Le Monde du Yoga

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Le coeur et la « prière du coeur » chez Nicphore le Solitaire

Publié le 29 mars 2005

Nicéphore propose tout un cheminement vers Dieu dans lequel la prière est un but et non un moyen : depuis la prise de conscience de notre ignorance naturelle de nous-mêmes et de Dieu jusqu’à la joie spirituelle et la communication avec Dieu. C’est notre intellect qui doit travailler, et s’aider de la volonté pour prendre le chemin de notre cœur.

« Le traité « Sur la sobriété et la garde du coeur », d’un certain Nicéphore surnommé « le moine solitaire », est sans aucun doute l’une des descriptions les plus succinctes et les plus hautes en couleur de la technique mystique utilisée au sein du christianisme orthodoxe par les moines hésychastes. »

« Il est divisé en trois parties. La première, relativement brève (p. 18-19 de l’édition), définit le contexte de l’enseignement et sa finalité. L’auteur s’adresse à des moines qui espèrent découvrir le « Royaume des cieux qui est au-dedans d’eux » (3). Quiconque désire trouver ce Royaume, doit nécessairement entrer en lui-même, donc « pénétrer dans son coeur ». Mais comment peut-on « entrer dans son coeur » – voilà la question éminemment pratique à laquelle on va s’attacher et dont l’examen constitue la matière du traité. »

« (…) notre auteur propose dans la deuxième partie de son traité un florilège de citations empruntées tantôt aux biographies de quelques mystiques célèbres, en commençant par le premier anachorète ou ermite, Antoine « notre grand Père », et tantôt aux écrits de quelques maîtres éminents de spiritualité, tels Diadoque de Photicée (env. 400-485) et Syméon le Nouveau Théologien (949-1022). Eux tous insistent sun la nécessité de « veiller » sur le coeur et sur l »intellect », de faire entrer ce dernier dans le coeur, et de veiller aussi à rester « sobre ». A la fin de cette deuxième partie (qui couvre les pages 19-26 de l’édition), un auditeur (ou lecteur) se déclare assurément satisfait de ce qu’il vient d’apprendre, tout en souhaitant que le maître explique encore plus clairement la notion qui semblait sous-jacente à toutes les citations mais qui en tant que telle n’avait été qu’effleurée : celle de l' »attention », la prosokhê. Qu’est-ce que l’ « attention » ? Comment peut-on l’obtenir et la vivre?

C’est pourquoi Nicéphore abonde dans une troisième partie (p.26-28) de front l’étude de ce terme clef de la spiritualité orthodoxe : l’attention », la prosokhê. Il en donne une définition, puis une description plus ample, et il termine son enseignement en proposant quatre méthodes susceptibles de conduire à sa réalisation. »

« Précisons ici que dans les textes de l’ancienne spiritualité chrétienne, le « coeur » et l’ « intériorité  » – le « dedans » – sont des expressions interchangeables. Ces auteurs sont en effet redevables à la tradition biblique, surtout hébraïque, qui considère le coeur comme l’organe de la pensée, de la volonté et de la prise de décision. L’homme intérieur, celui qui cherche et se fraie sa voie à travers les vicissitudes de l’existence et qui tente de les comprendre, réfléchit, agit et s’exprime dans et par le coeur. Et c’est là aussi, selon les Pères de la spiritualité chrétienne, que réside en tout être humain la Présence divine ; c’est là qu’il est possible de la rencontrer et de s’unir à elle.

Seulement le point de départ de l’enseignement de tout maître de spiritualité implique que la Présence divine, le Royaume des cieux en nous, est obturée, oubliée et méconnue. Nicéphore nous explique qu’à la suite de la désobéissance d’Adam, l’humanité a été « précipitée dans le gouffre de la mort, des ténèbres et de la perdition ». (…) l’homme « naturel », l’homme empirique qui naît au monde, l’homme qui n’a pas reçu la formation initiatique, est incapable de connaître spontanément son identité véritable : la Présence du Divin en lui, voire sa parenté avec le Divin (quelles que soient par ailleurs les tentatives de définir plus concrètement cette parenté). L’homme est par conséquent toujours obligé de suivre une Voie, de s’astreindre à une pratique appropriée, à une pratique qui lui permettra, s’il persévère, de rejoindre la Vérité ultime qui est en lui. »

