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Le mouvement et le repos

Publié le 07 février 2004

C’est généralement dans le mouvement que l’on détecte la vie, et l’analyse philosophique comme scientifique a de ce fait accordé une place large à l’étude du mouvement. Ce qui ne doit pas faire oublier que le mouvement sans le repos n’est pas pensable, comme le rappellent les traditions religieuses d’orient et d’occident.

[…]

Danser est un acte du corps qui manifeste la vie dans tous ses états: l’amour, la paix, le travail, la guerre, etc.
On danse beaucoup dans la Bible et, de nos jours encore, on danse en Israël. Il suffit d’écouter la musique hassidique élaborée au cours des siècles pour découvrir l’originalité de cet élan chorégraphique. On danse certes en l’honneur de Dieu mais aussi pour les hommes à l’heure de la moisson, des vendanges, d’un mariage etc.
Les Gitans ont aussi leurs danses et le violon tzigane est parfois endiablé. […]

La danse indienne possède ses propres caractéristiques, on pourrait même dire son propre mystère. Elle se situe d’abord dans la mouvance d’un Dieu qui danse: Shiva Nâtarâja. C’est lui le seigneur de la danse qui détruit le monde et sans cesse le refait par le mouvement de son corps divin. Les danseurs et danseuses indiens demeurent, au moment de leur prestation, portés par l’énergie du Dieu. La danse devient ainsi un acte du corps de portée métaphysique, le moment d’un contact avec le monde surnaturel.
Dans une autre tradition indienne, vishnouïte cette fois, une autre forme de danse révèle le secret d’un enchantement spirituel. L’ acteur est ici Krishna, une incarnation de Vishnou. Krishna est souverainement beau et toutes les femmes de son village sont amoureuses de lui. Le divin jeune homme décide alors de donner une leçon spirituelle aux bergères. La flûte du Dieu retentit et bientôt s’organise une ronde. Cette danse est en fait un piège magique. Chacune des participantes à cette évolution se croit être l’élue, la préférée du jeune Dieu. Cette danse en effet, ne connaîtra pas de fin, elle affirmera une certitude: chacun peut recevoir du dieu sa part d’amour et s’estimer comblé. La danse devient ainsi le moment d’une révélation essentielle. Ce dieu est le Bhagavant, celui qui a toutes les parts et peut donner tout son amour à chacun sans rien perdre de sa majesté.

Une certaine approche de l’Islam révèle que la danse a été pratiquée sous l’effet de certaines musiques dont les adeptes du soufisme gardent toujours le secret. Le Samâ est une réunion de fidèles qui comporte à la fois la musique et la danse. En un sens, le Samâ rejoint le Dhikr qui est le souvenir du nom de Dieu indéfiniment répété. Mais cette pratique est immobile et solitaire. Seuls les mouvements de la tête contribuent à l’accès à un état mystique. Le Samâ par contre est collectif et fait souvent émerger un danseur dont les évolutions, parfois incontrôlées, ont pu déclencher la censure des autorités religieuses. […]

Après avoir évoqué quelques mouvements qui engagent le corps, il est bon de considérer les mouvements du coeur en entendant par là autre chose que la fonction cardiaque. Le terme d’émotion suppose une motion, un mouvement que l’on ne peut parfaitement décrire en s’en tenant au jeu des hormones et des autres fonctions organiques. Sortir de soi, aller vers l’autre, écouter cordialement sont des moments privilégiés de la vie active. C’est ainsi qu’il est possible de « passer vers l’autre » sans passer à l’autre en vertu d’une identification douteuse. Il en est ici comme l’acte d’un bon photographe qui, d’une part cherche à mettre au point son cliché, mais qui, plus profondément, cherche le meilleur angle de la prise de vue. […]

