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Le puits de la mémoire

par Elie G. Humbert | Publié le 03 mai 2005

En encourageant dans un premier temps les pulsions inconscientes pour ensuite revivre une situation traumatique, la régression thérapeutique est à double tranchant : elle risque d’aggraver les psychoses mais peut aussi, si elle est réussie, réconcilier l’analysant avec sa propre histoire et son propre destin.

« Les méthodes que nous employons pour nous connaître nous imposent une reconnaissance croissante de la répétition. Jadis, on appelait cela le Destin et, comme on lui attribuait un rapport plus ou moins clair avec les dieux, on essayait d’en traiter avec eux. Aujourd’hui, le terme de répétition évoque 1′ « introduction à la médecine expérimentale » et renvoie chacun à soi-même. Il m’est arrivé d’être saisi jusqu’à l’oppression en observant à travers les années la reproduction imperturbable de schémas psychiques montés dans mon enfance ou hérités des générations précédentes. »

« La psychanalyse comporte, parmi ses développements, un processus qui attaque les ressorts de la répétition : la régression. C’est de lui dont il s’agit ici. »

LA REGRESSION THERAPEUTIQUE

« La régression thérapeutique parie non seulement que l’on peut revivre – d’une certaine façon – un état d’origine, mais encore le dénouer en sorte que les organisations qui le perpétuent se transforment ou sont progressivement vidées de leur énergie pour faire place à d’autres. »

« La régression sera, tout au long, un travail des complexes. »

LA RELATION D’ANALYSE

« Les régressions, qui comportent des désorganisations importantes, mettent doublement l’analyste en question. D’une part, est-il capable d’accueillir des états archaïques de « dévoration » et d’agression ? D’autre part, l’analyste est-il disposé à avoir un fragment d’histoire en commun avec cet analysant ? Une neutralité bienveillante ne suffit pas pour descendre avec quelqu’un le puits de sa mémoire. Il s’agit d’entrer dans son histoire. La réponse appartient au sentiment. »

CONDUITE DE LA REGRESSION

« L’analyse est un drame, c’est-à-dire un ensemble de scènes émotionnellement et affectivement revécues, dans la tension qu’impose le non-passage à l’acte. »

« Si l’analyste peut faire avorter une régression, celle-ci n’est cependant pas son oeuvre. Il ne la conduit pas. Elle est un processus avec ses lois et son timing propre. »

LA REGRESSION COMME PROCESSUS: LES ETAPES

« La régression commence par la déconstruction de la persona. Travail minutieux, qui tantôt suit les jointures des compensations et tantôt casse une par une les images, les idées, les habitudes et les valeurs. Il dit « non » mille fois afin que les évidences finissent par céder. L’analysant perd son langage et quelquefois l’orientation dans le temps et dans l’espace. »

« La persona en déroute laisse voir un affreux mélange de psychologies malades, dont nous aurons à nous occuper longuement, mais nous entrevoyons, parfois, au fond de la régression, une enfance mystérieuse. »

« Certains conflits doivent être résolus avant que le psychisme puisse aller plus loin. C’est pourquoi la régression ne suit pas un schéma linéaire de mise à plat ou de retour à une bifurcation mal prise. Un homme qui souffrait d’un traumatisme des premiers mois de la vie n’a pu y revenir – alors qu’il en avait le souvenir – qu’après avoir longuement et complètement vécu la séparation d’avec la mère. Le deuil, qu’il n’avait jamais pu faire jusqu’alors, a dû être accompli avant qu’il puisse revenir à la blessure qui lui avait rendu le deuil impossible. »

« La réactualisation du passé-toujours-présent se produit dans la tension d’une relation entre deux personnes. Ainsi, les complexes – ici : ombre, mère, père se remettent en scène et peuvent se transformer puisque le scénario évolue différemment.

