Les séminaires de formateurs et les exigences de la transmission
Publié le 28 juillet 2005
C’est par les séminaires de formateurs que l’on a pu élaborer une définition moderne et commune du Yoga (1986) et de la notion d’épreuve (1999). Depuis mai 2004, une nouvelle réflexion a été lancée sur la relation dans l’enseignement et la transmission entre professeur et élève.
« « Séminaires de formateurs », voilà une expression, penseront certains, qui fleure bon la manie administrative. Elle dit qu’il y a de l’institutionnel dans l’air, de la hiérarchie, de l’évaluation des compétences… Pourquoi pas ? Rien de tout cela n’est à récuser, si cela tend vers une responsabilisation accrue de ceux qui transmettent le yoga ici aujourd’hui.
En tout cas, quel que soit le nom qu’on leur donne, les rencontres qu’organisent entre eux, depuis vingt ans, les formateurs d’enseignants de yoga qui font partie de la FNEY, sont de véritables laboratoires pédagogiques. Elles servent de multiples buts. Tout d’abord, communiquer: des formateurs qui dialoguent articulent leurs différences et leurs complémentarités à l’intérieur d’une équipe qu’ils gardent vigilante et adaptable. Ensuite, remettre son métier sur le tapis (sans jeu de mots !) en le soumettant au questionnement ; c’est là manière de se renouveler et de ne jamais demeurer sur une position de pouvoir. Mais aussi, faire jaillir les idées pour de nouvelles expériences d’enseignement. Et encore, se perfectionner soi-même au contact de l’autre, acquérir des compléments de savoirs pour mieux répondre au souci d’exactitude… Si la pédagogie est manière d’incarner concrètement la transmission, elle ne pouvait sortir que singulièrement grandie de ces rencontres. »
POUR UNE DEFINITION CONTEMPORAINE DU YOGA (DEUXIEME SEMINAIRE, 1986)
« Il n’est pas toujours convaincant de mettre en avant les valeurs traditionnelles du yoga, dans une société où la notion de « voie de libération » n’évoque pas grand chose dans la conscience collective. C’est à ceux qui forment des enseignants de faire l’effort de trouver de nouvelles manières de s’exprimer sans trahir le legs qu’ils ont reçu. Le résultat de cet effort a été ce court texte, assorti de commentaires qui le complètent.
« Le yoga est une démarche globale et expérimentale qui s’appuie sur un ensemble de techniques spécifiques et qui se réfère à la tradition de l’Inde.
Il tend, par une prise de conscience progressive, à l’harmonisation des facultés corporelles, affectives, mentales et spirituelles de l’être humain.
Pratiquer des postures et des respirations dans un état de détente et de concentration avec conscience et respect des limites de son corps conduit à une autogestion de son potentiel physique et psychique.
Les effets se traduisent d’abord par un mieux-être, une plus grande disponibilité, une meilleure efficacité dans l’action.
Le yoga tel que nous l’enseignons n’est pas la sagesse, mais une préparation à la sagesse. Il est ouvert à toutes les formes de spiritualité et de religion.
L’enseignant de yoga acquiert une compétence dans le cadre d’une école spécifiquement structurée pour la transmission de cette discipline.» »
LA NOTION D’EPREUVE (HUITIEME SEMINAIRE, 1999)
« Ces courts textes sont quelques perles choisies dans un ensemble plus large, fruit d’un jeu dans lequel il s’agissait d’écrire, chacun pour soi, autour de ce qu’évoquait le mot « épreuve ». Mieux que de longs discours, ils expriment le souci de l’autre appuyé sur l’exigence d’une connaissance de soi, deux pôles entre lesquels est tendu l’arc de la transmission.
L’épreuve : le mot se scinde en deux lorsque l’on doit donner à l’autre des « preuves ». D’un mot unique, solitaire, il devient deux dans la tête puisque dialogue il y a entre l’examinateur et l’examiné. Binôme, échange, correspondance et sentir, neutralité bienveillante.
De l’épreuve solitaire surgissent les preuves de l’examen passé. Comme un gué entre deux rives pour certains ; comme une voie difficile, un obstacle pour d’autres.
Equilibre à trouver entre cette épreuve et les preuves. C’est à la fois l’examiné et l’examinateur qui sont concernés par cette épreuve, des preuves d’un enseignement assimilé par un élève. Quelles vont être les ordonnances justes à administrer, à prescrire lors de ce test?
L’épreuve est indispensable comme une prise de risque pour faire ses preuves, comme on a fait ses classes.
Tout aussi tranquillement qu’un cours de yoga est vécu, aisance et fermeté, à la fois dans un acte solitaire mais partagé par les autres et avec les autres. »
« L’épreuve est autant du côté de celui qui est membre du jury que de celui qui présente l’examen.
L’épreuve est un passage pour les deux. Comment vais-je recevoir le discours de l’autre ? Est-ce que je vais lui laisser le temps de s’exprimer ? L’espace ? En tant que jury, je dois être à l’écoute par le regard autant que par l’ouïe. Disponibilité totale du corps. C’est parce qu’il est difficile d’écouter que nous préférons juger; mais je dois, en tant que jury, poser des limites. »
L’épreuve est un moment difficile, exigeant, cathartique, qui demande un rassemblement de ses facultés (connaissances, aptitudes) pour l’affronter. C’est un passage, ou un rite de passage, sorte de rite initiatique. Celui-ci est d’ailleurs composé d’épreuves. C’est le moment où la chenille va (peut-être) devenir papillon.
Dans l’épreuve, il y a un rapport avec la mort. On va abandonner un état connu pour un autre état, rêvé ? convoité ? inattendu ?
Passage abordé, passée la première inconscience, avec une certaine angoisse.
Que vais-je perdre ?
Que vais-je gagner ?
Vais-je réussir ?
Chaque épreuve est nouvelle, ou vécue de façon nouvelle, bien que parfois abordée avec un esprit encombré des épreuves semblables vécues dans le passé.
D’ailleurs, n’est-ce pas chaque fois un nouvel appel à naître ?
Dans l’épreuve, le plus dur est la confrontation de soi-même avec soi-même, avec le censeur suprême. Tout le paysage subconscient surchargé de mémoires se présente et gêne l’indispensable rassemblement de l’attention, des connaissances, des savoirs, des aptitudes, le recentrage qui permettrait l’ouverture à l’inconnu.
ET AUJOURD’HUI…
Aujourd’hui, nous continuons de réfléchir à notre métier de formateurs, à tirer le fil indéfini de la pédagogie, à tourner autour de la question de la relation dans l’enseignement. Cette fois-ci, en mai 2004, nous avons cherché un autre abord, très créatif. D’une part, nous nous sommes donnés les uns aux autres de courts exposés, questionnant l’autorité, la distance juste, l’expérience et le savoir, l’écoute ; recueillant, à notre modeste usage, les hypothèses
formulées par les sciences du vivant. D’autre part, nous avons invité d’autres pédagogues à partager leurs expériences dans leur domaine spécifique : Béatrice Gaucet, chanteuse lyrique, et Claire Heggen, mime, nous ont ainsi tendu des miroirs à partir de leurs pratiques différentes. Elles nous ont permis de mieux cerner ce qui se joue dans la relation entre l’enseignant et l’enseigné. Avec elles, il y eut un merveilleux dialogue, qui n’aurait peut-être pas pu surgir aussi aisément, si des relations d’amitié n’avaient existé avec elles auparavant, et si elles n’avaient déjà une belle idée de ce qu’est le yoga! »
Revue Française de Yoga, N°31, « Transmettre. », janvier 2005, pp.105-111.