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Le végétarisme, mythe et réalité

Publié le 16 septembre 2003

Le végétarisme relève autant d’une compréhension particulière des notions de pureté et de non-violence, que d’une conscience aigue des méfaits de la suralimentation moderne. A des fondements mystiques ou religieux se sont donc ajoutés un certain nombre d’arguments pratiques dont il ne faut pas minimiser l’importance.

« […]Le végétarisme est un système diététique excluant la consommation de chair animale, mais permettant celle de sous-produits animaux tels que laitages, fromages et oeufs. Cette définition est celle qui est communément admise dans notre société, mais nous verrons que des conceptions différentes existent selon l’origine et/ou les motivations profondes de ce comportement.

Définissons d’emblée le végétalisme qui, lui, exclut de façon impérative tout produit animal, y compris par définition les dérivés tels que les laitages et les cents, ce qui nous semble plus difficile mais pas impossible à équilibrer. […]

C’est surtout au XXe siècle que vont se produire les changements les plus importants avec le développement de l’industrie agroalimentaire et l’accroissement de la population, qui va entraîner l’utilisation de procédés nouveaux de conservation. Les changements concernent principalement les sucres, les huiles et les céréales.

Les sucres tout d’abord: les changements ont déjà eu lieu dans la première moitié du XIXe siècle. Depuis le blocus continental du début du siècle, le sucre extrait de la canne à sucre venant des Antilles ne parvenant plus en France, il fallut trouver une autre source : la betterave, très sucrée, fut utilisée ; on en a extrait le sucre blanc que nous connaissons, ne contenant que du saccharose, énergétique, certes, mais dépourvu totalement de sels minéraux et d’oligo-éléments indispensables. […]

Les farines ensuite : c’est environ dans la deuxième moitié du XIXe siècle qu’on a commencé à bluter le grain de blé, c’est-à-dire à le débarrasser de son enveloppe pour obtenir une farine blanche; cette enveloppe est formée de deux couches: l’une qui est le son, une fibre inassimilable mais néanmoins indispensable, l’autre, appelée couche haleurone, qui contient des protéines dont la valeur nutritive est équivalente à celle des protéines animales. […]

Les huiles enfin: pendant la seconde guerre mondiale, les restrictions étaient très importantes. C’est alors qu’on s’est rendu compte que presser à chaud des graines oléagineuses permettait pratiquement de doubler le rendement, et cette pratique s’est perpétuée; mais ce faisant, on provoque une modification chimique des molécules d’acides gras constituant ces lipides qui, de ce fait, perdent leurs qualités de biocompatibilité, et peuvent même parfois devenir nocives. Les manipulations pratiquées sur ces corps gras, non seulement pour en obtenir davantage, mais aussi pour éviter leur rancissement et favoriser leur conservation, ont fait aussi disparaître par procédé chimique les vitamines F contenues dans ces nutriments.

[…]
MOTIVATIONS MAJEURES DES VÉGÉTARIENS

Raisons religieuses et mystiques

Ces raisons sont en relation avec deux grands principes: une notion de pureté, et le désir de ne pas nuire à quiconque, donc l’observation de la non-violence envers des êtres vivants de même règne animal. En Inde, ces injonctions et ces considérations ne sont à observer que pour la caste des brahmanes et surtout pour les plus orthodoxes d’entre eux car ce n’est nullement une obligation, mais la volonté de rester pur et surtout de ne pas nuire[…]. La pureté dont il est question tient à ce besoin de propreté, ce yama nommé shauca qui implique une propreté aussi bien physique que surtout psychique; or une chair animale pouvant se putréfier devient de ce fait totalement impure et génère des toxines.
[…]
D’autres populations que les hindous sont strictement végétariennes pour des raisons éthiques, comme les Mormons en Amérique, et dans d’autres religions comme l’islam et le judaïsme règnent des règles alimentaires très strictes quant à la façon de tuer rituellement les animaux pour en extraire totalement le sang, symbole de vie.
[…]
Arguments économiques et écologiques

[…] Déjà en 1990, un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé insiste sur le fait que la teneur en gras de la chair animale n’est pas, comme on le croit, un critère de qualité, mais au contraire un danger pour la santé : or les éleveurs se croient obligés de recourir à des pratiques intensives pour satisfaire ces goûts et engraisser les animaux de boucherie.

Par ailleurs, si la tendance n’était pas exclusivement axée sur la production massive de viande, on aurait moins besoin de céréales fourragères et quantité de surface de terres cultivables servirait à la culture de céréales et de légumineuses riches en protéines consommables par l’homme, ce qui résoudrait, tout au moins en partie, le problème de la faim dans le monde.

