan, je me sens dans une attitude beaucoup plus fraternelle qu’autoritaire et je ressens la nécessité d’une coopération humaine. Cela n’empêche pas de proposer le savoir pour ce qu’il est, à qui veut l’entendre et en tirer bénéfice. Bénéfice de l’élève, qui peut-être trouvera, dans ce savoir et cette tradition, source d’inspiration pour sa vie, mais aussi bénéfice de l’enseignant, car une véritable relation peut alors s’établir, où il n’y a ni dominant ni dominé, mais une véritable collaboration. Chacun a un rôle à jouer, chacun est lui-même, le regard extérieur du professeur est précieux, l’intelligence de l’élève est un enseignement ! Elles viennent peut-être confirmer de manière originale ce qui avait été entrevu de notre humanité.
La beauté d’une relation enfin humaine est alors une bénédiction de la vie, elle ne peut que nous inspirer la plus profonde gratitude. »
Revue Française de Yoga, N°31, « Transmettre. », janvier 2005, pp.117-121.