« L’être humain naturel, livré à l’ignorance, est en effet aliéné à lui-même. Il est invité à se retrouver. Et Nicéphore de préciser immédiatement que « remonter à nous-mêmes », c’est « pénétrer en nous-mêmes », c’est entrer dans notre coeur. »

« C’est le noûs de l’homme, son intellect, qui est appelé à pénétrer dans le coeur. »

« Toutefois, au départ, avant de recevoir l’illumination, le noûs divague, il est vagabond. Il s’intéresse à mille choses, se préoccupe d’affaires petites et grandes, est agité par des soucis, s’inquiète de la survie du corps et songe au rôle qu’il se croit appelé à jouer au sein de la société. Le noûs est victime d’une dispersion qui l’empêche de s’affermir en lui-même. C’est pourquoi les Pères cités par Nicéphore soulignent volontiers qu’il y a une première tâche qui incombe toujours au nous : la tâche de la concentration, de la lutte contre la dispersion. Il faut « rassembler l’intellect », l’unifier, et « veiller » sur lui. D’exubérant et volage qu’il est au départ, il doit devenir « sobre ». »

« Quand cette première tâche est achevée et que le noûs du pratiquant est concentré, « rassemblé », « sobre », donc restitué dans sa simplicité et dans sa pureté propre et que l’aspirant a pris l’habitude de « veiller » sur lui, le moment est venu de l’introduire dans le coeur et d’y observer ce que les Pères cités par Nicéphore appellent « la veille intérieure » ou « la garde attentive » du noûs. »

« De nombreux mystiques, juifs autant que chrétiens, se réfèrent volontiers à un verset clef du Cantique des cantiques biblique : « Je dors, mais mon coeur veille » »

« (Nicéphore) commence par mentionner quatre définitions de la prosokhê qui toutes, nous dit-il, se recouvrent ou se complètent parfaitement : « garde de l’intellect (noûs) », « veille ou garde (de l’intellect) dans le coeur », « sobriété », « calme retraite (hêsykhia) du noûs ». »

« (…) la pratique de l’attention consiste à admettre son ignorance et son éloignement de Dieu (son « Péché ») ; à se détourner résolument et définitivement d’une existence qui prétend s’accomplir dans un état de séparation d’avec Dieu, à s’ouvrir à la miséricorde divine qui est prête à accorder la vision de la Présence, à stabiliser l’intellect (noûs) en supprimant les « pensées distrayantes » (logismoi). L’attention se déploie donc en une sorte de processus ; c’est un cheminement. Elle a un côté négatif : il s’agit de tourner le dos à tout ce qui n’est pas Dieu ou opposé à sa volonté, et un côté positif : il faut s’ouvrir à l’action et à la présence de Dieu. »

« Nicéphore propose successivement quatre voies ou démarches moyennant lesquelles on obtient l’attention, c’est-à-dire l’entrée du noûs dans le coeur. »

« (3e méthode ) Assis, l’aspirant doit « ramasser son intellect », le concentrer en éliminant toute distraction. Ensuite, le noûs ainsi « condensé » sera confié à l’air inspiré. Véhiculé par l’air, le noûs descendra vers le coeur. Concrètement, cela signifie que l’intellect du pratiquant se fixera sur l’air et suivra attentivement sa progression, dans les narines, à travers le larynx et dans la trachée, jusqu’au coeur. Cette technique exige une volonté implacable de réussir, et un effort de concentration, voire de visualisation peu ordinaire ; le maître insiste en effet sur la nécessité de « forcer » le noûs à se laisser porter par l’air inspiré. Il faut le presser pour qu’il accepte de pénétrer dans le coeur. »

« La quatrième méthode, Nicéphore affirme l’avoir mise personnellement à l’épreuve et l’avoir trouvée efficace. Elle ne fait pas appel au noûs et à ses dimensions et fonctions exceptionnelles, mais seulement à la « faculté pensante » (logistikon) de l’âme. »

« Il faut « enlever à la faculté pensante toute pensée distrayante », »

« Selon notre auteur, la pratique assidue et continuelle de cette prière « dans la poitrine » finira par « ouvrir l’entrée du coeur ». »

Revue Française de Yoga, N°5, « L’espace du coeur. », janvier 1992, pp.101-116.

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