C’est la caractéristique de la régression analytique par rapport à d’autres modes qui paraissent analogues : régression solitaire, régression névrotique, abréaction, décompensation, dépression mélancolique. Les techniques qui visent à opérer un déconditionnement rapide afin de réactiver des états archaïques risquent de ne provoquer qu’une abréaction temporaire, dans la mesure où leur manque une longue interaction et où elles ne s’appuient que sur un transfert magique. »

LES FORMES ET LES DYNAMIQUES DE LA REGRESSION

« Le verrou de la répétition se situe dans la période où un complexe s’est formé. Lorsqu’un adulte revient à lui-même, il en trouve généralement plusieurs, articulés l’un à l’autre et scellés dans l’environnement. Pour libérer les forces ainsi prises et laisser l’organisation psychique évoluer, il ne suffit pas de se souvenir. Il est nécessaire d’atteindre l’engramme dans le corps. La régression diffère radicalement de l’anamnèse en ce qu’elle opère, par le biais de l’émotion, une libération énergétique. Elle est une réactualisation, une réminiscence, au sens platonicien du terme. »

« Jung disait qu’ « il faut boire le complexe jusqu’à la lie ». Cela signifie que la régression doit aller jusqu’au bout d’une inscription lorsqu’elle est engagée dans cette voie. L’enjeu est grave. La plupart des thérapies analytiques s’en tiennent au souvenir ému et aboutissent à un aménagement des complexes, qui satisfait aussi bien le thérapeute que le patient. Par contre, si on est amené à entreprendre une régression et que l’on n’atteint pas son noyau, on risque d’élaborer au-dessus et de provoquer un clivage. »

« La régression travaille avec l’histoire. Lorsqu’elle échoue, l’état du sujet est pire qu’auparavant, mais celui qui a revécu et souffert à nouveau une blessure ancienne en sait plus de la vie que s’il s’était développé sans cette peine. »

« Pour Jung, ce déplacement est un risque de psychose ou, tout au moins, de délire. Le noyau psychotique d’une névrose serait la part de la charge énergétique, de cet organisateur, qui n’a pas pu s’individuer dans les rapports concrets. Elle est porteuse d’une vie qui demeure enkystée, mais à s’en approcher le conscient risque d’éclater (cf. les rêves d’explosion atomique, dans lesquels se conjuguent fusion et fission). La régression tente d’établir là une relation. Elle en affronte les dangers. »

« (L’analyse) passe entre deux écueils:
– refuser la proposition de l’inconscient, interpréter en mettant l’accent sur son aspect pathogène et ramener l’analysant vers la tâche du deuil,
– encourager la régression en amplifiant l’imaginaire de l’analysant aux mesures de l’archétype, par exemple en développant l’espérance d’une deuxième naissance par le Retour dans l’utérus de la Grande Mère. Dans les deux cas, l’analysant ferait les frais du désir de son analyste.
Pour être thérapeutique, la régression joue de l’une et de l’autre attitude. »

« Il ne faut pas croire, en effet, que du seul fait de réactualiser une situation traumatique, la blessure se cicatrise, l’énergie se délivre, la libido reprend son cours. En général, il n’en est rien. Lorsqu’il retrouve un vécu ancien, le psychisme est dans le désarroi et le morcellement. (…)La seule chose que l’on sache d’avance est que l’analyste et l’analysant auront à supporter la tension de la crise pour qu’une transformation puisse s’opérer. »

L’ENFANT ET LE PRIMITIF: SE RECONCILIER AVEC SOI-MEME

« Ainsi s’achemine une réconciliation avec soi-même. Non pas que la régression abandonne un faux-moi pour en découvrir un authentique. La persona malade est moi-même et lorsque je vais au fond de mon histoire, ce n’est pas seulement moi que je trouve, mais la façon dont je suis fait par les actes des autres. A travers cette conscience, on se réconcilie avec son destin. »

Revue Française de Yoga, N°11, « La mémoire. », janvier 1995, pp.63-81.

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