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L’Inde et nous : attrait de la différence et quête d’une sagesse dans la religion de l’autre

Publié le 01 juillet 2004

La richesse spirituelle de l’Inde peut permettre à certains de combler leur besoin de syncrétisme religieux à travers la vulgarisation des principaux aspects de la pensée hindoue, et à d’autres, de révéler et de revivifier leur pratique du christianisme grâce à une expérience intime de Dieu, rendue possible par le primat de l’intériorité régnant en Inde.

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La double quête -quête d’un «ailleurs » chez les Occidentaux, quête de la reconnaissance chez les gurus décolonisés – aboutit, en Inde, à une revitalisation de la vision hindoue du monde et, en Europe et aux États-Unis, à une diffusion vulgarisée de ses leitmotive (sagesse, réincarnation, relation au maître, etc.), qui semblent répondre à certaines aspirations actuelles face à l’angoisse générée par la technologie et la dépersonnalisation du tissu social. Cette réciprocité très forte fait que, sur le plan de la conscience collective, l’Inde a besoin de l’Occident et inversement. Mais curieusement, le contenu des échanges adhère encore à la première rencontre – celle de l’époque théosophique – qui fait fonction de modèle fondateur; et l’hindouisme que nous connaissons généralement dans nos pays demeure cette synthèse néo-hindoue déjà couronnée de succès dans le dernier quart du XIXe siècle. Ainsi les thèmes principaux du New Age ne sont-ils souvent que des rééditions, ce qui ne devrait guère étonner, car l’hindouisme authentique n’est pas mieux connu, sauf des cercles savants, qu’il y a un siècle. Mais à cette absence de connaissance de l’Inde s’ajoute un phénomène nouveau, la déculturation des Occidentaux par rapport à leur propre fonds religieux. Les théosophes, en effet, étaient, pour la plupart, issus de milieux protestants fortement imprégnés des textes bibliques, sinon peut-être de théologie. Actuellement – et c’est le propre de ce que certains appellent la « post-modernité » -, les pratiques d’origine religieuse sont resacralisées, mais sur la trame d’une ignorance métaphysique qui permet toutes les alliances, de Krishna au Christ gnostique, du « Notre Père » aux mantras tantriques, pourvu que ces synthèses, même fragiles ou instables, redonnent un « sens à la vie ». Ces remarques ne s’appliquent que dans le cadre d’une vulgarisation du dialogue entre les traditions. Il en est tout autrement de théologiens ou de mystiques fortement insérés dans leur propre tradition religieuse et qui, en Inde, cherchent le « coeur » de la tradition hindoue, et finissent par découvrir leur propre « dedans ».

II. «DEDANS»

« Renaître en Inde »: l’itinéraire spirituel de Dom Le Saux

Infiniment supérieur à la moyenne, l’ancrage intellectuel et spirituel du moine bénédictin Henri Le Saux ne peut servir de paradigme, mais son aventure, loin des errements du syncrétisme, est vraiment affrontement à l’altérité de l’Inde et à ce que sa spiritualité a de plus remarquable, à travers deux très grands maîtres: Ramana Maharshi et Gnânânânda.

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La « révélation de l’Inde »: le primat de l’expérience intérieure

Ce que Dom Le Saux appelle de ses voeux, c’est un lieu où soient encore culturellement vivantes, quotidiennement mises en oeuvre, les conditions d’une pratique spirituelle conduisant à «l’expérience transconceptuelle du mystère intérieur »

À cet égard, la recherche de Dom Le Saux ressemble à celle du grand théologien grec du IVe siècle, Grégoire de Nysse, en quête d’une sagesse chrétienne. Il estime qu’une rénovation du christianisme peut survenir à partir d’un retour à l’expérience intime de Dieu et que les traditions de l’Inde n’en ont jamais perdu la trace. « Le monde d’Orient… au contraire du monde grec et méditerranéen, n’a pas accepté le primat de l’eidos, du logos, de l’idée, mais a toujours été attiré immédiatement par l’être, la vie, l’expérience en soi . »

Dom Le Saux eût-il perçu si radicalement la dimension intime, la profondeur vécue du rituel monastique, sans la lumière de l’Inde? En tout cas, ce primat de la pratique est renforcé par un primat de l’intériorité. Si l’Inde, pour certains Occidentaux, est un « ailleurs » avant d’être un « dedans », pour Dom Le Saux et ses successeurs, de par l’intensité exceptionnelle de leur engagement spirituel, elle est tout de suite une école d’intériorité: « Le secret de l’Inde, c’est l’appel au-dedans, l’ouverture au-dedans, toujours plus au dedans… l’éveil à ce qui EST au sein du fond ‘. »

[…]

L’itinéraire de Dom Le Saux, bien que particulier, n’est pas unique; il suivait et approfondissait celui de Jules Monchanin; il a servi d’archétype à celui de Dom Bede Griffiths, et aussi de quelques ermites chrétiens. Mais il reste exceptionnel par l’ampleur et la profondeur de cet essai pour vivre selon l’Inde la foi chrétienne : ici « l’ailleurs » de l’Inde reconduit, en le révélant et en le revivifiant, au « dedans » de son propre christianisme, mais en contournant la tentation des fausses mystiques identifiantes et fusionnelles.

Les exemples proposés dans ce court exposé ne prétendent évidemment pas rendre compte de la complexité des attirances et répulsions entre « l’Inde et nous ». Ils ont été seulement choisis pour faire mieux entendre ce qui se joue sous les termes de « quête spirituelle », terme vague nommant sans la nommer la grande désillusion contemporaine devant l’échec de la technologie à combler le désir de progrès, l’impuissance des démocraties laïques à évacuer le mystère du sacré, le prix à payer pour la connaissance de soi et la confrontation avec l’inconscient. A travers « l’autre », ici l’Inde hindoue, ou bien la blessure de la désillusion se cicatrise par une réillusion, un retour à l’Orient mythique pourvoyeur d’illumination; ou bien elle demeure, en s’ouvrant sur une profondeur nouvelle: « l’autre de soi » mais aussi peut-être « le soi de l’autre ». Il semble que cette seconde voie, éminemment engageante, devienne, par la reconnaissance mutuelle qu’elle implique, un possible antidote au poison des conflits interreligieux et des intégrismes actuels. […]  »

Les spiritualités au carrefour du monde moderne
Traditions, transitions, transmissions
Colloque tenu à la Sorbonne
pp. 69-84

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