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L’énergie créatrice en architecture et la naissance d’une œuvre

par Denis Laming | Publié le 30 septembre 2003

L’énergie créatrice ne se reconnaît qu’à ses effets. Ainsi en est-il des constructions architecturales: par leur présence, elles témoignent de la préexistence d’une certaine énergie créatrice, assurément. Mais cette énergie ne peut être identifiée indépendamment de ces réalisations.

« Dire comment naît une idée, comment germe la première ébauche d’un projet relève de l’impossible, spécialement lorsque c’est au créateur lui-même que l’on demande d’expliquer ce commencement. Je vois à cela deux raisons. La première est que vouloir montrer ce qui est « avant » une naissance, c’est se heurter à une question sans réponse: « avant » la naissance de l’univers qu’y avait-il? « avant » la naissance d’un homme, qu’y a-t-il? et « avant » la genèse d’une idée ?… Quelle est donc cette mystérieuse énergie, ou alchimie, qui isole quelque chose d’un néant, ou plus exactement d’un « bouillon » informe?

L’artiste ne sait pas répondre à ces questions, moins qu’un autre, pour une deuxième raison, qui est la conséquence de la première et qu’une citation illustre clairement: « Il est aussi difficile à un créateur de trouver lui-même un SENS à ce qu’il fait, que pour l’homme en général, de trouver un sens à la vie ». Tout au moins le créateur peut-il exprimer ce qu’il ressent en termes de concentration, contrairement à l’idée reçue qui imagine l’état de création comme un état d’ouverture maximale. Je le perçois au contraire comme un moment de focalisation et de fermeture. De son intensité dépend la sortie de l’idée nouvelle hors de la conscience indifférenciée. Ce moment joue un grand rôle dans le processus de séparation préalable à toute naissance.
[…]

D’où vient l’énergie créatrice? Cette question ne peut recevoir une réponse unique. On doit déjà observer que la création n’est pas linéaire comme le raisonnement, elle n’est pas discursive, elle avance par sauts. C’est l’alchimie du grain de folie. En réalité, une oscillation subtile se produit entre raison et émotion, aussi ne faut-il pas chercher la raison des émotions, car une telle quête, trop cartésienne, conduirait à supprimer le mouvement oscillant, et donc à tuer la créativité. L’artiste est capable de laisser être les émotions, de laisser venir dans le lâcher-prise, au sens où Saint-Exupéry disait « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre » .
[…]

Pour le pavillon du Futuroscope, l’idée-mère a été celle de temple, d’un « temple du futur ». La forme s’est imposée ensuite, brusquement: celle du soleil qui se lève sur l’horizon, un symbole optimiste et assez universel pour pouvoir être ressenti par chacun. Mais, pour signifier le changement et les mutations, l’horizon bas-cule en une ligne oblique, figurée par l’hypoténuse d’un triangle rectangle. Aux trois dimensions de l’espace, exprimées par les trois côtés du triangle, s’ajoute la quatrième dimension, celle du temps, figurée par la sphère. Ce qui est étonnant, c’est qu’en faisant le calcul des proportions, je sois tombé sur le Nombre d’Or, sans le vouloir par avance… Quant à l’idée de temple, elle s’est incarnée dans la construction d’un autel central, sous la sphère, auquel on accède par une sorte de chemin initiatique. Mats l’autel, au lieu de se présenter de face, est désaxé: il se démarque des autels religieux qui font traditionnellement face à l’assemblée pour exprimer l’unicité de la réponse proposée par la religion aux questions que l’homme se pose. Désaxé, l’autel est à l’image de la diversité des interrogations que l’homme, désormais sans conviction ni a priori, doit affronter.

L’histoire du Kinemax est toute autre: il fallait construire une gigantesque salle de cinéma. Or cinéma évoquait passage du réel au virtuel et, inversement, évoquait aussi les « sorties de salles » banales et parfois sordides qui nous attendent après la beauté des images. J’ai donc cherché un thème qui soit entre le poids du réel et l’illusion de l’irréel, et une sortie qui ouvre encore sur de l’irréel au moment on croit retrouver le monde extérieur. Ce bâtiment jaillit du sol comme un plissement des roches qui surgissent des entrailles de la terre. Son ordre, c’est le cristal, qui est lié à la lumière et qui fournissait donc l’expression métaphorique du processus cinématographique. En recouvrant ce bloc de cristaux inclinés à 60 degrés, de facettes miroitantes, j’introduisais la « confusion » entre le réel et son reflet; profondément ancré dans le sol, le Kinemax est le miroir du ciel et des nuages toujours changeants: il unit le terrestre à l’aérien, l’immobilité et le mouvement du temps qui passe. Quand le spectacle est fini, l’écran se lève et les spectateurs sortent par cette ouverture qui débouche directement sur un lac dans lequel de nouveau le ciel et l’ensemble des bâtiments se redoublent et s’inversent.

Troisième exemple: le Pavillon de la Communication. Là, le thème m’était imposé, c’était celui de la goutte d’eau. Je voyais mal comment le relier concrètement, architecturalement, à celui de la communication. Et puis, c’est venu en dessinant autour de la notion d’onde, de vibration qui se propage. La goutte apparaît alors comme la condensation d’une vague d’énergie qui s’enroule sur elle-même, ou inversement se déploie. Ici, on est sous le signe de la fluidité.
[…] ”

Revue française de Yoga, n°15, « L’énergie en question », janvier 1997, pp. 237-250.

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