Le Monde du Yoga

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L’eau et le feu

par Boris Tatzky | Publié le 09 août 2005

En reproduisant la spirale du vivant, Matsyèndrâsana stimule la capacité d’action de l’individu, lutte contre l’agitation du mental et libère Kundalinî, la Conscience-Energie. La réconciliation des deux parts de l’Homme lui ouvre les portes du nirvâna.

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Deux courants d’énergie qualifiés de lunaire et solaire concrétisent dans notre corps les deux symboles spécifiques du hatha-yoga, (lune et soleil, eau et feu). Ils s’élèvent de part et d’autre de la colonne vertébrale à l’intérieur de deux canaux (nâdî) subtils, idâ et pingalâ, depuis la zone racine jusqu’à l’extrémité des narines gauche et droite. Ces deux nâdî s’entrecroisent comme pour permettre un meilleur équilibre, une répartition plus harmonieuse entre les polarités de ces deux énergies, tout autour de la nâdî centrale, sushumnâ. A la base de cette sushumnâ-nâdî sommeille, enroulée sur elle-même, Kundalinî la Lovée, la Conscience-Energie qu’il s’agit d’éveiller pour parfaire notre condition, et d’amener jusqu’au sommet du crâne, dans le centre d’énergie subtil, sahasrâra cakra.

Matsyèndrâsana imprime à la colonne vertébrale un mouvement spiralé qui tend, nous le verrons plus loin, à rééquilibrer nos deux énergies complémentaires, à rassembler notamment capacité d’action et intériorité, force et sensibilité.

Au sein de notre être, elle reproduit cette spirale de vie que l’on retrouve dans tous les états de la matière, dans l’infiniment petit jusque dans l’infiniment grand (ADN, cyclone, galaxie, nébuleuse… ) et nous fait participer ainsi à ce grand mouvement de l’Energie universelle. La spirale est le signe manifeste du vivant.

Pour ces trois raisons importantes, matsyèndrâsana s’affirme comme une posture de haute réalisation.

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Symboles reliés à la pratique

L’analyse herméneutique des « fruits de la pratique » de matsyèndrâsana dévoile davantage toute l’étendue de l’expérience.

Svâtmârâma assigne la première place aux résultats physiologiques. Il part du plan le plus extérieur de l’individu pour progressivement parvenir au plus intérieur. Commencer par purifier notre première enveloppe est indispensable avant d’entreprendre de percer à jour nos revêtements les plus profonds. Toutefois, conformément au rapport existant entre ces différentes parties, chaque effet a une résonance sur l’ensemble. Car, alors que le corps physique se transforme, gagne en souplesse et tonicité, parallèlement la conscience s’éclaire et s’épanouit. L’harmonie envahit toutes les couches de l’être.

Matsyèndrâsana « stimule le feu digestif », affirme l’auteur. Il fait allusion à l’énergie caractéristique de la zone ombilicale, logée dans manipûra cakra. La compression de l’abdomen par la jambe repliée favorise les fonctions d’assimilation et d’élimination considérées comme primordiales par la médecine ayurvédique. L’énergie vitale propice à l’action, stimulée par ce meilleur échange s’accroît pour notre plus grand bien-être.

« Elle est l’arme puissante qui brise le cercle des maladies terribles » lit-on ensuite. Ces maladies terribles peuvent être assimilées aux turpitudes mentales de chacun. En apprenant à dialoguer avec les forces antagonistes en jeu dans la posture, le pratiquant lentement accepte les dissymétries de son corps, renonce à la tentative chimérique et désespérante d’identification à un modèle. Il se détache de l’utopie pour entrer dans sa réalité. Le cercle symbolise le mental tournant en rond, prisonnier des cinq tourments fallacieux (klesha) peuplant et agitant la conscience ordinaire de l’homme et qui sont : l’égoïsme, le désir, la haine, l’attachement et l’ignorance. Savoir, sagesse et persévérance dans le yoga assurent la délivrance, l’arrêt de l’agitation du mental.

Enfin, la pratique confère aux hommes « l’éveil de Kundalinî et la stabilisation du nectar lunaire ». Kundalinî, nous l’avons dit, est l’énergie enroulée à la base de la colonne vertébrale, dans mûladhâra cakra. Cette puissance primordiale latente n’est autre que la Conscience pure, la faculté de perception juste. Elle représente la puissance de vie qui, une fois éveillée, accroît et aiguise l’ensemble des capacités de l’homme. L’éveil de Kundalinî implique la cessation des pertes d’énergie occasionnées par les contradictions constantes existant entre nos actes et nos pensées. Cette unification engendre la pleine efficience de la force vive qui nous anime, et par ricochet l’état de santé car seul, le doute créé par l’ignorance génère souffrance et maladie.

Comment parvenir à cela, sinon en favorisant la dissolution de nos dualités, source de notre difficulté à être tout simplement ? Matsyèndrâsana permet cette réconciliation des paires d’opposés entrelacés comme les mailles d’un filet. Elle met en mouvement par une première torsion à gauche l’énergie lunaire rafraîchissante, féminine et apaisante, puis dans une torsion à droite privilégie la circulation de l’énergie solaire, chaude, masculine et tonifiante : égale sollicitation des deux tendances fondamentales de l’homme. Un courant alternatif s’établit ; il purifie les nâdî idâ et pingalâ, dissout tout trajet préférentiel en installant une polarité bienfaisante, puis une plus grande fluidité de l’énergie vitale au sein de l’axe vertical. Cette torsion spiralée agit à la façon d’une écluse et prélude à l’équilibre promis par Svâtmârâma : « la stabilisation du nectar lunaire ». Le nectar lunaire évoque l’intelligence intuitive, chemin de l’éveil, et peut être alors considéré comme la source même de la vie : »La Conscience est la Fondation » (Aitareya Upanishad, II, 3). Il désigne aussi le breuvage d’immortalité, le soma, boisson des dieux concédée aux valeureux mortels jugés aptes à l’accès au ciel et par analogie, à la béatitude lumineuse: le nirvâna.

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Revue Française de Yoga, n° 8, « Postures de rotation », juillet 1993, pp. 89-101

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