Le yoga, voie de transformation
Publié le 16 septembre 2003
Trois seuils jalonnent la progression du yogi, à commencer par la réestimation générale des valeurs. Après ce premier seuil vient celui de la Seconde Naissance, révélateur de l’Individualité. L’homme peut alors atteindre le seuil de la pleine Conscience. Les cinq émancipations et les cinq accessions sont les moyens de cette transformation.
« L’homme s’incarne dans le but d’opérer une fantastique transformation. Totalement plongé dans la » vie extérieure « , il s’octroie généralement des facultés qui ne sont pas encore siennes. Ainsi croit-il qu’il constitue un personnage unique doué de certaines qualités, et il exprime cette apparente unicité par des expressions aussi courantes que « je » ou « moi « . Il semble bien être » un « . Il croit ensuite qu’il peut agir en toute liberté, ayant pleinement confiance en sa capacité de libre-arbitre. Enfin, il se croit un être conscient, doué de volonté. Une observation honnête et éclairée de lui-même ne peut que l’amener à faire le constat qu’il n’est que multiplicité, sans cesse mouvant, changeant au gré de ses humeurs et des circonstances extérieures. Un véritable champ de bataille résulte de toutes les luttes qu’un ensemble non négligeable de petits » moi » parcellaires semblent se livrer. Qu’en est-il du « je » ? D’autre part, notre homme est dans un état permanent de réactions diverses dans lequel ses modes de penser et ses émotions l’emprisonnent définitivement, à moins qu’un sursaut conscient ne l’en extraie. Prisonnier de ses conditionnements et de ses affects, il ne peut en aucun cas agir librement, il subit complètement son mode réactif. Quant à « être conscient « , cela lui demandera d’opérer un éveil particulier, peu semblable à ce qu’il peut expérimenter dans l’état de veille habituel. Une première étape consistera à devenir conscient de son « je » véritable, avant d’aborder l’immersion en la pleine Conscience. L’acquisition de la Volonté, elle, correspond à l’émancipation hors de l’attitude du « vouloir–propre « , volonté personnelle, expression d’un volontarisme borné ou de la mobilisation intense de la personnalité extérieure asservie par ses propres désirs. L’abandon, nécessaire à cette expérience, consistera à se mettre au service de la Volonté Divine afin qu’elle puisse par lui se manifester.
I. LES SEUILS
Sans un effort intense et durable, l’homme ne peut espérer une quelconque transformation effective. Voie de mutation par excellence, le Yoga va lui proposer un ensemble de techniques diverses qui s’adressent à lui dans sa totalité et lui permettront par leur pratique assidue de » naître » à sa réelle nature. Cette mutation intérieure va se trouver jalonnée par trois seuils importants.
Le premier seuil
Il consiste en une réestimation générale des valeurs, sans aucune compromission possible. […] Passage de la vie extérieure à la découverte de soi-même, premiers pas vers l’intériorité, telle sera la marque essentielle de ce premier seuil.
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Le deuxième et le troisième seuils
Le deuxième seuil est la « deuxième Naissance »par laquelle le « moi provisoire »que constitue la Personnalité extérieure et le « Moi Véritable »s’unissent de façon indissoluble pour former l’Individualité La Personnalité est alors pleinement disponible pour manifester les valeurs de coeur authentiques, et par extension la vraie intelligence, faite d’intuition et de discernement: sans cet éveil à « l’intelligence du coeur « , aucune véritable transformation n’est possible. Au-delà de ce seuil, l’homme a la compréhension de tous les êtres et de toutes les choses, il pénètre tout. Il acquiert l’aptitude à distinguer spontanément le vrai du faux. Son développement se poursuit alors par l’ouverture à la pleine Conscience et l’abandon en cette Puissance Divine qu’est la Volonté.
II arrive ainsi au troisième seuil, terme de son cheminement, et là seulement toute possibilité d’erreur, et par conséquent de chute, sera exclue.
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II. LES YAMA ET LES NIYAMA: INSTRUMENTS DE LA TRANSFORMATION
Techniques très appropriées pour franchir le premier seuil et cheminer à bon escient vers le suivant, les yama et les niyama qui sont présentés comme les premières étapes du Yoga sont, par leur pratique, de véritables trésors. Au nombre de dix, cinq chacun, trop souvent mal compris car assimilés à une morale rigide et puérile, ils constituent les éléments essentiels à cette véritable transformation dont l’épanouissement total de la sensibilité, des valeurs du coeur, sera la première étape essentielle.
En ce sens, nous préférons traduire « yama » et « niyama », respectivement par « émancipations » et « accessions » plutôt que par les termes communément employés d' »abstinences « , de « réfrènements » ou de « renoncements » pour l’un, et « d’observances « , de « règles » ou « d’obligations » pour l’autre, qui ont une connotation par trop négative.
S’émanciper de tout ce qui correspond à la nature inférieure de l’homme, le maintenant dans l’obscurité et la lourdeur, pour lui permettre d’accéder à sa Vraie Nature toute de lumière et de transparence: on ne peut pas mieux rendre par les mots l’idée de cette mutation.
