Le Monde du Yoga

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L’épreuve du passage dans l’analyse jungienne

par Geneviève Guy-Gillet | Publié le 02 octobre 2003

Traditionnellement ritualisés, les passages qui marquent les étapes de la vie peuvent s’avérer difficiles : soit que le rite s’est perdu, et n’est donc plus là pour permettre une expression socialement acceptable des pulsions, soit que les obstacles paraissent si importants qu’ils sont refoulés au lieu d’être surmontés. La psychanalyse offre alors un accompagnement.

« […]
II. LES ARCHÉTYPES, MODÈLES DE PASSAGE DE L’INSTINCTUEL A L’HUMAIN

La théorie des archétypes s’éclaire des travaux des éthologistes qui ont étudié les comportements instinctuels des animaux. Ces comportements sont organisés sur les schèmes moteurs propres à chaque espèce, qui se sont mis en place à partir des caractéristiques anatomo-physiologiques de l’espèce concernée. Dans l’environnement qui leur convient, ces schèmes tendent à s’actualiser; l’ensemble animal-environnement dessine la forme même du comportement.

Cette approche n’est pas tellement éloignée de celle de Jung, qui fera de la notion de « modèle de comportement » le socle des archétypes. Quand il souligne, par exemple, que le schème organisateur des instincts d’une fourmi moissonneuse ne peut fonctionner que si tel type d’aide est fourni par l’environnement de cette fourmi, il entend que la forme du comportement total de celle-ci représente le sens de son instinct. Il applique la même formule à l’homme.

Les archétypes, dit Jung, sont des modes fonctionnels innés dont l’ensemble constitue la nature humaine. Ils représentent, pour l’homme, le sens de ses instincts. Ce sont donc des unités psychosomatiques qui se manifestent à la fois dans le domaine physique par les comportements instinctuels, et dans la sphère mentale par des représentations psychiques. Ils se situent à la frontière du biologique et du psychique et tirent leur énergie des instincts. Ils servent le processus de l’hominisation – soit celui du « devenir conscient » -, dans la mesure où ils attirent cette énergie des instincts vers des comportements et des formes symboliques de plus en plus complexes, dont le langage est l’expression relationnelle.

On comprend que pour le conscient, cette notion soit difficile à assimiler. D’autant plus que comme le dit Jung, l’archétype en lui-même est une forme d’énergie qui tend à se réaliser mais qui ne pourra trouver son sens que par une représentation qui va l’éclairer. e même que l’inconscient n’est perceptible qu’à travers ses manifestations, l’archétype activé ne sera perçu qu’à travers ses représentations ou des modèles de comportement. Ces représentations archétypiques constituent donc un pont entre la phylogenèse et l’ontogenèse, entre l’univers rationnel de la conscience et le monde de l’instinct. Or, ces instincts – dont les trois formes de comportement sont d’ordre alimentaire, sexuel et agressif – préexistent à toute construction de l’appareil psychique. Ils ne sont pas mentalisables.

Jung émet alors la proposition suivante: les archétypes attirent l’énergie des instincts et leur proposent des modèles construits au cours des siècles, que l’homme actuel filtre afin de discerner les plus aptes à donner une expression à ce qu’il recherche. Ces archétypes peuvent s’actualiser uniquement s’ils sont repris dans une relation et un environnement qui leur donnent un sens. Faute de trouver une possibilité de se mettre en forme, les forces instinctuelles se manifestent dans toute leur violence. Leurs effets sont alors toujours ressentis comme mortifères. La plupart des psychanalystes donnent à cette violence archaïque le nom de pulsion de mort. On peut la voir à l’oeuvre, entre autres, dans les états psychotiques. Notre expérience clinique s’accorde avec ce concept. Nous sommes amenés, de plus en plus, à reconnaître ces seuils critiques, à travers lesquels le passage se fait difficilement entre la sphère des instincts et celle des représentations.

Jung, dans sa théorie, n’a pas utilisé le terme de « pulsion de mort ». Néanmoins, il évoque ces tensions antagonistes qui, pour lui, sont issues d’une même énergie qui se polarise en positif ou négatif, selon le moment où elles se manifestent. Dans « Métamorphoses de l’âme et ses symboles », il met en scène ces formes archaïques qui renvoient à l’archétype de la mère. A l’aide de symboles et de motifs mythologiques, il nous présente le drame de l’homme confronté à ces forces. Pour éclairer sa théorie, il prend appui sur l’aventure mythique d’un héros indien, Hiawatha, tirée d’un poème de Longfellow. Lors de son parcours, Hiawatha est amené, auprès d’une source, à tuer un chevreuil. Jung pense que le sacrifice de l’animal est en rapport avec la Mère-Nature en ce sens qu’il est une façon de triompher de cette mère de mort. Mais la visée, pour lui, est double. Car l’acte de Hiawatha est aussi un passage par lequel l’homme, en tuant l’animal, se distingue de celui-ci.

Ces thèmes sont repris dans de nombreux contes, comme celui de « La Belle et la Bête », où il s’agit de différencier la nature animale du monde humain. La capacité de combat, dont il est question dans l’histoire du héros indien, n’est pas sans évoquer la lutte de l’ange avec Jacob.

[…]

[Même] au coeur de la tragédie humaine, la question du sens, pour Jung, demeure posée. Quand il écrit, à la fin de sa vie:

« La vie est sens et non-sens, mais j’ai l’espoir anxieux que le sens l’emporte », il met toujours, en contrepoids de la douloureuse séparation, le sens qui permet à l’homme de soutenir cette épreuve.

A l’appui de cette théorie des archétypes, le travail sur les rêves nous apporte la confirmation que nous sommes bien en présence d’une unité psychosomatique de l’image. Certains psychosomaticiens ayant pris en compte l’étude des rêves viennent étayer ces découvertes de Jung. Le rêve apparaît alors comme une fonction au service de cette économie psychosomatique. Un psychanalyste freudien donne cette définition intéressante du rêve « C’est un régulateur unique, tant sur le plan biologique que mental, de l’intégration des expériences récentes au fonds commun des traces génétiques et de la mémoire ontogénique. Il survient comme s’il soudait à un passé très ancien la vie individuelle ou l’histoire d’un sujet qui se réorganise. C’est un processus organisateur du self – de cette capacité d’être entier -qui est structurant et éventuellement doué d’un pouvoir de guérison ». Or, nous travaillons beaucoup sur le rêve, sur sa signification et sur sa capacité à relier l’histoire d’un sujet, non seulement à ses instincts, mais également à son passé. Jung avait d’ailleurs écrit « La fonction des rêves est d’essayer de rétablir notre équilibre psychique à l’aide de représentations qui, d’une façon subtile, reconstituent l’équilibre total de notre psychisme tout entier.

Dans notre pratique analytique, la relation si particulière qui se tisse entre les deux partenaires – le psychanalyste et l’analysant – servira d’activateur au processus archétypique. Plus on touche à ces seuils critiques, plus le transfert se vit intensément et plus l’analyste est engagé dans ce vécu du passage que va traverser l’analysant.
[…] ”

Revue Française de Yoga, n°13, « Passages, seuils, mutations », pp. 199-212.

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