Il est un autre problème très préoccupant : c’est celui des réserves d’eau qui risquent de s’épuiser si l’on réalise que 100 litres d’eau suffisent pour produire une livre de blé alors qu’il en faut plus de 1500 pour obtenir une livre de boeuf! Toujours à propos de l’eau, on estime que la quantité d’eau requise pour les besoins alimentaires d’un omnivore pendant un mois suffirait à nourrir un végétarien pendant une année.
[…]
Considérations médicales

Depuis déjà de nombreuses années des rapports de l’OMS ont dénoncé la responsabilité de la façon de se nourrir dans l’éclosion et la multiplication de maladies dites de nos jours, de civilisation: car, si dans nos pays les conditions de vie se sont considérablement améliorées, s’il est rare de mourir de faim, il est par contre évident que l’on meurt du « trop » : trop en quantité, trop de sucre, trop de graisse, et de graisses issues de la chair animale dopée comme nous l’avons déjà vu. Alors, on peut constater que se multiplient les cas d’obésité, et les maladies de surcharge qui à la longue aboutissent à l’épuisement des organes de détoxication: il s’agit de l’éclosion de diabète à la maturité, de maladies cardio-vasculaires, d’hypertension artérielle et aussi de cancers, sans compter toutes les maladies auto–immunes qui étaient peut-être latentes chez certains individus et qui s’extériorisent dans certaines conditions. On chiffre environ à 30 à 40 % les maladies directement reliées à ces causes. […]

Si autrefois le corps médical préconisait la consommation de viande deux fois par jour, actuellement nombre de médecins et surtout ceux qui se préoccupent des maladies de civilisation dont nous avons parlé, affirment que manger de la viande deux fois par semaine serait suffisant en choisissant de préférence des viandes maigres ; et mieux disent-ils, manger du poisson dont les graisses sont meilleures pour la santé et qui, de toutes façons, même gras, sont plus maigres que les viandes les moins grasses.

Vers le milieu des années cinquante, des chercheurs ont eu l’idée de mener une étude comparative entre les mortalités par maladies graves et notamment cardio-vasculaires dans sept pays occidentaux. Pendant une quinzaine d’années, et semaine après semaine, un millier de personnes furent suivies. Les résultats des statistiques effectuées montrèrent d’énormes différences entre les pays : ainsi, en Finlande il y avait le taux record de 97,2 % de décès par maladie coronarienne, 77,3 % aux États Unis, 63,6 % en Hollande, alors que la Crète n’en comptait que 3,8 %. C’était le taux le plus bas.[…] Au début, on a pensé que le climat, le mode de vie, l’absence de stress et la moindre pollution pouvaient être en cause, parce qu’à cette époque-là on pensait encore très peu à une possible influence de la nourriture, d’autant que, ce qui peut paraître paradoxal, le taux de cholestérol des Crétois s’avérait légèrement supérieur à celui des autres groupes. (Nous savons depuis qu’il existe deux types de cholestérol et que le taux du cholestérol total compte moins que la teneur de ce que l’on appelle le bon cholestérol, justement généré par le type de nourriture prédominant en Crète). On a donc fini par comprendre que c’était la nourriture qui faisait toute la différence.

La base de la nourriture des Crétois se compose de céréales complètes, de légumes, de fruits, d’un peu de viande de mouton, mais surtout de poissons de coquillages, de yaourts et de très peu de vin. Des légumes secs accompagnent les céréales (pois chiches, fèves, lentilles, ce qui complémente les acides aminés indispensables pour constituer des protéines complètes, semblables à celles fournies par les chairs animales). L’huile d’olive est partout présente : elle est utilisée pour tous les assaisonnements, pour les cuissons, et l’on connaît maintenant les vertus de cette huile composée surtout d’acides gras mono-insaturés, tout à fait favorables à la bonne santé du coeur et des artères. […]

Ce qui m’intéresse aussi beaucoup est l’aspect symbolique de la nourriture, car je reste persuadée que nos aliments deviennent le support d’une manière d’être, qu’ils sont l’équivalent humain de l’instinct animal. C’est à travers le double écran du tonus émotif et de la valeur symbolique que nous choisissons des aliments dont le but inconscient est de combler nos besoins. […]

Chacun va rechercher dans sa façon de s’alimenter le type d’être qu’il aimerait représenter: ainsi verra-t-on davantage le bon vivant qui aime faire des excès comme quelqu’un de pléthorique alors que le végétarien sera plutôt perçu comme pâle et éthéré. Par ailleurs on aime en général l’alimentation qui était servie par sa mère, et toute civilisation s’est construite autour de la famille, dans des rites très simples. Les troubles sociaux actuels ne pourraient-ils pas être en relation avec la perte de la structure familiale, l’absence de plus en plus fréquente du père et la fragilité des relations conjugales?

Actuellement, le désir de l’aliment naturel est une forme de refus de la vie industrialisée, car en mangeant un aliment on communie avec le type de civilisation qui l’a produit. L’aliment partagé reste un geste fondamental, un magnifique lien social. L’aliment a une signification sacrificielle. Puis il a acquis un sens de récompense en tant que fruit du travail: on connaît bien l’expression « gagner son pain à la sueur de son front « .
[…]
Je dirai que c’est à travers ce que nous mangeons que nous choisissons ce que nous souhaitons être, ou encore, pourrait-on dire, notre façon de nous alimenter correspond à ce que nous sommes intérieurement. Mais j’aimerais ajouter que cela ne devrait jamais devenir obsessionnel ni entraîner une attitude butée et intolérante et que, quelles que soient nos convictions dans ce domaine, nous devrions toujours savoir nous adapter à la vie sociale et accepter de déroger à nos convictions, si nécessaire.

Revue Française de Yoga, n°25, « Manger, Jeûner, Sacrifier », janvier 2002, pp. 57-70.

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