Le Monde du Yoga

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Les tribulations d’un débutant

par Emina Cervo Vukovic | Publié le 07 février 2004

Le yoga a parfois été reçu en occident avec un tel enthousiasme, qu’il a pu poser plus de problèmes qu’il n’en résolvait, en bouleversant radicalement certains modes de vie. En fait, il est très difficile, voire présomptueux, de vouloir le pratiquer selon la plus stricte tradition indienne, alors même que celle-là n’est pas maîtrisée. Les bons maîtres l’ont compris.

Il y a environ trente ans, le bouddhisme a commencé de se diffuser en Occident et cela provoqua, à l’intérieur du bouddhisme lui-même, un phénomène tout à fait nouveau en ce qui concerne les laïcs. La tradition orientale demandait aux « maîtres de maison » de vivre selon le dharma et de pourvoir généreusement aux besoins des moines et, outre l’aumône, les rites et certains mantra, les laïcs étaient dispensés de tous les autres engagements spirituels. La tradition theravada prévoyait tout au plus, pour les hommes, une retraite de quelques jours une fois par an auprès d’un monastère. En Occident, en revanche, les laïcs, fascinés, commencèrent par étudier et pratiquer des enseignements bouddhistes plus complets: des hommes en pleine ascension professionnelle se sont jetés tête baissée dans le tantra, des mères de famille se sont assises aux pieds des maîtres, tandis que les enfants restaient à la maison avec leur tante. Une telle situation pose problème, obligeant ceux qui enseignent le dharma à affronter de nouvelles demandes. Ils se trouvent face à des enthousiasmes faciles, parfois dangereux, et des abandons tout aussi faciles. Des pratiques qui ont été étudiées pour la vie du monastère, à accomplir sous la supervision continuelle des anciens, viennent à être expérimentées dans le salon, après une journée de travail et avant de sortir boire un verre avec des amis. Les maîtres les plus perspicaces ont compris qu’ils allaient devoir étudier de nouvelles directives à donner aux laïcs. Ainsi aujourd’hui, un très grand maître comme Thich Nhat Hanh parle de zen pour les familles, enseigne des pratiques profondes mais simples, comme la « méditation en marchant », dans laquelle chaque pied qui touche la terre en pleine conscience embrasse la terre-mère, et « le sourire », à faire en famille, avant de quitter la maison. Et le Dalai Lama, de même, déconseille le Tantra aux occidentaux débutants sur une voie spirituelle.

En ce qui concerne le yoga, il s’est produit quelque chose d’analogue – c’est-à-dire que l’enseignement donné à nos élèves laïcs est réadapté, recalibré – mais d’une manière plus confuse, aussi parce que la tradition du yoga est plus fluide. Dans le bouddhisme, on retrouve des fils directeurs bien codifiés : theravada, mahayana, zen, vajrayana. Dans le yoga, il y a les deux grands repères du Vedânta et du Tantra, presque opposés, mais avec mille nuances, mille interprétations personnelles des différents maîtres.

Les yogi tantriques, par exemple, n’étaient pas des moines, au sens où ils n’appartenaient pas à un ordre, mais dans la pratique ils étaient ermites, avec souvent des comportements bizarres, comme de se tailler le frein de la langue et de méditer sous un soleil brûlant, un pot de charbons ardents sur la tête. Par la pratique des âsana et du prânâyâma, par l’ascèse, renonçant à la mondanité, ils cherchaient l’extase, le samâdhi, le rapport au divin. C’était des « fous de dieu ». En revanche, l’élève occidental, sauf cas rarissimes, ne souhaite pas renoncer au monde, mais trouver un équilibre plus grand de sa vie intérieure. Il n’est pas disponible pour un entraînement absorbant, il dispose d’un temps limité. L’enseignement doit en tenir compte. De plus, malgré ce réaménagement, pour le pauvre élève occidental, absolument inexpérimenté au moins au début, se familiariser avec le yoga ressemble à entreprendre la traversée d’un étang avec de vastes zones de sables mouvants. Dans notre système scolaire, on n’apprend pas la philosophie orientale, et l’élève ne sait pas à quoi s’attendre. Les médias présentent le yoga essentiellement comme une technique anti-stress, les médecins le conseillent en cas de vaginisme, insomnies et maux de ventre pour beaucoup de gens, il apparaît comme une alternative gentillette au sport, alors que le yoga, même réinterprété, retourne la structure même de l’ego. S’il est bien pratiqué, il contribue indubitablement à la santé, mais on a beau maltraiter sa matrice spirituelle, elle resurgit avec des effets imprévisibles, comme tout élève un tant soit peu médiocre le sait, en ayant fait l’expérience sur sa propre personne.[…]

Parmi nos élèves débraillés, on retrouve des typologies bien précises. Il y a les enthousiastes, le plus souvent machos, vaguement ridicules dans leur recherche d’une verticalité rigide, légèrement obsédés par la kundalini, cherchant certains pouvoirs. Il y a les cyniques bénévoles, les femelles tantriques, transgressives et brouillons, les modestes restant plutôt rares.

La tradition dit que tout élève trouve le maître qu’il mérite. J’ai eu de la chance, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait tenté de me séduire ou qui m’ait nui physiquement, parce qu’il y a aussi ce genre d’enseignants, on entend parler de cervicales endommagées ou de ligaments croisés déchirés. J’ai rencontré des enseignants tout à fait normaux, qui n’ont, disons, rien de charismatique, mais qui ont su me donner des indications très utiles pour pratiquer, à qui je rends grâce, et mon professeur, qui a su avec une grande simplicité -j’insiste sur la grande simplicité – me faire entrevoir toute la richesse et les potentialités du yoga, dont je ne connais pas encore la plus grande partie, parce que je suis une élève médiocre, alors qu’elle mériterait carrément mieux. […]

Revue Française de Yoga, n°24, « Commencements », juillet 2001, pp. 59-64
Traduit par Ysé Tardan-Masquelier de l’italien « Il diritto de essere un allievo mediocre », Percorsi Yoga, Revue bimestrielle de la Yoga-Associazione Nazionale Ins

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