Le silence
Publié le 18 septembre 2003
Ouverture à l’autre ou réflexion, au sens premier du terme, le silence n’envahit pas l’autre, il est compréhension et respect de ce qui n’est pas l’ego. Il peut s’avérer pesant, mais alors il faut en conclure qu’il est lourd de sens. Et en effet, il est souvent retrait par rapport au futile ou au stérile. Retrait par rapport à ce qui ne donne pas sens à la vie.
« Parler du silence semble une contradiction visible si l’on définit le silence par une absence de bruit, absence de mots. Tout l’effort doit donc porter sur la qualité du son que le silence met en question.
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Le discours, cependant, n’est pas fait uniquement de sons. Il comporte des silences qui sont, eux-aussi, significatifs. La musique le sait, qui possède des signes pour dire la pause, le silence, le soupir. Quand le langage respire, on « entend » les silences intersticiels qui permettent aux mots de retentir, de livrer les harmoniques profondes de leur signification. Par contre, certains malades du parler ont une élocution que l’on compare volontiers au tir de la mitrailleuse. Cette agression sonore rend son auteur inintelligible et provoque souvent des réactions pénibles. Ce défaut peut provenir d’une nervosité maladive, il s’origine aussi dans la bêtise.
Le silence, donc, fait structurellement partie du langage conçu comme moyen de communiquer et non de s’imposer.
On remarque d’ailleurs qu’un être dont le parler respire est aussi capable d’écoute. Le sens du dialogue est plus fait d’écoute que de propositions et la rigueur d’une discussion consiste surtout à bien entendre (ouïr et comprendre) ce que l’autre a dit.
On se méfie tellement du langage, lorsqu’une discussion s’organise, qu’on a institué des présidents de séance et des modérateurs pour rétablir une communication que ne permet pas le langage asphyxié par la précipitation.
[…]
Le bavard a toujours quelque chose à raconter. Ce faisant, il se raconte et, ce faisant, il a l’impression d’exister. Cette existence verbale met en avant non la personnalité profonde du parleur mais son surmoi qui, loin de l’orienter vers l’autre, le ramène toujours à lui-même. Est-il d’ailleurs vraiment lui-même, ce bavard impénitent? Il vaut sans doute mieux que sa bavasserie; et s’il nous accordait une seconde de répit, un instant de silence, il serait alors possible de distinguer son vrai visage, celui de l’enfant attentif qui demeure enfoui.
Mais, le bavard qui casse les oreilles de la compagnie, se double souvent d’un bavard intérieur. Les taciturnes ne sont pas exempts de ce défaut qui peut être aussi une souffrance.
[…]”
Les carnets du Yoga, n°98, avril 1988, pp. 2-4.