Le rêve : de la désillusion à la réconciliation
Publié le 17 mai 2005
Le rêve et son analyse sont une chance qui nous est donnée de dialoguer avec notre inconscient au lieu d’être en conflit avec lui, et ainsi de parvenir à une harmonie où corps et esprit, sentiment et savoir, instinct et intellect, passion et raison s’équilibrent et où nos polarités internes se réconcilient.
« Perfection, idéal, absolu… : autant de termes qui traduisent les espoirs de certains d’entre nous en nous engageant sur le chemin du yoga à la recherche d’une vérité, voire de LA vérité. J’ai moimême nourri cette attente. Et elle m’apparaît aujourd’hui comme l’expression d’une insatisfaction profonde, d’une rupture avec mon intériorité.
Le rêve, cette porte ouverte sur l’inconscient, m’a permis de reprendre contact avec toute une part de moi-même, profondément enfouie au fil des expériences de la vie. Et si j’aspirais à l’unité – cette unité que toute religion, orientale comme occidentale, nous invite à redécouvrir – c’est ma dualité que j’ai retrouvée et appris à aimer à travers le couple conscient-inconscient. Cette dualité que la nature déploie sans cesse autour de nous avec la nuit qui succède au jour, le chaud qui s’oppose au froid, le doux à l’amer… et qui témoigne de notre imperfection quand il s’agit du bien et du mal, ou de notre finitude, avec la vie et la mort.
En fait de vérité, – une vérité que j’aurais souhaitée immuable -, j’ai approché, au-delà des contenus personnels de l’inconscient, cette part d’ombre présente en chacun de nous, un monde où l’absurde et l’incohérence prennent un sens parfois teinté d’une grande sagesse. Une entité de mouvance et de mystère d’autant plus difficile à reconnaître qu’elle est soustraite à notre volonté et à notre rationalité, mais pourtant douée d’une créativité et d’une intelligence surprenantes, qui peut nous apprendre beaucoup si nous lui portons l’attention nécessaire. »
« Le yoga que je n’avais abordé jusqu’alors qu’avec la volonté et la conscience a pris un autre sens. Il a cessé d’être ma vie. Il a cessé d’être la voie. N’étant plus dans l’attente, j’ai découvert et découvre encore sur son chemin des richesses que je ne soupçonnais pas. « Quand le désir de prendre disparaît, les joyaux apparaissent », dit un adage du yoga. J’ai compris aussi que l’Absolu – qui signifie étymologiquement délié, non-dépendant – que je convoitais et dans lequel je me projetais n’est encore pour moi, être humain si dépendant, qu’un mirage, mais que la relation avec soi-même, avec l’autre, est d’abord à faire, toujours à parfaire. »
UNE VISION UNILATÉRALE DE L’ÊTRE HUMAIN
« A travers la dépréciation du corps, l’homme fuit sa nature instinctive. Il est vrai que l’instinct relevant de l’inconscient, de l’incontrôlable, fait peur. Est-ce pour cette raison que l’homme civilisé cherche à dompter les forces de la nature extérieure, comme celles de sa propre nature ? Mais la nature, si elle semble docile, s’exprime parfois sauvagement sous forme de cataclysme, et l’homme n’a plus qu’à courber l’échine devant le déploiement d’une puissance qu’il n’avait pas voulu reconnaître. Même si la raison et l’intellect sont l’apanage de l’homme social évolué, il m’apparaît que l’instinct en nous ne peut pas non plus être renié. Il revendiquera son droit à l’existence avec d’autant plus de violence qu’il aura été violemment réprimé.
« Etre lié à la terre ne signifie point que l’on ne puisse grandir; au contraire, cela en est même une condition sine qua non. Nul arbre noble et de haute futaie n’a jamais renoncé à ses racines obscures. Non seulement il pousse vers le haut, mais aussi vers le bas ».
Il s’agirait peut-être de rouvrir la porte au « pauvre Diable » qui nous renvoie par son apparence mi-homme mi-bête à notre animalité, notre humble origine enfouies dans les régions obscures de la psyché. La lutte et l’accusation ne vont pas dans le sens d’une réconciliation. Il est intéressant de noter dans certains mythes centraux-asiatiques et européens l’existence d’une identité de substance entre Dieu et Satan, voire même d’une collaboration à la création du monde, Dieu n’ayant pas la puissance nécessaire pour le réaliser seul. »
« Pour cette raison sans doute, mais aussi parce que nous vivons dans une société matérialiste et rationaliste, les valeurs féminines telles que la sensibilité, la réceptivité, le sentiment sont considérées comme des faiblesses, voire des bassesses. La priorité est donnée à l’agir et à l’avoir.
L’Occident boîte. Son appréhension de la vie reste unilatérale. Qu’il s’agisse du mal par rapport au bien, de l’instinct par rapport à la raison, du passif par rapport à l’actif, du féminin par rapport au masculin, il a dévalorisé, voire rejeté une polarité au profit de l’autre. En tant qu’Occidentaux imprégnés de ces valeurs, notre quête pour aller vers l’unité n’en est rendue que plus difficile. »
« Etrange sensation que celle de pouvoir agir sur une situation, au sein même de cette part de la psyché que nous ne pouvons contrôler… Formidable encouragement à aller au-devant de ce qui git au plus profond de nous-mêmes – même lorsqu’il s’agit de nos monstres intérieurs-, lorsque l’enjeu est la possibilité d’instaurer un lien avec ces profondeurs inconscientes qui nous manipulent tant que nous refusons de reconnaître leur existence.
Mais nos réticences à scruter cette obscurité sont bien compréhensibles. Ce que nous signifie un rêve n’est pas toujours réjouissant, – bien que toujours enrichissant-, car il peut aussi mettre en scène une épreuve redoutable, un cap à franchir. »
UN MESSAGE COLLECTIF: VERS L’UNION DES CONTRAIRES
« Et puis, si les rêves nous permettent l’accès à un inconscient personnel, ils semblent parfois toucher à une dimension beaucoup plus universelle. On y retrouve des symboles mythiques – qui semblent concerner l’histoire de l’humanité toute entière-, appartenant à l’inconscient collectif dont Jung nous dit qu’il est « identique à lui-même dans tous les hommes et qu’il constitue ainsi un fondement psychique universel de nature supra-personnelle présent en chacun ». »
UN ACCORD POSSIBLE ET FECOND
« Chaque posture de yoga, en nous invitant à trouver l’équilibre entre aisance et fermeté, nous mène vers ce dialogue et ce compromis. Lorsqu’on impose trop brutalement à un muscle un étirement, il se défend et se rétracte plutôt que de s’abandonner. Il n’y a plus dialogue, mais conflit. Un conflit qui peut devenir harmonie, si nous acceptons de considérer avec respect ce que nous avions rejeté et combattu jusqu’alors. De cette acceptation, naîtront peut-être un accord et une énergie nouvelle qui pourront enfin être utilisés en vue d’une transformation et non d’une guerre épuisante et inutile de soi-même contre soi-même.
« Les semblables ont un accord facile.
Les contraires ont un accord fécond », dit un proverbe chinois.
Dans notre relation à l’autre, ces mêmes possibilités nous sont offertes : l’opposition qui, lorsqu’elle est systématique, est subie plutôt que choisie ; ou la conciliation. L’autre, en effet, à l’image de l’inconscient, est ce qui est difficile, voire impossible à cerner, ce qui est différent. C’est aussi, lorsque cette différence fait peur, ce que l’on voudrait fuir ou contrôler et qui n’en apparaît que plus menaçant. »
Revue Française de Yoga, N°17, « Rêver. », janvier 1998, pp.227-244.