Ahimsâ
La première de ces émancipations est la « non nuisance »: ne point nuire, et d’aucune sorte, à toute structure porteuse de vie, telle est la condition première à l’entreprise. […]
Le terme de « non-violence » est habituellement choisi pour traduire ahimsâ, car il n’est retenu de la violence que son aspect nuisant. Mais ahimsâ a un sens beaucoup plus large, synonyme de « force » ou d’ »ardeur » : le Hatha Yoga n’est-il pas le « yoga de l’effort violent « ? Des actes violents peuvent même être très salvateurs, en permettant par exemple de sauver la vie d’autrui. Visà-vis de soi-même, il est bon de faire violence à sa nature inférieure, à ses peurs, à sa paresse et à ses désordres.
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Satya
Seconde émancipation qui consiste en la « véracité » ou le « non-mensonge « , « être vrai », s’arracher à toutes les apparences, vouloir de toutes ses fibres manifester sa véritable dimension par la libération de l’intelligence discriminante, telle est satya. La vérité dans la parole n’en sera qu’une simple conséquence.
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Asteya
Le troisième yama est le « non-vol », la « non-appropriation »: ne rien s’approprier indûment, sans nécessité. Ce qui est nécessaire n’est pas défini par les besoins apparents dictés par les désirs nombreux, mais par ce qui correspond véritablement à la condition humaine. […]
Brahmacharya
Le quatrième yama se traduit par le mot de « chasteté ». […] Il n’est pas question de l’abstention de l’acte sexuel, mais bien de toutes les sortes d’émotions qui lui sont inhérentes afin que celui-ci ne soit entièrement éclairé que par le sentiment unique d’Amour total, pleine expression de cette tendresse incommensurable que seul permet l’abandon de toute recherche égoïste ou d’une quelconque satisfaction personnelle. […]
Pour accomplir cette communion il revient à l’homme et à lui seul d’apprendre à maîtriser la fonction propre à la procréation. En effet, la femme est réglée sur un cycle donné auquel elle ne peut rien changer sans perturber son équilibre physiologique, tandis que, pour lui, l’émission de la semence dépend d’un choix. […]
Aparigraha
La « non-possession » ou « pauvreté » est la dernière des émancipations. […] Il s’agit de se dépouiller des valorisations que peut entraîner l’utilisation d’un objet, d’une faculté ou d’une situation. […]
Shaucha
La « pureté » est la première des « accessions », des niyama.
Elle se subdivise en deux grandes catégories: la pureté extérieure et la pureté intérieure. La pureté extérieure comprend celle du corps, du lieu et de l’orientation. […] La pureté intérieure est celle de « l’être ». Elle est le fruit de la possession des « trésors célestes » (daïvî sampati) ou « vertus », qui représentent les qualités spécifiques à l’être humain (étymologiquement: « virtus » vient de « vir », l’homme).
Samtosha
Le second niyama est le « contentement « , contentement inconditionnel, quelles que soient les circonstances, plaisir ou peine, profit ou perte, gloire ou mépris, succès ou échec, sympathie ou haine. […]
Tapas
Le troisième niyama est « l’austérité », ou le renoncement à des choses reconnues comme indésirables. […]
Svâdhyâya
Le quatrième niyama est le « développement de soi « , ou encore le fait de se développer au point de parvenir à une perception et une conscience immédiate et très claire de l’Etre Suprême. […]
Ishvara Pranidhâna
La série des niyama s’achève avec « l’abandon à la Divinité » ou le fait de « s’en remettre à la Divinité ». […]
Il s’agit bien ainsi pour l’homme de faire éclater sa nature égocentrique, source de tous ses maux. […]
Les différentes étapes ainsi s’enchaînent en une remarquable succession : yama et niyama en premier lieu ; asana ou la posture, l’assise, par excellence, qu’un grand nombre d’exercices prépareront aussi bien sur les plans articulaire qu’énergétique ; prânâyama, la respiration consciente et rythmée, remarquable exercice respiratoire accompli dans une attitude mentale particulière permettant d’être en contact avec les plans les plus subtils de l’univers, véritable prière qui consiste à se mettre en état de pouvoir être reçu dans le sein de Dieu ; pratyâhâra, qui consiste à prendre de la distance avec tout ce qui présente un caractère illusoire, le total désintéressement de tout ce que les sens peuvent ou ont pu percevoir; dhâranâ, le recueillement, qui permet de rassembler la conscience sur le Principe Essentiel ; dhyâna, non plus une activité comme les étapes précédentes, mais un état particulier survenant seulement lorsque les conditions nécessaires à son obtention sont présentes, et qui consiste en une totale ouverture vers une compréhension où seule subsiste la pensée de Dieu ; et finalement samâdhi, où s’instaure de façon permanente l’état de conscience correspondant à la complète fusion avec la Totalité.”
Revue Française de Yoga, n°13, « Passages, seuils et mutations », janvier 1996, pp. 149-162.