LE REPOS

Le terme de repos est souvent employé avec une signification restreinte. Le repos, alors, s’oppose au travail générateur de fatigue physique ou intellectuelle. Le repos fait partie du cycle de l’existence ordinaire, mais les humains ont inventé bien des moyens de se reposer.
Le repos peut être d’ordre matériel ou d’ordre spirituel selon la nature ou les moments des êtres qui se reposent.
Le repos du guerrier n’est pas le même que celui du mystique qui trouve son repos en son Dieu ou dans une forme transcendante de sagesse.
Le repos est l’art de se poser et l’esprit se réfère alors parfois à l’image d’un grand oiseau qui replie ses ailes pour retrouver son nid situé entre ciel et terre quand ce n’est pas au creux des vagues, comme ces espèces qui, pratiquement, ne quittent pas la mer.
L’image du grand oiseau, passeur de frontières a pris, dans la tradition de l’Inde, une valeur métaphysique. On le nomme « purusha », terme ancien qui signifie: monade spirituelle, mais aussi « Hamsa », nom qui signifie son indépendance par rapport à la matière. Pour l’Hindou, l’homme endormi est un passager embarqué pour le rêve à destination d’un autre monde.[…]

Le sommeil est une activité réparatrice et pas une simple détente physique. Cette réparation est produite par la création d’images et d’assemblages nouveaux.
On constate aussi que le rêve n’est pas qu’un doux bercement, c’est aussi le lieu de rencontres difficiles qui ne jouent pas uniquement sur l’horreur, l’angoisse ou la stupéfaction. Le cauchemar engage le dormeur dans la lice d’un tournoi dont il peut sortir vainqueur ou boule-versé. La mention d’un jeu souriant avec les femmes évoque par ailleurs un érotisme discret qui se rapproche de l’amour plus courtois que dominateur.
La tradition indienne des grandes Upanishad organise sa spéculation autour de la notion d’âtman, terme qui signifie: « ce qui respire ». Le vrai repos, pour l’homme consiste à reprendre son souffle, en entendant par là bien plus que la ventilation pulmonaire. Reprendre souffle est alors une descente dans les profondeurs de son être, c’est revisiter toutes les demeures cachées de sa vie. Le fil conducteur du repos ressemble alors à la descente d’un spéléologue qui découvre dans la nuit des gouffres les pierres immémoriales de sa propre existence.
Certaines traditions religieuses offrent à leurs dieux des formes de repos très différentes. Le repos de Vishnou et celui du Seigneur Dieu d’Israël divergent du tout au tout.
En Inde, entre deux épisodes cosmiques, les yuga, Vishnou repose dans une divine léthargie, couché sur l’immense serpent Shesha. Cet étrange reptile est, en fait, l’image de toutes les créations possibles que le dieu peut susciter au moment de son réveil. Le repos du dieu ressemble alors à un entracte dans le grand spectacle des créations successives.
La cosmogonie biblique est différente. C’est une genèse, une naissance engendrée par la Parole divine, souverainement efficace. On ne parle pas ici de préalable, de « prédonné » matériel. La création de l’homme est perçue cependant comme une fabrication spéciale et Dieu joue alors les potiers pour mettre au point les créatures – mâle et femelle, modelés à l’image du Seigneur lui-même. Il est dit aussi que Dieu planta un jardin paradisiaque doté de son système d’irrigation particulièrement bien soigné.
L’ensemble des travaux divins est reparti en six jours et, le sep-tième jour le Seigneur se repose […]
Pour la tradition juive, ce chômage de Dieu n’est pas un simple artifice de récit. L septième jour est un temps béni et ceci engage une autre conception de la temporalité. Ce temps consacré permet au fidèle de participer, en quelque sorte, à la vie divine. La course du temps, suspendue, dégage une ouverture sur l’éternité. On peut parfois s’interroger sur certains aspects obsessionnels de la pratique du Sabbat, on ne peut remettre en question la valeur spirituelle de cette institution.
La tradition chrétienne a fait du dimanche le premier jour de la semaine et la célébration de la Résurrection du Christ. C’est le jour du repos, un jour quelque peu estompé par le samedi qui est souvent le moment d’une activité commerciale fébrile ou de déplacements automobiles rendus hasardeux par les encombrements du trafic. […]

Revue française de Yoga, n°26, « Enchaînements », juillet 2002, pp. 9-22.

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