L’expérience de sage-femme couplée à une formation de psychophonie a permis de développer des cours de chant en groupe à destination des femmes enceintes et des jeunes mamans. L’épanouissement de la mère comme de l’enfant en constitue la finalité.

Depuis 1977, en tant que sage-femme, j’applique la psychophonie en maternité et désire faire partager l’expérience de ces mères et de ces enfants chantants.

Le temps de la gestation va être un moment particulièrement privilégié pour chanter. Temps « hors du temps » où tout devient possible, où les règles de la société ne se définissent plus de la même manière. Le « devenir mère » fait éclater les normes et tout semble réalisable.

La femme a très vite le désir de communiquer avec cet être qui se développe en elle et les réflexes archaïques de la parole vont surgir, souvent avec étonnement. Dans cette écoute des changements de son corps, un dialogue subtil s’installe entre l’enfant et elle.

Dans la Chine ancienne, il y avait un chef de cuisine et un maître de musique désignés qui se tenaient à la porte des appartements de la femme enceinte et qui, chaque jour, devaient confectionner le plat ou la mélodie correspondant à l’évolution de son état, de façon à apporter le meilleur au foetus.

Dans notre société, pour que le passage au chant prénatal puisse se faire, il faut savoir lâcher les appréhensions du qu’en dira-t-on, utiliser des possibilités vocales qu’on croit inexistantes, oser aller à la découverte de soi sans tenir compte des remarques de l’entourage bien intentionné et bien éduqué qui dit de se taire. L’apprentissage du son modulé va permettre à la femme d’utiliser au mieux ses propres énergies et de « baigner » le bébé in-utero de ses vibrations sonores, car quand il parle et surtout quand il chante, l’être humain est à lui-même son propre instrument de régulation ; instrument qu’il faut apprendre à connaître et à accorder. Le chant est un art complet qui fait appel à nos facultés motrices, sensorielles et affectives. De là, l’homme global décrit par Marie-Louise Aucher.

Le chant va faciliter le développement de la personnalité, le côté relationnel avec l’entourage ; il va apporter une meilleure attention à soi et aux autres et donner une santé plus équilibrée et un mieux-être par la maîtrise corporelle et mentale acquise.

La psychophonie permet la mise en éveil des cinq sens et des lieux de résonances du corps, à la fois émetteur de sons et récepteur de vibrations émises par ce son. Elle détermine un passage régulier d’un état à un autre qui va occasionner chez la femme un véritable massage d’organes et déclencher un message affectif intense vers le bébé.

La mise en jeu du souffle, l’activation musculaire du corps (non par des exercices volontaires mais par une prise de conscience progressive des tensions), la connaissance physiologique des échanges sanguins et énergétiques entre la mère et l’enfant vont approfondir les sensations ressenties lors des vocalises et des chants spécifiques. La variété des mélodies passant des graves à l’aigu (et inversement) va faire bouger le diaphragme vers le fond de l’utérus et au travers du liquide amniotique. Le bébé recevra ces vibrations sonores, d’une part par la conduction nerveuse (peau) puis, vers cinq mois de grossesse (avec l’entrée en fonctionnement de l’oreille interne), rajouter la conduction osseuse. Ainsi les voix de la mère et du père vont permettre au bébé de développer très largement son sens de la réceptivité.

Dans la pratique, les séances de chant sont proposées aux femmes aussitôt qu’elles le désirent. Chaque semaine durant une heure trente, elles vont se retrouver et évoluer dans leurs découvertes. Au début, je fais un travail corporel: prise de conscience rapide de la similitude entre le corps et l’instrument. Tous deux doivent être en harmonie. Puis recherche de stabilité en position debout avec les points d’appui des pieds, relâchement des tensions, vocalises d’éveil, d’échauffement, respiration bien placée, activation de la circulation profonde par des mises en résonances osseuses. Tout cet ensemble va préparer les chansons.

L’un des principes de mémorisation du répertoire proposé est la mise en réceptivité de la peau et du système nerveux. Le choix se fait selon le désir des femmes ou ce que je souhaite leur faire ressentir : berceuses, chansons traditionnelles, chansons poétiques et émouvantes, créations spécifiques pour la grossesse. A cette occasion, le soutien d’un instrument comme le piano est d’une aide précieuse pour l’écoute des harmoniques musicales. Nous sommes alors attentives aux réactions des bébés, soit dans le ventre, soit nés et présents lors des séances. Echanges et partage dans le groupe sont favorisés.

Je suis souvent interpellée par les mouvements du corps que les jeunes femmes laissent surgir spontanément durant les chansons. Cela m’a permis de développer tout ce qui est rythme et balancement à partir de nos pulsions biologiques fondamentales qui nous portent. On sait maintenant l’importance de ces balancements au niveau du cerveau, le liquide céphalo-rachidien étant différemment stimulé dans les aires droite et gauche dans les mouvements latéraux ou dans l’axe avant/arrière. Les travaux de Marcel Jousse sur la mémoire orale dans les traditions hébraïques (1) m’ont fait affirmer que des balancements assez prononcés au niveau corporel, avec des changements d’axe pour l’enfant semblent lui apporter un sentiment de sécurité profonde en axe latéral et exciter son cortex, facilitant la mémorisation des messages envoyés en axe avant/arrière. Lorsque l’enfant est né, je propose aux mères de reprendre avec les chansons les balancements, et de regarder les réactions de celui-ci.

A ce moment aussi, les chants rythmés seront très importants. Les rythmes syncopés (en musique 2/3-6/8-jazz) rappelleront à l’enfant le chevauchement permanent du coeur de la mère avec le sien et le calmera. Je prévois toujours dans les séances un temps pour les échanges entre les personnes du groupe (mères entre elles, mères/pères, mères/bébés). C’est souvent le moment des détentes… massages dans le dos, liquidation des tensions par des notes jouées sur le corps.

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Revue française de Yoga, n° 7, « La voix: une voie », janvier 1993, pp. 179-182

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